Mission de recherche en Côte d’Ivoire avec Valérie André et le Bell 47D F-ZLAG en 1954
mercredi 10 novembre 2021
À LA RECHERCHE DU PIPER DISPARU DANS LES MARÉCAGES AFRICAINS
L’organisation du secours aérien - Article paru dans le journal : Les Ailes, 20 février 1954
Son épave repérée, il fallut, pour ramener les victimes sur la terre ferme, faire appel à un hélicoptère du C.E.V. qu’un Nord-2.501 transporta de Brétigny-sur-Orge à Abidjan !...
La cruelle aventure du Piper-« Cub » F-OAGI de l’Aéro-Club d’Abidjan, parti le 18 janvier de Port-Bouët, à 15 h. 30, et qui ne devait jamais y revenir, nous offre un exemple particulièrement dramatique de ce qui reste à faire dans l’organisation du sauvetage.

On découvre l’épave
Vers 10 heures du matin, l’ « Auster » de M. Euverte, président de l’Aéro-Club d’Abidjan, repérait l’épave du Piper-« Cub » dans un marais, à 6 km. à l’ouest d’Assagny, village situé lui-même à la pointe Ouest de la lagune d’Ebrié, près du canal. Deux colonnes de secours partirent alors, l’une de Dabou, l’autre de Grand-Lahou. Celle-ci débarquait à Assagny et s’aventurait dans la zone marécageuse, cependant que l’autre colonne, guidée par les banderolles lestées que lançaient les avions de secours, entreprenait une marche vers le lieu de chute. La nature de ce lieu, dans les hautes herbes du marais, ne permettait pas le parachutage d’un médecin. Mais les deux colonnes, elles-mêmes, malgré leur ravitaillement parachuté, ne purent continuer. Une troisième colonne, militaire, fut formée et un second avion Dassault-315 prit part aux opérations. La centaine d’hommes, militaires, gendarmes, civils et porteurs avaient rencontré des difficultés effroyables et souvent n’avançaient que d’une cinquantaine de mètres par heure. Le gendarme Tolza et ses pisteurs, parvenus jusqu’à 1.500 mètres seulement de l’épave, se trouvèrent devant un grand marigot infesté de caïmans et demeura sans vivres pendant trente-six heures. Les colonnes qui vinrent ensuite marchèrent dans la vase, enfoncées jusqu’à la poitrine, et littéralement dévorées par les sangsues et les moustiques. Les hommes tombaient parfois dans des trous profonds où ils risquèrent plusieurs fois de périr enlisés. De toute évidence, les sauveteurs montrèrent un courage et une endurance dignes des plus grands éloges mais durent céder devant l’impossible. C’est alors que les organisateurs des secours se tournèrent vers l’hélicoptère.
L’hélicoptère du C.E.V.
Si vous lisez le Manuel de sauvetage établi par l’Organisation Internationale de l’Aviation Civile, vous y verrez que les hélicoptères constituent le matériel idéal de sauvetage lorsque l’accès des naufragés est particulièrement difficile : « Equipés de flotteurs, les hélicoptères peuvent utiliser des plans d’eau ou des marais et même effectuer le sauvetage en faisant du vol stationnaire ».
Une fois de plus, cette indication du manuel allait trouver une application. Le capitaine Larrivière, qui commande l’escadrille de Bamako, et le commandant Robini, de l’aéroport de Port-Bouët*, décidèrent d’en appeler à divers centres pour obtenir un hélicoptère de secours. Malheureusement, il n’y en a pas en A.O.F. Il en existe seulement au Maroc. M. Masson-Régnault, dont on connaît les projets de création de la Société Gyrafrique, se trouvait précisément à Bouaké au moment du drame et recueillit là la preuve que son projet était fort opportun de créer au centre de l’Afrique Noire une base d’hélicoptères assortie d’un Avion permettant de transporter à proximité des lieux d’accident, les moyens de sauvetage, y compris l’hélicoptère, instrument idéal en l’occurrence. C’est une procédure du même ordre qui se déroula alors, mais il fallut s’adresser à la Métropole, au Centre d’essais en vol de Brétigny-sur-Orge, qui compte parmi ses « pensionnaires » toutes sortes d’appareils « en essai », avions et hélicoptères. Il est bon de rappeler, à ce propos, que lorsque des catastrophes aériennes se produisent, les recherches ne sont, en aucun cas, attribuées à l’Armée de l’Air, mais à l’autorité préfectorale, aux résidents, aux gouverneurs. Il appartient seulement au secrétariat d’État à l’Air de fournir les moyens supplémentaires comme il appartient au S.G.A.C.C. de coordonner les recherches.1
Bref, l’A.O.F. demanda un hélicoptère au C.E.V., et ce fut le « Noratlas » N.-2.501. no 8, F-ZXRA, qui emporta l’hélicoptère Bell 47-D, immatriculé F-ZLAG, avec tout l’équipement nécessaire, y compris les flotteurs et les civières. L’équipage était composé du pilote Galland, chef de bord, de Mlle Valérie André, la doctoresse-pilote bien connue, de deux autres pilotes d’hélicoptères du C.E.V., Prost et Petit, des radios Dionnet et Bouton, des mécaniciens Keramouel, Prot et Perrin. Le 20 janvier, le « Noratlas » atterrissait à Alger, où il attendit quatre heures l’ordre de poursuivre sa route. Le 21, à 20 heures, il atteignait Abidjan où le Bell 47-D fut monté. Le matin du 22, on dut attendre la dissipation du brouillard, fréquent en cette saison, pour atteindre le point de chute du Piper-« Cub », trois jours après l’accident.
Dans l’affreux marécage
L’examen du Piper-« Cub », planté dans la vase, témoignait de la violence de l’impact. L’aile gauche paraissait totalement détruite et le fuselage, presque vertical, était rompu au niveau de la queue qui formait avec lui un angle droit. L’hélicoptère, piloté par Prost, ne pouvait se poser là, en raison des hauts herbages dont les éléphants se nourrissent et qui eussent détérioré son rotor arrière. Il fallut poser la machine à cent mètres de là sur un petit îlot dégagé et de nature un peu plus consistante que l’ensemble du marécage. L’adjudant de gendarmerie Marchand, M. Ollier, transporteur, de Dabou, et Ali Boudiou, pisteur réputé d’éléphants, que l’hélicoptère avait déposés sur l’îlot, gagnèrent les restes de l’avion à travers le marécage, dégagèrent les corps des victimes et, en deux allers et retours, les ramenèrent sur l’îlot, près de l’hélicoptère. Les constats établis par les docteurs Valérie André et Vincent prouvèrent que MM. Dat et Danel avaient été tués sur le coup. Le retard apporté à les secourir n’avait donc eu comme conséquence que de prolonger l’espérance et l’angoisse des familles. Nous pensons, avec M. Masson-Regnault, et bien d’autres, que tous les territoires d’Afrique devraient pouvoir en appeler à un hélicoptère pour les accidents de ce genre. Le marécage, comme la haute montagne, restera inaccessible aux avions et nous nous rangeons à l’avis de notre confrère « France-Afrique », d’Abidjan, qui estime que sur les crédits de la Fédération, on pourrait bien dégager quelques millions pour disposer de quelques hélicoptères destinés au sauvetage. Imagine-t-on les tortures que pourraient endurer, en proie à la gangrène, aux insectes, aux fauves, les infortunés occupants d’un avion tombé dans les forêts vierges ou les marigots ? La vie humaine n’a pas de prix, mais la souffrance en a un que nous n’osons mesurer. On peut regretter qu’il ait fallu faire venir un hélicoptère de Seine-et-Oise en Côte d’Ivoire et le déplacer à bord d’un Nord-2.501 pour ramener les corps des victimes. Que de temps, d’argent et d’angoisse on eut épargnés si l’on avait disposé d’un hélicoptère dans la région...
Mais, en revanche, il faut souligner les possibilités immenses de l’aviation a mis en évidence. Le Nord-2-501, ayant accompli sa mission, est reparti d’Abidjan avec l’hélicoptère à son bord, le 25 janvier, à 8 h. 30, et, par Bamako, Dakar, Atar et Casablanca, a rejoint sa base. Il était de retour le lendemain à Brétigny.
E. B. [Edmond Blanc]
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