Le téléphone sonne, c’est la régulation du SAMU pour un déclenchement de mission. Le temps est gris, la prévision météorologique ne prévoit pas de réelle dégradation. La première partie de la nuit doit rester stable. L’équipe médicale est prête, et nous nous dirigeons vers l’hélicoptère. J’ai deux heures trente avant la nuit, mais cette mission peut tarder, cela doit toujours être envisagé.
L’hélicoptère atteint rapidement sa vitesse de croisière, les modes supérieurs sont enclenchés. Il file à bonne vitesse, 140 nœuds, dans un air frais et calme, 1000 pieds au-dessus de la campagne. La visibilité horizontale est bonne, avec une estimation de 3/8ème à 2000 pieds. J’ai presque deux heures d’autonomie à cette vitesse et il ne faut que trente minutes pour rejoindre le lieu de l’accident.
Le contrôle du vol est facile avec la cartographie numérique qui défile sur le GPS. Les bonnes vieilles cartes aux 1/100.000 sont toujours à disposition au cas où. À cinq minutes de la destination, la base des nuages a légèrement diminué, je l’estime désormais à 1700 pieds pour 5/8ème. Le village est en vue. Je procède à la reconnaissance du site en préparant l’appareil pour l’atterrissage.
Vu les circonstances, la meilleure place est sur la route qui ne doit pas être très fréquentée à cette heure. Je me pose à quelques dizaines de mètres de l’accident. L’équipe file vers les pompiers déjà à l’œuvre sur la carcasse du véhicule. Jusqu’ici, il n’y a rien à dire de particulier pour ce vol. Je vérifie extérieurement la machine, le tour rituel après un atterrissage et la civière de l’hélicoptère est préparée.
Bien que ce ne soit pas vraiment l’essentiel du moment, je me penche sur la partie administrative du vol et commence à estimer les distances pour les destinations hospitalières potentielles. La désincarcération risque d’être longue.
Le personnel, les pompiers, l’équipe médicale, médecin et infirmier sont calmes, chacun ayant une fonction précise ; l’ensemble s’articule d’une manière ordonnée. Je connais la plupart d’entre eux, nous nous croisons si souvent sur ces accidents routiers. Les minutes passent, une heure, puis deux, j’entends parler d’un chirurgien pour amputer sur place. Finalement, non, il ne viendra pas et s’accélère car l’état du patient se dégrade. Il faut absolument dégager ce "type". Ils finissent par libérer ses chevilles des deux pédales en désarticulant la voiture.
La météo se maintient, bien que le plafond semble diminuer un peu. Le contact téléphonique avec le même prévisionniste ne donne rien de plus
. Nous n’avons toujours pas l’autorisation d’utiliser les moyens électroniques communiquant à bord pour avoir de l’information en temps réel comme peuvent le faire désormais, pas mal de pilotes commerciaux.
Ce manque de moyens se fait cruellement sentir dans ces moments si particuliers où les éléments extérieurs peuvent augmenter la pression sur le transport. Avoir une idée du temps significatif et de la nébulosité en temps réel est essentiel notamment lorsque l’on reste longtemps sur le lieu de l’événement.
2h40 après notre arrivée sur le lieu de l’accident, la destination n’est pas encore connue. Le soleil va bientôt se coucher et j’arriverai sans doute de nuit sur l’hôpital de destination. L’horizon s’estompe et la luminosité décline. C’est la mauvaise période, la zone de transition où il faut faire très attention. Le SAMU m’appelle et m’indique que ce sera un transport vers un hôpital de la capitale qui se situe à environ trente-cinq minutes de vol. Nous installons la civière de l’hélicoptère à bord. La mise en route intervient trois heures après le posé sur le lieu de l’accident, il est 19h15.
Décollage à la limite du jour et de la nuit est : désagréable et il faut redoubler d’attention. Le cap est mis direct sur l’entrée du cheminement hélicoptère pour accéder à cet hôpital. La base de la couche nuageuse s’est transformée en un plafond à 1500 pieds et la visibilité en revanche est bonne. On est entre « chien et loup ». Rapidement, je me considère en vol de nuit et change donc de régime de vol, d’attitude, et de raisonnement de pilotage.
Je contacte par radio un aérodrome à proximité du point d’entrée du cheminement pour m’enquérir d’une dernière météo. Avec la nuit déjà bien installée, j’estime avoir un plafond différent à l’endroit où je me trouve. Les conditions sur cet aérodrome sont correctes, le contrôleur me passe 1800 pieds et huit kilomètres de visibilité, ce qui était initialement prévu.
À cinq nautiques de cet aérodrome ouvert jusqu’à 22h au moins, le plafond diminue vers 1500 pieds. La visibilité horizontale est perturbée et je vois distinctement les lumières au sol se raréfier vers l’avant. C’est net, la visibilité horizontale se dégrade brutalement. J’ouvre de 90° pour préserver de bonnes conditions et je réduis la vitesse vers 100 nœuds. Alors que je ne suis plus qu’à cinq nautiques, le contrôleur me confirme que son terrain est toujours vert ; c’est étonnant mais bien réel !
Je ne vais tout de même pas abandonner avec un patient dans cet état alors que le seul plateau technique se trouve à 10 minutes maintenant ! J’aperçois des barbules traîner à ma hauteur de vol sur ma droite et il est clair que ce phénomène météorologique localisé n’est pas franchissable. Je contacte mon SAMU par radio et lui expose la situation au cas où. Je suis manifestement confronté à un phénomène de basse couche venant se bloquer sur un petit relief, une marche, qui provoque un phénomène sans que personne ne puisse le prévoir ni d’ailleurs le détecter.
Je longe ce phénomène ponctuel trop bas pour moi, mais cela ne donne rien. Il est toujours impossible de prendre le cheminement à cet endroit. J’indique alors au contrôleur que je poursuis vers un autre point d’entrée plus au nord. Il fait désormais bien nuit et la concentration est de mise. Les modes supérieurs de navigation sont dans ce cas une aide précieuse dans ces moments où l’horizon peut se confondre avec le ciel même avec de la visibilité.
Approchant d’une entrée plus au nord, je suis maintenant en contact avec un autre aérodrome assez important de la région et m’inscris dans le cheminement choisi. La visibilité et le plafond sur l’hôpital de destination sont meilleurs et plus conformes à la prévision et cohérent avec le régime de vol dans lequel je suis. Le posé sur l’hôpital intervient à 19h50. Nous avons mis quarante minutes pour le rejoindre en trait d’union rapide de 160 km entre une capitale et sa campagne éloignée.
Parmi un nombre inhabituel de personnes, j’aperçois un homme en vert sur le toit de l’hôpital. J’imagine que c’est un chirurgien à peine sorti d’une autre intervention… Le patient est visiblement dans un état critique.
Rapidement, l’équipe et le blessé disparaissent dans l’ascenseur. La pression retombe. Tout ce qui pourra être fait, le sera ici dans les meilleures conditions.
Laurent KERBRAT
Chef de Base HéliSmur 28
Vos commentaires
# Le 3 juin 2016 à 09:48, par DELAFOSSE En réponse à : Le téléphone sonne, c’est la régulation du SAMU 28
Très bel article qui démontre bien les difficultés et le lot d’improvisations qui se présentent au cours des missions de secours héliporté dites "Primaires", c’est-à-dire, interventions avec sauveteurs et médecins sur les lieux mêmes des accidents.
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