3 mai 1989... Non je ne suis pas mort !

Publication : 30/09/2010 Auteur(s) : Yann

3 mai 1989, 6 h du matin. Le CRESS* Montpellier. Ma machine m’attend sur la DZ Garcia. Dans mes souvenirs, c’est une petite plate-forme au-dessus ou à côté d’un atelier mécanique hélico.

En approche sur la piste du terrain de Bourg-Ceyzériat - Photo © Christophe GothiéJe décolle vers 7h, direction Bourg-en-Bresse. En-dessous, les camions vont plus vite que moi sur l’autoroute. Bon, il y a un peu de mistral.

Vers 10h, je rejoins mon équipe sur le petit terrain de Bourg-Ceyzériat. Je procède à des essais ; rien ne fonctionne. On a l’habitude !
J’enfile le bleu de travail et me mets à disposition du mécanicien et du suiveur.

11h30 : Tout marche, bingo !

Bon, que fait-on ? On commence la mission ? Non, 11h30 ; on file casser la croûte.

Vers 13h, début du boulot. 4, 5 heures de vol plus la matinée, je ne sais plus.

18h30 : Je donne rendez-vous à mon équipe sur une petite DZ pour nettoyer la machine, ranger et filer à l’hôtel car je suis debout depuis 4h30 ce matin et une douce torpeur me gagne.

Ok, on file.

Survol des alentours de Bourg-Ceyzériat - Photo © Christophe GothiéUne voiture arrive et stoppe, trois techniciens en sortent. Une discussion s’engage. Je ne peux pas repartir ! Mais les trois continuent à me harceler : « C’est un gros client et toute sa famille est là pour voir l’acrobate  ».
D’habitude, je ne cède jamais car je me suis déjà fait moult frayeurs en volant malgré la fatigue.
Basta, j’y vais !

Je décolle, la parcelle est à 5-6 minutes... Je cherche ma carte ; merde, je l’ai oubliée ! Bordel, si je retourne là-bas je les envoie balader et je file à l’hôtel. J’insiste un peu, j’essaie de mémoire de me rappeler l’emplacement. Là-dessous, la parcelle.
Plein petit pas, un virage, je sors du virage et là, devant moi, une ligne de 25.000 volts, je ne peux pas passer, poussée d’adrénaline, je coupe. Une étincelle puis plus rien…

Je veux sortir de la machine mais mes bras et mes jambes ne fonctionnent plus. Je veux crier au secours mais ma bouche ne parvient pas à sortir le moindre son, du sang dégouline dans ma nuque et sur mes épaules. Je vois mon pied coincé dans les palonniers, il est à l’envers, je devrais avoir mal mais je ne sens rien. Derrière et dessous mon genou, un truc étrange sort, on dirait un os, c’est un os.

J’entends des gens crier : « N’approchez pas, ça va exploser  »
Et moi alors ! Venez me sortir de là ! Mais ce n’est qu’une pensée car les mots ne veulent pas sortir.

« De toute façon, il est mort, inutile d’approcher »

Mais je ne suis pas mort ! A moins que… Je panique, j’ai peur. Taisez-vous, ne dites pas ça !

Un type avec des bottes en cuir s’approche, je ne le vois pas, je vois juste ses bottes, il me parle doucement, il me rassure. Un pompier ; je me détends.

Je les regarde me désincarcérer à coups de pince et de tenaille. Je ne dis rien, je ne peux pas de toute façon, je ne sens rien. Puis des ciseaux découpent mes chaussures, mon pantalon... Quelle horreur ! Un pantin… Je suis un pantin. Tout est brisé.

On installe une coque à côté de l’épave ; je sens des mains partout sur moi. 1, 2, je n’entendrais pas le trois... J’ouvre un œil, je suis là dans un couloir, c’est blanc… Un chirurgien me parle. Je lui demande de me laisser mourir. Il ne l’a pas fait…

J’ai mis dix ans pour réapprendre à marcher, ce que je ne fais toujours pas très bien.

J’ai mis vingt ans pour réapprendre à voler. Aujourd’hui, je vole et je crois que je le fais bien.

(*) Chambre Régionale de l’Economie Sociale et Solidaire

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