Cette fille "du tonnerre" !, c’est le capitaine André
samedi 13 novembre 2021
Pilote d’hélicoptère, et médecin parachutiste qui soigne et opère en plein milieu des combats de la jungle indochinoise - Article "Ici Paris Hebdo" du 21 janvier 1952 par Pierre Voisin
Venant de quitter l’Indochine où il ne devait plus revenir, le général de Lattre de Tassigny a voulu, au cours d’une prise d’armes particulièrement brillante, dans le plus beau cadre de Saigon,
la cour d’honneur du palais Norodom, honorer neuf femmes-soldats, et parmi elles un étonnant et séduisant héros, le médecin-capitaine André Valérie — de son vrai nom Edmée Valérie.
L’admirable et longue citation à l’ordre de l’armée qui accompagne sa Croix de guerre avec palme résume l’activité de cette jeune Strasbourgeoise de vingt-huit ans, qui semble n’avoir qu’un but : soigner et servir. Elle a accompli ses exploits, car c’est bien d’exploits qu’il s’agit, dans des conditions si exceptionnelles, avec tant de courage, de sang-froid, de résistance physique, d’audace et de gaieté, qu’on imagine volontiers un robuste garçon manqué, le verbe haut et roulant des épaules.
Valérie André, qui est-ce un poids jockey — quarante-huit kilos. Des boucles brunes encadrant un fin visage expressif où l’on ne voit d’abord qu’un magnifique et lumineux regard, et dans ce corps qui semble frêle, une énergie à tout casser. Elle l’emploiera à soigner les cassures des autres. Deux vocations qui vont merveilleusement se compléter : la médecine, et de celle qui réclame le plus de maîtrise, la neuro-chirurgie ; et l’aviation, et celle qui permet justement de sauver le plus de vies : l’hélicoptère. Quatre garçons, trois élèves comme elle et leur moniteur, ont vécu un mois avec Valérie dans la fraternelle intimité d’un stage et avec un but commun : le brevet de pilote d’hélicoptère. Ils n’ont qu’un mot pour qualifier leur collègue, une fille du tonnerre.
Et ils s’expliquent : — Bien entendu, pas un mot. Elle a horreur des journalistes, des photographes, de la publicité. Lorsqu’elle a passé son brevet, premier pilote française d’hélicoptère, on a eu toutes les peines du monde à lui « tirer le portrait ». » Oui, une fille épatante, simple, discrète, impeccable, acceptant d’être chahutée en copain, mais sachant remettre gentiment au pas ceux qui tentaient du « rentre dedans ». Un esprit de répartie terrible, une gaieté constante, une résistance physique étonnante derrière sa fragilité apparente, appliquée au travail, progressant sans à-coup... Oui, ce stage d’août 1950, à Cormeilles-en-Vexin, fut, grâce à elle, un stage épatant. »
Et M. Onde, son moniteur, qui ne cache pas sa fierté émue devant les exploits de son poussin, me raconte cette anecdote charmante. — Il fait chaud, au mois d’août. Un jour que le goudron de la piste s’était liquéfié, j’aperçois, au cours d’un vol immobile, un corbeau qui s’y était englué les pattes et battait des ailes désespérément. Nous, de rire. Mais pas Valérie. Elle est allée chercher la trousse chirurgicale du terrain, elle a dégagé la bestiole, l’a amputée de deux serres cassées, l’a pansée et lui a rendu la liberté. Le corbeau l’a remerciée d’un croassement superbe et nous sommes restés tout bêtes. Eh bien ! monsieur, c’est justement ce qu’elle fait en Indochine. Elle arrache les blessés à la boue des rizières, elle opère en plein vent mais aussi en plein feu et, sa journée faite, soigne encore les nhaqués qui, une heure avant, lui tiraient peut-être dessus à l’abri d’une couple de buffles. Du tonnerre, voilà.
Si le médecin-capitaine André voulait parler... d’elle, elle raconterait cet impérieux amour de l’air qui la prit tout enfant, son petit nez levé vers les avions qui survolaient Strasbourg, son baptême de l’air à treize ans et l’enthousiasme sacré qui la saisit, ses premières leçons de pilotage à dix-sept ans, interrompues par la guerre, le vol à voile à Bourrasol, le « lâcher » à Beynes, ses onze sauts en parachute à Mitry-Mory, ses neufs sauts opérationnels en Indochine où, plongeant la première, elle atterrissait toujours la dernière parce que ses quarante-huit kilos ne « faisaient pas le poids » et qu’on n’a pas encore inventé le parachute pour chirurgien-plume, des vols en « antenne chirurgicale » sur des hélicoptères pilotés par d’autres. C’est alors, devant la révélation des immenses services rendus par l’hélicoptère pour tirer les blessés de la jungle, qu’à peine rentrée en France, elle apprend à le piloter, passe son brevet sans coup férir, repart pour le combat contre la mort. Mais le médecin-capitaine André n’aime pas parler de ses actions d’éclat. Il faut raconter à sa place. LaisChau, capitale du pays Thaï perdu dans ses montagnes et encerclée par les Viets. Mais les Thaïs nous sont fidèles. Ils haïssent les Viets qui les extermineraient si nous les abandonnions à eux-mêmes. Déjà, l’abandon de Lao-Kaï, impossible à tenir après l’affaire de Cao-Bang, avait porté un rude coup à notre prestige et à leur moral. Maintenant, il faut tenir et barrer à l’ennemi la route du Haut-Laos. Valérie André se fait parachuter avec l’antenne n° 4 et, au cours de quinze jours de furieux combat, opère dix blessés, presque tous gravement atteints, et les sauve. Travail normal, lui semble-t-il, comme les vingt-huit interventions de Tien-Yen, comme les opérations sous le feu de Ha-tien. Mais là où elle a vraiment « forcé le jeu », c’est dans l’aventure de Muong-Ngat. Imaginez un poste du Haut-Laos perdu

Le grand soldat qui a dormi ces dernières nuits sous le dôme des Invalides et l’Arc de Triomphe d’un sommeil éternel, accrochait, voici quelques semaines, une Croix de guerre avec palmes sur cette mince poitrine et ce cœur indomptable. Et c’est avec un sourire de père ému qu’il l’embrassa.

