Les années 80 marqueront nettement la montée en puissance de l’activité des hélicoptères de la Sécurité civile dans le domaine des interventions dites « Primaires médicalisées ». Favorisées par l’installation des SAMU sur l’ensemble du territoire, elles consistent à intervenir directement sur les lieux d’accidents et de détresses médicales les plus diverses (accidents du travail, accidents à domicile, accidents de la route, etc...) toujours au plus près de chacune des victimes à la demande des Sapeurs pompiers, ou autres services de secours. Bien évidemment, ces interventions comportent pour les hélicoptères des risques particuliers car ils sont contraints de se poser à proximité immédiate de chaque intervention dans le but de déposer le personnel médical et avant d’embarquer une éventuelle victime. Ceci dans des zones le plus souvent totalement méconnues, là où peuvent se présenter tous les dangers. (Obstacles divers, lignes électriques, câbles, clôtures, etc). C’est pour cette raison, qu’à la même époque, en découvrant l’émission « La Chasse aux trésors », animée par Philippe de Dieuleveult, j’eus beaucoup de mal à admettre que l’on puisse faire un jeu télévisé et épater la galerie en effectuant, par hélicoptère, ce genre de posés à l’aventure.
En ce qui nous concerne, prendre des risques pour venir en aide à la population me paraissait bien justifié, mais voir cela dans le cadre d’un amusement, me poussait à « zapper » systématiquement ce genre d’émission.
Voilà pourquoi je n’étais pas spécialement enthousiaste en apprenant que René Romet, le Président de notre Amicale Sécurité Civile, comptait sur la participation de ce "Dieuleveult" pour concrétiser un projet de film destiné à porter à la connaissance du grand public nos activités en matière de secours dans le massif du Mont-Blanc.
C’est donc en cet été 1984, à la Base Hélicoptère d’Annecy, que je rencontrai Philippe pour la première fois et malgré mes préjugés et ma réticence, je reconnais que je fus très vite rempli de sympathie à son égard. Il venait de créer sa propre société de production « Passeport bleu » et dès notre arrivée sur les lieux du tournage à Chamonix, en compagnie de son épouse Diane, leurs deux fils Erwann, Tugdual et quelques amis, nous avions formés de suite une petite équipe dans la plus agréable des ambiances. Comment ne pas me souvenir de lui quand, arrivant le matin à la "DZ des bois", lieu du tournage, il savait discrètement délaisser "sa cour" pour se diriger seul vers le hangar en vue de saluer le mécanicien de permanence préparant son appareil pour les vols de la journée. Je n’avais pas manqué de remarquer qu’il était souvent parmi les premiers volontaires à se lever pour débarrasser notre grande tablée après chaque déjeuner pris sur place dans notre modeste cabane en bois. Et je n’aurais jamais imaginé qu’un jour je me retrouverais à ses côtés, nos quatre mains plongées dans la même vaisselle.
Parfois, entre deux décollages, nous nous faisions plaisir de faire découvrir l’intérieur de l’hélico aux deux jeunes enfants. Tous ces petits détails rendaient faciles nos liens d’amitié et prouvaient combien il était animé d’une personnalité attachante bien éloignée de son « aura médiatique ».
Il tenait absolument à filmer le plus possible tout ce que l’on pouvait vivre au cours de nos interventions. Dans les jours qui suivirent, la montagne fut particulièrement meurtrière et les images filmées s’annoncèrent quelques fois aussi spectaculaires qu’insoutenables. Malgré tout, debout sur une passerelle rajoutée sur le marche pied gauche de l’Alouette, la caméra bien assurée par-dessus son épaule, il savait que rien ne pourrait lui échapper.
Le tournage terminé, le montage de ce film fut effectué à Paris avec pour titre : "En limite de puissance" : « C’est par ces mots, dit-il, que j’ai ressenti toutes ces opérations de sauvetage ». Cette production sera vendue dans sept pays différents sans toutefois être diffusée sur aucune de nos chaînes françaises. Ce qui confirme bien que « Nul n’est prophète en son pays ».
Quelques années plus tard, soucieux cette fois de présenter dans un livre la grande diversité des missions effectuées par toutes nos Bases Sécurité civile de France, je fus en mesure de regrouper plusieurs dizaines de textes envoyés par mes collègues, pour les présenter ensuite au journaliste aéronautique Gérard Frison chargé de contacter les éditions « France-Empire ». Et afin de promouvoir le mieux possible la vente de ce livre intitulé : "... Et le ciel t’aidera" dont les bénéfices iraient pour moitié à notre amicale, nous avons pu en obtenir la préface auprès de Philippe de Dieuleveult. Elle deviendra son tout dernier texte écrit avant son départ vers cette destinée dramatique en Afrique mais restera désormais le plus vibrant hommage jamais rendu aux équipages hélicoptère de secours pour lesquels, il n’épargne en rien son admiration en précisant entre autres que : « Ces gens-là savent qu’une femme, un père ou un enfant embrassant l’alpiniste ou le marin sauvé vaut bien tout l’or du monde ».
Peu de temps après, c’est lui-même qui devait disparaître dans les flots tumultueux du fleuve Zaïre. Un gros nuage noir venait assombrir le ciel bleu de son passeport mais il ne couvrira jamais le souvenir et la mémoire de cet homme qui, toute sa vie, conserva un peu de cet azur dans sa tête et dans son cœur.
Il restera toujours parmi ceux que l’on ne voit qu’une fois et que plus jamais on ne pourra oublier.
• Cliquez ici pour voir le film "En limite de puissance".
• Cliquez ici pour lire "Philippe de Dieuleveult, tu nous manques".
• Francis Delafosse écrit ses mémoires ; cliquez ici pour en savoir +.
MAJ 05-06-2021 |
Messages
19 mars 2009, 18:30, par Chris
Merci, Francis, d’avoir partagé avec nous ces touchants souvenirs...
A chaque fois que je lis tes récits, j’ai l’impression d’y être ; bravo pour ta plume !
19 mars 2009, 18:55, par Anne-Lise
Cela m’a touchée de voir cet hommage rendu à Philippe de Dieuleveult, celui que nous aimions regarder lors de ses émissions, nous faisant découvrir la France vue du ciel, mais pas seulement, il a tenu à rendre hommage à ceux qui prennent beaucoup de risques en hélicoptère pour sauver des vies (parfois au prix de la leur), les côtoyant en toute simplicité et avec amitié. Il a laissé beaucoup de regrets depuis sa disparition.
J’aime ce texte très bien rédigé, chaleureux, et soulignant les qualités de Philippe avec délicatesse. Ce récit est précieux et digne d’être gardé dans les archives.