Valérie André : Elle a étonné l’Indochine
samedi 31 octobre 2020
Article du journal Constellation n° 63 vu en français du 1er juillet 1953 par J RESTIER - Trois cents grands blessés doivent la vie à Mlle Hélicoptère
Le pare-brise baissé sur le capot, la jeep vient de virer très sec devant l’hôtel Métropole pour s’engager dans l’avenue Paul-Bert, à Hanoï. Une jeune en chemisier blanc, en pantalon de gabardine beige, aux cheveux courts, est au volant. Tout a coup, une voix l’interpelle :
– Hep là ! mademoiselle Hélicoptère ! Arrêtez-vous...
Un soldat coiffé d’un képi blanc agite désespérément une de ses béquilles pour se faire repérer au milieu des cyclopousses qui encombrent la chaussée. La jeune fille a tourné la tête. Elle a perçu l’appel et stoppe. Le moteur tourne encore, tandis que le légionnaire accourt en claudicant.
– Où vas-tu ? demande la jeune femme.
Le militaire rougit. Il a le sentiment d’avoir commis un impair. Il y a eu malentendu.
– Je ne fais pas de l’autostop, mon capitaine », dit-il. lit ramenant ses deux béquilles le long du corps, dans un garde- à-vous discipliné, il se présente . « Caporal Le Quellec, du 3e bataillon parachutiste de la Légion. Nous étions à Hoa-binh. Vous vous rappelez, mon capitaine ? Vous m’avez ramené dans votre appareil avec un Vietnamien. Lui, il est mort. Moi, j’y ai laissé ma jambe, mais vous m’avez sauvé la vie.
Puis il ajoute très vite, et comme gêné :
– Excusez-moi, mademoiselle Hélicoptère, de vous avoir arrêtée. J’avais tellement envie de vous dire merci...
Mlle Valérie André, médecin-pilote d’hélicoptère, est un des soldats les plus populaires d’Indochine. Beaucoup ignorent son nom, mais tout le monde la connaît. Près de 300 blessés lui doivent la vie.
Après 330 heures de vol et 165 évacuations, elle vient de regagner la France pour la deuxième fois en quatre ans d’Indochine, et pour une permission de quelques mois. A son arrivée, Valérie André était reçue officiellement par le général Vallin de l’armée de l’air. Le général s’enquit, avant la réception, de la décoration qu’il pourrait bien lui accorder. « Inutile, elle les a toutes », lui répondit son aide de camp.
Ce jour-là, le poste de Muong-na, dans le Nord-Laos, appela par radio. Une épidémie de typhus venait d’éclater. Le service de santé décida aussitôt de larguer des médicaments et un docteur. A cette époque, il n’y avait pas encore d’hélicoptères, et Mlle André était breveté parachutiste. Elle fut désignée pour sauter. Car les routes qui conduisaient à Muong-na étaient tenues par les Viets.
Le Dakota partit d’Hanoï et le parachutage eut lieu dans l’après-midi. A chaque passage à ras du sol, l’avion larguait, dans la « dropping-zone » du poste, les colis qui, l’un après l’autre, se balançaient au bout de parachutes de couleurs. Soudain, dans le ciel, éclata une voilure camouflée de vert : Mlle André venait de sauter en dernier.
Quand elle toucha le sol un sergent accourut. Il se tenait auprès d’elle, stupéfait, sans faire un geste. Un lieutenant survint :
– Alors, dit-il à l’homme, tu ne peux pas aider le docteur à détacher ses sangles ?
Le pauvre garçon bredouilla, confus :
– Mais, j’attendais un homme !
Moi aussi, j’attendais un homme. C’était dans le salon d’un hôtel parisien, et Mlle André, qui faisait un court séjour dans la capitale avant de partir pour la Côte d’Azur, m’y avait donné rendez-vous. Elle arriva en s’excusant presque :
– J’essayais une robe chez ma couturière, dit-elle. C’est toujours très long un essayage, avec moi. Ce n’est pas que je sois particulièrement coquette, mais j’ail perdu l’habitude de m’habiller et toutes les jupes me vont mal...
Je la regardai, étonné. D’allure timide, toute menue, avec un visage hâlé, à peine maquillé, mais très féminin, avec ses cheveux tombant en boucles sur son front et sa nuque, Valérie André ! n’avait rien de militaire. On ne porte pas pendant quatre ans une combinaison de vol et un chapeau de brousse sans être dépaysée dans un tailleur.
A 18 ans, Valérie André, Alsacienne de Strasbourg, avait choisi de devenir chirurgien. Deux ans plus tard, elle faisait du planeur, le dimanche, tout en poursuivant ses études médicales à Paris. Pour préparer une thèse, « la psychopathologie du saut en parachute », elle fait du parachute. Elle s’engage enfin dans le corps médical d’Indochine et termine à Saigon ; son doctorat en neurochirurgie.
A l’hôpital Costes, elle est, comme les autres chirurgiens, de toutes les urgences. Comme eux, elle prend la garde de jour et de nuit. Elle voit arriver des blessés, dans les ambulances, couverts de la poussière rouge des routes. Jusque dans le bloc opératoire elle perçoit le bruit et l’odeur des combats. Elle est devenue « patronne ». Elle opère seule, désormais, avec son équipe chirurgicale.
Une nuit, Valérie André était de garde quand, vers 1 heure du matin, on amena un Vietnamien (...)




