... C’est ainsi que parti joyeux pour un vol sans histoires, nous rentrions plus vite que prévu, choqués, égratignés, et en téléphérique. Notre Alouette était restée au Moucherotte, endommagée, blessée, mais il était impensable de l’abandonner. Elle pouvait être remise en état ; tout au moins des pièces essentielles pouvaient être récupérées. Et puis c’était la seule Alouette du Groupement, celle de Grenoble, la nôtre. Il n’était pas vraiment question de la laisser là-haut. Le concours d’un Sikorsky de la base militaire du Bourget-du-Lac fut obtenu. Dès le 16 au matin, revenus sur les lieux qui à pied, qui en téléphérique, d’autres en Jeep, nous démontons l’Alouette en plusieurs parties. Tour à tour, la turbine, la boite de transmission, le mat rotor, ce qui reste des pales et de l’empennage sont chargés dans l’appareil de l’armée de l’Air et descendus à Eybens ou il n’est plus question d’inventaire. Le dernier voyage concerne la cabine à laquelle est encore rattachée la structure centrale enfermant le réservoir. C’est la partie de notre Alouette la plus personnalisée.
C’est là-dedans que nous avons tous vécu des moments inoubliables, c’est là qu’on peut encore lire ces deux mots qui sont notre raison d’être “Protection civile“, là que s’inscrit l’immatriculation, le petit nom de notre machine : F-BIFM. Mais c’est un trop gros morceau pour la soute du Sikorsky aussi ventru qu’il soit. Aussi est-il décidé que l’enlèvement se fera en “cargo-sling”, c’est-à-dire au moyen de câbles fixés sous l’appareil. Sous la direction de Montmasson qui veille sur “sa“ machine comme une mère sur un enfant malade, nous réalisons un croisillon de câbles qui se rejoignent au-dessus de la carcasse de notre malheureuse Alouette. Le Sikorsky vient s’immobiliser au-dessus de nous, et bientôt s’élevant en tendant les câbles, il enlève doucement sa charge dans les airs. Nous regardons s’éloigner l’étrange équipage : cet hélicoptère noir et puissant emportant comme un aigle dans ses serres, notre petite Alouette rouge, qui amputée de ses principaux accessoires fait peine à voir. Brusquement un cri nous échappe. Pour une raison encore mal éclaircie à ce jour, l’anneau de fixation lâche et notre Alouette toute seule, sans défense, en silence, tombe dans le vide, exactement là où nous serions tombés avec elle, si, pourtant placée dans une situation impossible, elle n’avait pas tenu jusqu’au bout avant de chavirer au seul endroit où nous avions une chance de nous en tirer. D’un seul élan, nous courons au bord de la falaise. L’Alouette a déjà disparue dans les bois touffus, impénétrable tapis vert qui s’étend au pied du Moucherotte jusque dans la vallée. Le désespoir de Leplus et de Montmasson est incroyable. Je crois même voir au coin d’un œil une larme furtive. L’Alouette était cassée, cela était dur, mais il en restait encore quelque chose. Ces morceaux, nous étions prêts à les recoller, ces dégâts, à les réparer ; mais là, une chute définitive, cette disparition totale dans les bois, c’était insupportable. Vaincu par ce coup du sort, nous rentrons à Grenoble. Dès le soir la décision est prise, il faut la retrouver.
Le lendemain matin, Leplus, Montmasson, Maret et moi nous remontons en jeep par la route de Saint-Nizier et, plus ou moins sur de nos rapides relevés de la veille, nous gravissons à pied le sentier de la Vie, qui permet d’atteindre à travers bois et éboulis le pied du Moucherotte. Nous cherchons toute la journée, en vain. Dans les fourrés, les ronces, les broussailles, aucune trace de notre Alouette. Ce n’est pas possible ! Un avion Piper Cub, piloté par Henri Giraud, survole à la raser la cime des arbres, mais rentre aussi bredouille. Le soir, le moral n’est pas bon. Aussi c’est avec gratitude que nous apprenons que, le lendemain, tous les effectifs de la section montagne de la CRS 147 de Grenoble viendraient chercher avec nous. (...)
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