Les "Alouette" arrivèrent trop tard

dimanche 27 décembre 2020

Article publié dans Aviation magazine du 17 janvier 1957 par Jean Perard
« Noël tragique au mont Blanc ». Ainsi titrait la presse quotidienne au sujet de la disparition d’une cordée de deux alpinistes. La lente agonie et la fin tragique de cette cordée devait provoquer un emploi massif et inhabituel de moyens de sauvetage aériens, dans un terrain difficile, la « haute montagne » et dans des conditions très dures qui exigèrent de la part des sauveteurs qu’ils soient terrestres ou aériens, des efforts extraordinaires.

RELATONS LES FAITS : Le 26 décembre à Chamonix, un alpiniste, M. Dufourmantelle, venait donner l’alerte à la gendarmerie. Ses deux camarades, Jean Vincendon et François Henry partis depuis le 22 décembre pour effectuer la traversée du mont Blanc par le versant de La Brenva ne sont pas de retour à la date prévue ; de plus, la tempête qui sévit sur le versant français fait redouter le pire.

Les guides de Saint-Gervais également alertés organisent une caravane de secours. M. Piraly, guide-chef, se met aussitôt en rapport avec le chef-pilote de l’aérodrome du Fayet, M. Guiron, spécialiste des vols en montagne, pour effectuer un vol de recherches sur le massif du mont Blanc.

Mais le mauvais temps s’oppose à toutes activités.
Les pilotes du Sikorsky H-19 avec à gauche lieutenant Raymond Dupret et à droite sergent-chef Jacques Petetin. Sikorsky H34 SKT 377 en arrière-plan - Photo DRDans la journée du 27 décembre, à la faveur d’une éclaircie, une cordée de deux alpinistes est aperçue à environ 200 mètres au-dessous et au Nord du mont Blanc, cette cordée descendant par le couloir entre le mont Blanc et le mont Maudit évolue avec lenteur dans la neige profonde et semble épuisée. Mais qui sont ces hommes ? Car l’on vient d’apprendre qu’une deuxième cordée, Italienne, composée du célèbre guide Bonatti et du lieutenant Gheser, a également gravi le même versant.
Dans l’après-midi, sur la demande du guide-chef Piraly, un hélicoptère Sikorsky S-55 de la base aérienne du Bourget-du-Lac, piloté par le lieutenant Dupret et le sergent-chef Petetin, se pose au Fayet.
L’appareil décolle aussitôt ayant à bord M. Piraly et effectue un vol de reconnaissance de 45 minutes, le résultat est négatif.

Vers 16 heures, malgré l’aggravation des conditions aérologiques, l’équipage du S-55 décide un deuxième survol du massif, car les deux alpinistes sont de nouveau visibles de Chamonix. Le guide-chef Piraly prend également place à bord pour larguer des couvertures et des vivres.
Malheureusement, cette tentative échoue, le S-55 pris dans le brouillard entre le mont Blanc et le mont Maudit, doit de plus lutter contre des courants extrêmement violents, 22 m/sec. dans les rabattants des rochers de la Tournette et d’autre part les pales du rotor commençaient à givrer, les pilotes Dupret et Petetin ont vraiment fait le maximum.
La cordée Bonatti-Gheser a réussi à redescendre vers l’Italie. Donc les alpinistes repérés hier à Chamonix sont Vincendon et Henry et ils sont vivants.

Ce 28 décembre, l’espoir a fait place au doute. En début d’après-midi, l’Auster, piloté par Firmin Guiron, décolle du terrain du Fayet, à bord se trouve Piraly, qui doit larguer couvertures et vivres près des alpinistes , hélas ! comme la veille, cette mission échoue. Vincendon et Henry s’étant égarés, les colis furent largués trop haut et ceux-ci épuisés ne purent les atteindre.
Pendant ce temps, des renseignements précisant l’emplacement exact de la cordée en détresse est fournie à l’équipage du S-55 qui décolle instantanément avec à bord d’autres colis ; une échelle de corde de 20 mètres est également emportée qui servira à évacuer les deux alpinistes si les conditions aérologiques permettent un vol stationnaire.

Après 45 minutes de vol, le S-55 est de retour au terrain. Imposbilité de se poser dans cette zone très crevassée et bourrée de neige fraîche. Impossibilité de faire un vol stationnaire, l’effet de sol étant inexistant sur un tel terrain ; de plus, les deux alpinistes sont en très mauvaise posture, ils sont maintenant au faite d’une muraille de glace de 300 mètres de haut dominant la Combe Maudite.

Vingt minutes plus tard le S-55 survole de nouveau le lieu du drame ; les colis sont largués et tombent à 50 mètres d’eux, l’un dés messages qui leur est destiné tombe à 20 mètres, ce message rédigé par le guide-chef Piraly leur demande de monter 200 mètres plus haut vers une zone moins crevassée et plus favorable pour une évacuation.
Le Sikorsky attendra donc demain avec son équipage et le colonel Nollet, commandant la base du Bourget-du-Lac.
Si la journée d’hier fut pleine d’espoir, celle d’aujourd’hui 29 décembre s’annonce mal ; dès 8 heures du matin, il neige ; toute activité aérienne se trouve stoppée par une voûte de nuages gris qui stagne à 1.900 mètres.
Vincendon et Henry viennent de passer leur septième nuit sur les flancs du mont Blanc. Tiendront-ils à 4.300 mètres par une température de moins 20° ?
Dans la vallée, l’état-major des sauveteurs, sous l’autorité du chef de bataillon Le Gall, commandant l’Ecole de haute montagne et du colonel Nollet, s’efforce d’établir un plan pour les prochaines tentatives, tant terrestres qu’aériennes.
Soudain, en début d’après-midi, les nuages se dégagent balayés par le vent nord-est. Sans perdre un instant, Dupret et Petetin se trouvent aux commandes et le Sikorsky décolle en direction des Houches, une bonne ascendance et, à 18 m/sec le S-55 grimpe vers l’aiguille du Goûter (3.900 mètres), une couche de nuages le stoppe sous le dôme du Goûter. Après avoir contourné cette couche et pris de l’altitude, l’hélicoptère franchit le col du Dôme (4.260 mètres) et se dirige vers le grand plateau. Vincendon et Henry sont toujours vivants. Au cours des cinq passages les sauveteurs peuvent larguer : duvets, vivres, médicaments, une tente isothermique, ainsi que des bouteilles de thé brûlant et des réchauds, depuis hier les deux alpinistes on réussi à progresser de 150 mètres. Tout ce matériel doit leur permettre de tenir entre 48 heures. Bravo ! pour l’équipage du S-55, ces 40 minutes de vol ont été bien employées.

Il y a du nouveau sur le terrain du Fayet. Un Sikorsky S-58 de 1.400 ch. vient d’arriver du Bourget-du-Lac, avec aux commandes le commandant Santini et l’adjudant Blanc. Rappelons que, le commandant Santini a créé et dirige l’Ecole de pilotage d’hélicoptères du Bourget-du-Lac, c’est de plus un spécialiste du vol en montagne, l’adjudant Blanc est un moniteur pilote spécialisé sur S-58. Donc ce nouveau renfort est particulièrement apprécié ; d’autre part, le S-58 permet d’emporter plus de sauveteurs, quatre et peut-être six au lieu de deux pour le S-55.
Dimanche 30 décembre. — Dès le matin, grande activité sur le terrain : des moniteur de l’E.H M. vont être largués au col du Dôme ; les mécaniciens s’affairent autour des deux hélicoptères, les pilotes vont décoller ; hélas ! vers 9 heures, une couche de nuages s’étale à 1.800 mètres neutralisant toute tentative.
Après avoir fait un vol de reconnaissance à bord de son Auster, le pilote Guiron devait confirmer les craintes de tous.
La nuit tomba, sans que l’éclaircie providentielle se soit manifestée.
Par ailleurs, le célèbre guide Lionel Terray, organise une cordée de secours composée de volontaires et va tenter de rejoindre les alpinistes par les Grands-Mulets.
Dans la matinée du lundi 31 décembre, le S-58 décolle piloté par le commandant Alexi Santini avec à bord le moniteur E.H.M. Honoré Bonnet pour effectuer un vol de reconnaissance sur les possibilités d’atterrissage prés des alpinistes. Ce vol ne fut pas concluant, les conditions aérologiques étant mauvaises.

A 12 h 30, décollage du S-55 piloté par Dupret et Petetin, pour tenter de larguer du matériel.
A la suite d’un message radio lancé par le S-55, le S-58 redécolle à 13 heures pour une nouvelle tentative. A bord se trouve l’équipage habituel ainsi que les deux moniteurs E.H.M., Germain et Bonnet.
Nous attendons avec impatience le message radio qui doit nous prévenir de la réussite où de l’échec. L’heure passe, pas de message, que se passe-t-il ? Voilà le S-55 qui revient se poser ; le commandant Le Gall saute de l’appareil et nous apprend la triste nouvelle. Catastrophe, le S-58 a capoté sur le Grand Plateau en essayant d’atterrir près des deux naufragés. Toutefois son équipage et les deux moniteurs sont indemnes. Nous ignorons les causes de cet accident, il est vraisemblable qu’à l’approche de l’appareil la neige fraîche ait été balayée par le rotor, et lorsque les roues touchèrent, elles durent déraper sur la couche de glace sous-jacente ; de plus cette neige en s’envolant, a du réduire la visibilité au moment où le pilote en avait le plus grand besoin.
13 h 50, le S-55 décolle de nouveau pour larguer le moniteur-chef Chappaz avec du matériel au sommet du dôme du Goûter (4.300 métrés). Dix minutes plus tard le S-55 était de retour, chargeait le moniteur Munster, et vingt minutes plus tard le déposait au sommet avec un traîneau de sauvetage. La troisième rotation permit de déposer les moniteurs Novel et Romand.
Après le regroupement au sommet, Munster et Chappaz descendirent à skis rejoindre l’épave du S-58.
Pendant que Novel et Romand gagnaient l’observatoire Vallot à 4.360 mètres, en jalonnant leur itinéraire de fanions rouges, un message radio nous apprenait que tous étaient indemnes et que Vincendon et Henry avaient été rejoints, vivants, mais souffrant de profondes gelures aux avant-bras et aux jambes. Il restait maintenant à rejoindre l’observatoire Vallot. L’évacuation des deux alpinistes se révéla tout de suite impossible, il aurait fallu quinze hommes pour tirer un traîneau sur les pentes de 45° en neige profonde entre l’épave et Vallot.
Les deux blessés furent installés le plus confortablement possible dans la carlingue du S-58, dans l’attente d’une autre tentative héliportée.
Il reste à évacuer l’équipage du S-58, une cordée composée de Chappaz et Munster, encadrant l’adjudant Blanc, part en direction de Vallot, elle devait l’atteindre à 1 heure du matin. Au cours de ce retour, Blanc devait faire un chute dans une crevasse.
La seconde cordée, formée par Bonnet, le commandant Santini et Germain, s’égara dans les pentes du col du Dôme et dû bivouaquer dans la neige par une température de moins 30°. Ce n’est que le lendemain à 10 heures, qu’elle atteignit l’observatoire Vallot. Voilà pour la caravane héliportée.

Pendant ce temps la caravane de secours conduite par Terray se frayait péniblement une trace vers le refuge des Grands-Mulets où elle devait passer la nuit.
Nous apprenons également que deux hélicoptères à turbine SE-3130 « Alouette » doivent arriver de Mont-de-Marsan pour participer au sauvetage ; les deux « Alouette » redonnent un peu d’espoir car pour ce genre de mission ce matériel est bien supérieur aux Sikorsky utilisés jusqu’alors.
« L’Alouette II » se révèle donc l’appareil type de sauvetage en montagne, il faut se souvenir de l’exploit réalisé en juillet dernier également au mont Blanc, par le pilote Boulet, aux commandes d’une Alouette.

Voilà où en est la situation le 31 décembre au soir, à l’heure où le monde entier s’apprête à fêter joyeusement le Nouvel An.
1er janvier 1957. — Mauvaises conditions pour entreprendre une autre tentative par la voie des airs, d’autre part la cordée franco-suisse de Terray doit renoncer, à cause du froid intense et du vent violent (120 km/h), il ne reste qu’un espoir, l’hélicoptère et le beau temps.

Tout espoir semble perdu ce matin 2 janvier. Il neige à gros flocons sur Chamonix, la montagne est noyée dans les nuages.
Sur le terrain du Fayet, aucune activité : vers 8 heures du matin, le poste de radio de l’observatoire Vallot, où sont réfugiés les six moniteurs et les deux pilotes, entre en contact avec le Fayet.

Le commandant Santini a réussi à récupérer, mais l’adjudant Blanc est toujours sous le coup de sa chute dans la crevasse et est atteint de gelures aux mains et au visage ; les consultations et conseils médicaux sont donnés à la radio par le docteur Dartigue de Chamonix, et le médecin-capitaine Valérie André, également pilote d’hélicoptère, qui vient d’arriver du C.E.V. de Brétigny.

A l’intérieur de l’observatoire, malgré le poêle chauffé au rouge, il fait moins 15°. Au dehors, il fait moins 35° et un vent de 150 km/h.
Il est probable que dans ces conditions Vincendon et Henry ne pourront résister, étant donné leur état d’épuisement.
Vers midi, nous apprenons que les deux « Alouette » sont bloquées à Valence par le brouillard qui sévit sur toute la vallée du Rhône. A Chamonix. la présence de M. Laforest, secrétaire d’Etat à l’Air, et du général Viguier, commandant la 4e Région aérienne, signifie la volonté des autorités de mettre tout en œuvre, en donnant sur place aux responsables tous pouvoirs de décision pour mener à bien ce tragique sauvetage.
Nous apprenons l’arrivée de Jean Boulet, pilote d’essai de l’ « Alouette », accompagné de Gérard Henry, spécialiste du vol en montagne, d’autre part, le pilote Suisse Hermann Geiger, « le pilote des glaciers », annonce son arrivée, il doit tenter un atterrissage sur le Grand Plateau avec son Piper « Super Cub » équipé de skis.

En début d’après-midi, le S-55 décolle pour essayer un largage de matériel à Vallot, mais malgré les risques énormes pris par le sergent-chef Petetin, les efforts de ce dernier restent sans résultats.
Moniteurs Munster et Germain, pilote Gérard Henry et adjudant Garrot aux commandes de l'Alouette N°7, le 2 janvier 1957 - Photo DRDu nouveau, les « Alouette » pilotées l’une, par l’adjudant Garrot et le sergent-chef Safont, l’autre, par l’adjudant Clairaux et le sergent Jean Dailhoux, se posent à Chamonix, l’atterrissage n’étant pas possible sur le terrain du Fayet noyé dans le brouillard à cet instant, Le ciel se dégage et les derniers préparatifs sont faits, le colonel Nollet donne des ordres aux pilotes, pendant que des moniteurs tendent entre les patins des hélicoptères des cordes de montagne qui les empêchent de déraper sur la pente de glace du dôme du Goûter ; pas une seconde n’est perdue.
L’Alouette n° 13 ayant aux commandes l’adjudant Garrot et le sergent-chef Petetin s’apprête à décoller, mais d’un seul coup le brouillard tombe, la montagne disparait, il est 5 heures du soir. Terminé pour aujourd’hui. Cette journée du 3 janvier verra la fin de ce drame de ta montagne ; ce matin le froid est intense, à Chamonix Il fait moins 15° sur la patinoire transformée en héliport. Les deux « Alouette », la n° 13 pilotée par Jean Boulet et la n° 7 pilotée par Gérard Henry vont décoller et, en 1 h. 50, rendront à la vallée et à leur familles les 8 valeureux sauveteurs bloqués à 4.360 m. A 9 heures. Boulet décolle. 15 minutes plus tard, il survole le refuge Vallot, au même instant Henry décolle à son tour, rejoint Boulet qui « tâte l’atmosphère » aux environs de Vallot.
Henry se pose à 9 h. 22, embarque le commandant Santini et s’envole pour Chamonix : à 9 h 34, Boulet se pose ; 6 minutes plus tard, l’adjudant Blanc atterrit à son tour et est dirigé sur l’hôpital de Chamonix. Pendant ce temps l’Auster de Guiron survole les alentours de l’observatoire et fait la liaison radio.
Après avoir décollé de nouveau et ramené à 10 h. les moniteurs Munster et Germain, Boulet repart et embarque Romand et Bonnet : Henry redécolle et évacue les deux derniers sauveteurs, le moniteur chef Chappaz et Novel ; il est 10 h 50.
Là-haut, dans l’épave du S-58, Vincendon et Henry dorment leur dernier sommeil, il n’y a plus personne de vivant sur la montagne
L’opération est terminée.

Adjudant André Blanc
L’adjudant André Blanc, qui vient de s’illustrer tragiquement au cours des opérations de sauvetage des alpinistes Vincendon et Henry, est âgé de 32 ans.
L'adjudant André Blanc - Photo DRMembre du personnel navigant de l’armée de l’Air depuis 1945, il effectue en 1953 un stage de quatre mois au Trias, en vue de s’entraîner au pilotage des hélicoptères. Il sert ensuite en Indochine où il effectue plus de 150 missions, participant notamment à de nombreuses évacuations sanitaires.

Après son retour d’Indochine, il prend part, comme pilote, dans un groupe d’hélicoptères aux opérations en Algérie.

En juillet 1956, il suit un stage en Amérique pour s’adapter au maniement du Sikorsky 58. Enfin, depuis le mois de novembre, il fait partie du personnel d’instruction à l’Ecole de pilotage d’hélicoptères installée au Bourget-du-Lac.

L’adjudant Blanc est titulaire de la Croix de guerre T.O.E. avec trois citations.

De dos Jean Dailhoux, adjudant Garrot et le capitaine Valérie André devant et capitaine Alexis Santini à l'arrière dans l'Alouette 2 sur la patinoire de Chamonix en janvier 1957 avant le retour sur Chambéry Photo DR

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