« Mlle ANDRÉ du Tonkin », capitaine, chirurgien, parachutiste et pilote d’hélicoptère
mercredi 21 avril 2021
Article du journal CAMBODGE - 6 mars 1953 par Claude GUIGUES, correspondant de guerre de l’hebdomadaire Samedi soir
Muong Nga appelle. Muong Nga est un poste du Nord-Laos, là- haut, dans les montagnes, vers la frontière de Chine. Une épidémie de typhus s’y est déclarée. Il faut y envoyer un médecin, des médicaments. Mais il n’existe qu’un seul moyen d’atteindre le poste, à celle époque : le parachute.
A l’aube, de Saigon, un Dakota emmène un médecin-capitaine. C’est une jeune fille, Mlle André. Le parachutage a lieu l’après-midi. Tous les colis, les uns après les autres sont largués, courrier vivres, médicaments, le matériel de la capitaine. Elle sort la dernière. Au sol, un sergent, hébété, regarde ce drôle de médecin, il n’en croit pas ses yeux. Un lieutenant arrive à cheval.
— Tu ne peux pas aider le docteur à se détacher ?
Le pauvre garçon ne peut que répondre.
— Mais j’attendais un homme ?
On attendait un homme
« On attendait un homme », c’est ce qu’au début de ses missions, seule en hélicoptère, la capitaine André lisait dans les yeux étonnés de tous les hommes des postes des points d’appuis des groupes mobiles chez qui elle atterrissait. Maintenant, on n’attend plus un homme. Tout le monde connait Mlle André, au Tonkin.
Elle n’a rien de masculin d’ailleurs son pantalon de gabardine beige, son chemisier blanc, net, ne lui enlèvent rien de sa féminité. Celle tenue, indispensable pour sauter dans les Jeep, pour enfiler rapidement sur ses vêtements la combinaison de vol, lorsque l’ordre de décoller arrive, pourrait être une coquetterie. Petite très mince ce qui frappe en elle, c’est la masse magnifique de ses courts cheveux châtains qui boulent autour de son visage mat sur son front sur sa nuque. Et ses yeux châtains aussi, toujours en mouvement. Un rouge à lèvres léger met en valeur des dents remarquables qui adoucissent comme la voix étonnamment feutrée, des traits un peu durs.
Je serai pilote d’hélicoptère
Répondant aux questions, dans ce bar bruyant de l’aéroport l’ennuie visiblement. Tout en fumant et en buvant son café au lait bien chaud - il pleut et il fait froid - pelotonnée dans la « field-jacket » qu’elle a passée sur ses épaules, à chaque phrase elle ajoute « Je crois que je vous en ai assez dit ».
Alsacienne de Strasbourg, elle a fait ses études de médecine à Paris. Dès son doctorat, elle s’engage dans le corps médical des Forces Extrême-Orient, déjà elle est révélée parachutiste à la suite d’un stage qu’elle a accompli comme médecin avec les jeunes IPSA à la Préparation militaire.
A Saigon, elle profite de son séjour à l’hôpital Coste où elle est affectée pour passer son doctorat en neurochirurgie. Au bout d’un an, en Janvier 1950, elle renvient en France ; il faut qu’elle réalise le rêve qui la hante, être pilote d’hélicoptère.
Elle « monte » au Tonkin en Novembre 1951 avec le capitaine Santini chef de la section hélicoptère pour une mission de huit jours. De huit jours seulement, car le service de Santé ne veut pas la laisser partir.
Les huit jours ne sont pas terminés. Il y a eu la bataille d’hiver de la Rivière noire. Elle partit avec Santini pour préparer les blessés les plus graves au transport. C’est ainsi qu’elle est restée bloquée huit jours à Ap Da Chong en pleine bagarre parce que le Hiller de Santini, le seul hélicoptère disponible à ce moment crucial, était tombé en pane à Trong-A au cours d’une rotation.
64 missions 100 blessés sauvés
Après la Rivière Noire et Hao-Binh, il y a eu les opérations du printemps, dans le Delta tonkinois. Le capitaine Santini poursuivait, aux rares moments de répit, l’entrainement de son équipière. En Mai 1952, il la « lâchait ».
Depuis cette époque, Valérie André a accompli soixante-quatre missions seule à bord de son appareil. Cela représentait une centaine de blessés sauvés, pas toujours dans des conditions extrêmement faciles. Malgré les instructions, les troupes ne savent pas encore très bien préparer ou choisir l’aire d’atterrissage de l’hélicoptère. Ceux qui demandent du secours oublient que l’appareil, surtout s’il est chargé, ne décolle pas réellement à la verticale, il s’élève d’un mètre cinquante puis il lui faut un palier d’une trentaine de mètres pour prendre sa hauteur. Les aires préparées sont souvent de véritables puits. Un jour, Mlle André a dû se poser sur les panneaux baliseurs. Comme les panneaux n’avaient pas été attachés, ils s’enroulèrent dans les pales des rotors.
Et puis les sauvetages ont souvent lieu en pleine opérations. Quand le secteur est trop exposé deux, quatre ou six chasseurs protègent la mission. L’avantage est que le pilote peut rester en relation avec ses escorteurs. Si le temps est douteux, les chasseurs servent de guide pour éviter les grains. Ce qui est moins agréable c’est que les chasseurs font un tel bruit que tout le cortège est aussitôt repéré...
Il fait peu de bruit le « Hiller » de Mlle André. Mais lorsque les balles sifflent et que les obus des mortiers secouent l’air, elle préfèrerait qu’il en fit un peu plus juste assez pour ne pas entendre les éclatements, pour ne pas noter le départ de l’obus... Un jour, une balle a traversé le couvercle de la civière d’un blessé juste au-dessus de sa tête.
Mais le plus mauvais souvenir de la capitaine date de ce jour de Juillet dernier, où elle avait déposé son blessé à l’hôpital chirurgical de Nam Dinh dans le sud du delta du Fleuve rouge. Elle revenait seule vers Hanoï lorsqu’elle entend un éclatement suspect, puis quelques secondes après, un sourd. Elle n’a que le temps de passer en autorotation, c’est-à-dire de permettre au rotor de tourner sans moteur uniquement grâce au vent relatif. Il y a là un instant décisif, Si la manœuvre est exécutée trop tard, le rotor freine et l’appareil s’écrase au sol. Valérie André l’a réussi. En bas, une route. Un vent contraire l’entraîne vers la rivière. Toute la volonté de la jeune femme est tendue vers un seul but, se poser sur la route. Elle y parvient. Au bout de quelques minutes, des Dodge et des half-tracks de troupes en opération dans le secteur viennent la tirer de là elle et son appareil. C était son bolier de ventilateur qui avait brûlé. Par la perfection de sa manœuvre, la jeune pilote avait prouvé sa classe.
Dans le petit bureau, au fond du hangar du terrain de Gia-Lam à la périphérie de Hanoï, ils sont là à attendre les pilotes d’hélicoptères. Iis attendent que la météo leur permettre de décoller. 2 demandes de secours ont été reçues par téléphone, mais invariablement, à chaque appel, la météo répond « Temps bouché grains ».
On devine qu’il y a là une femme. Sur un tabouret de bois, une gerbe de glaïeuls illumine la pièce austère faites de tables rondes, d’une armoire, d’un téléphone de campagne dans son étui de cuir. Au mur, une immense carte du Delta et de son pourtour étale son fouillis de noms.
Ils attendent : la capitaine André, qui fume « Camel » sur « Camel », le capitaine Santini, l’adjudant Bartier (l’homme et aux 6oo millions de Morane et 10e hélicoptère « Hiller », chevalier de la Légion d’honneur Médaille militaire.. ) et les deux capitaines qui viennent d’arriver du stage d’Angleterre pour piloter les nouveaux appareils les « Sikorsky », invariablement la météo répond aux appels de Santini : « Temps bouché, plafond tant de dixièmes, visibilité ; tant des grains ». Là-bas dans des postes, des hommes espèrent l’hélicoptère comme le Messie. Tout à l’heure, il y aura une éclaircie, le « Sikorsky » partira.
Et cette année, les hommes n’attendront plus en vain devant un ciel dégagé comme souvent l’an dernier. Même lorsque les opérations de l’hiver auront repris. De nouveaux appareils sont arrivés qui permettront de répondre à toutes les demandes. Il y a deux « Hiller » au Tonkin et trois en Cochinchine. Cinq « Sikorsky » ont été livrés dans le Nord et quatre dans le Sud. Huit nouveaux pilotes viennent de débarquer. Peut-être ces hommes qui seront sauvés, devront-ils la vie à ceux qui, le Santini, les Bartier, le capitaines André, ont prouvé leurs qualités, leur dévouement, quels immenses services hélicoptères pouvaient rendre en Indochine. (...) Source