Les activités en haute-montagne de l’hélicoptère-Service BRIAND

samedi 5 décembre 2020

Article publié dan le magazine "Les Ailes" du 19 octobre 1957
LES AILES ont déjà relaté, dans leur numéro du 4 mai dernier, le bon travail réalisé à la fin de la saison des sports d’hiver à Val-d’Isère par un Bell 47 G2 appartenant à la S. A. Hélicoptère-Service Briand pour le transport accéléré des matériaux nécessaires à l’édification de la station du téléférique du Lac de Tignes. Noire ami Henry Beaubois, au retour d’un séjour en Haute-Savoie où il a vu travailler en haute-montagne les appareils de Jean-Pierre Briand, nous dit quelles ont été, au cours de ces mois derniers, les multiples et remarquables activités de cette entreprise française, trop peu connue du grand public.

Cela a commencé en mars dernier, avec des moyens étonnamment limités : un hélicoptère Fenwick-Bell 47-G2 et deux pilotes. Pour la desserte de ce paradis des skieurs qu’est la station de sports d’hiver de Val-d’Isère, Départ en translation avec la charge élinguée sous l'hélicoptère Bell 47 G2. Celui-ci vient de quitter son podium de chargement - Photo DRdes navettes ont été établies en liaison avec la SNCF entre la gare de Bourg- Saint-Maurice et les champs de neige, les passagers s’embarquant sur le quai même de la gare, promu au rang d’héliport occasionnel.
Des transports de skieurs furent également organisés entre Val-d’Isère et les points de départ des principales pistes de descente qui n’étaient pas desservies par des moyens de remontées mécaniques. Ce fut un
gros succès 1600 passagers en deux mois un succès qui a décidé Jean-Pierre Briand à tirer parti de ce test pour développer de telles liaisons l’hiver prochain non seulement à Val- d’Isère, mais encore à Megève et à l’Alpe-d’Huez. Il disposera alors, bien entendu, de plusieurs appareils. Déjà un second Bell est venu s’adjoindre au premier, au cours de l’été.
Après une prospection minéralogique pleine de promesses effectuées au printemps dans la haute vallée de la Vésubie en vue de la recherche de gisements d’uranium pour le compte du Commissariat à l’Energie Atomique, Direction des Recherches Minières, le Bell de l’Hélicoptère-Service Briand s’est mis au début de l’été, à la disposition des amateurs d’excursions aériennes à Evian, en assurant Pendant trois semaines une liaison aérienne avec Lausanne.
L’appareil décollait d’un podium de 4 m. x 4 m édifié dans le Jardin Anglais et allait se poser, sur flotteurs, sur la rive du port d’Ouchy. La durée de la traversée était de 4 minutes, formalités douanières incluses, contre 45 minutes par bateau. On notera, en passant, qu’il était ainsi mis fin occasionnellement au monopole — datant de Napoléon III — concédé à la Suisse pour le transport de voyageurs à travers le Lac Léman.
Dans le même temps, et dans un site voisin du Chablais, un second Bell permettait aux touristes d’aller admirer du haut des airs, près de Sixt, le site grandiose du Fer-à-Cheval parsemé d’imposantes cascades, dont l’ampleur l’a fait comparer au Cirque de Gavarnie.
Mais c’est dans les massifs alpins eux-mêmes que les hélicoptères de Jean-Pierre Briand devaient surtout donner la mesure de leur efficacité. Chemin faisant, il fut procédé, à la demande de la Fédération de Pêche de l’Isère, à l’alevinage en truites et ombles-chevaliers d’une centaine de lacs de haute montagne, l’appareil se posant sur la rive, ainsi qu’au transport et à la pose de « pipe-lines » destinés soit à l’adduction d’eau dans les alpages insuffisamment Irrigués pour les pacages du Perrier et de Chanteloup (région de Bourg-d’Oisans), soit à la descente du lait depuis ces alpages jusqu’aux fruitières des vallées (conduites en polyéthylène résistant au gel, fabriquées par Kléber-Colombes).

LES REFUGES DE HAUTE-MONTAGNE
Restait alors à exécuter l’essentiel du programme : la reconstruction et le réaménagement des refuges de haute montagne plus ou moins mis à mal Par les forces de la nature ou Par la vétusté, l’hélicoptère assumant le rôle de « mulet volant ». avec cette supériorité écrasante d’un don d’accessibilité exceptionnel, d’une capacité d’emport unitaire au moins trois fois supérieure à celle du « mulet quadrupède » et d’un rythme de rotation sans comparaison.
Déjà, lors de sa campagne de Val-d’Isère, le giravion de l’Hélicoptère-Service Briand avait été utilisé pour le transport de plus de trente tonnes de matériaux entre cette station et un point situé au-dessus du plateau des Tommeuses, à l’altitude de 2.480 m., pour l’édification de la gare de départ du téléférique du Lac de Tignes. A chaque rotation, d’une durée de 4 à 6 minutes, une charge de 300 kg. était ainsi transportée, parfois dans des conditions de visibilité des plus réduites.
Des accords ayant été conclus par l’entreprise Briand avec le Club Alpin Français et les municipalités intéressées qui mirent à sa disposition les ressources nécessaires, on passa au mois de juin à l’offensive, dans le massif de la Meije pour commencer.
Près de La Bérarde, au lieu-dit Les Etages (1.550 m.), fut installée une plate-forme de départ pour la montée des charges au Refuge du Soreiller, à l’altitude 2.900. Charges les plus variées s’il en fut, allant des matériaux de construction à tous les éléments de l’aménagement intérieur nécessaires à l’hébergement de 80 alpinistes : matelas Simmons, cuisinière électrique, vaisselle, verrerie et jusqu’aux produits d’entretien !...
Au total, 20 tonnes transportées en un jour et demi par une seule machine, le brave F-BDLV, qui, le 20 juin, tourna pendant 15 h30, deux pilotes se relayant, sur la base de six rotations/heure, chaque rotation n’exigeant que neuf à dix minutes. Ainsi put être officiellement inauguré avant la fin de la saison estivale ce précieux havre de grâce dans un massif trop souvent à l’ordre du jour de l’« Alpe homicide ».

DE LA MEIJE AU MONT-BLANC
Du massif de la Meije, l’hélicoptère mit ensuite le cap sur celui du Mont-Blanc où l’attendait le plus gros de sa tâche, pour laquelle une seconde machine du même type vint lui prêter main — ou plutôt pale — forte. Objectif : le refuge Albert,1er, dominant le pittoresque village de Montroc, près d’Argentières.
Il s’agissait là de reconstituer en dur une imposante construction de trois étages, plus la toiture, susceptible d’accueillir 130 alpinistes. Total des charges à transporter : 180 tonnes, chiffre record !
Deux hélicoptères et trois pilotes ont suffi pour mener à bien cette variante moderne des travaux d’Hercule en 60 jours — qui ne furent d’ailleurs pas tous « volables » car lorsqu’il s’agit de franchir une « dénivelée » montagneuse de 1.500 mètres, il n’est pas recommandé de jouer à cache-cache avec les barbules, comme disent nos vélivoles.
Le gros œuvre est aujourd’hui terminé et le refuge sera couvert avant l’automne. Pour y parvenir, il fallut, avec les deux Bell, transportant chacun la charge optimum de 200 kg., organiser une véritable noria, l’un chargeant, l’autre déchargeant, si bien que chaque opération de chargement s’effectuait toutes les 240 secondes et que le rythme des rotations quotidiennes, de huit minutes chacune, était de 75 à 600 pour chaque machine. Qui dit mieux ?
La reconstruction du Refuge des Grands Mulets (altitude 3.051) datant de 1897, à laquelle s’attaquèrent ensuite les deux appareils de l’Hélicoptère-Service Briand devait mettre à l’épreuve la dextérité des pilotes, car l’« héliport » d’arrivée choisi comme étant le plus proche du chantier de travail était constitué par une plate-forme de 5 m. x 5 m. située au sommet de l’Arête Wilson. En cinq jours de navettes, les 70 tonnes nécessaires à la confection de la semelle de béton du refuge y furent hissées sans incidents à la cadence de 200 kg. toutes les 7 minutes. Chapeau !
Telles sont les principales réalisations que cette petite entreprise française a pu mener à bien cet été. Encore faudrait- il mentionner ici le transport dans la haute vallée des Arves, en Maurienne dévastée par les inondations du printemps dernier, de 33 tonnes de matériaux et canalisations d’adduction d’eau amenées à pied d’œuvre en un jour et une matinée, ainsi que les navettes effectuées entre le Mont-Lachat et le glacier de Tête-Rousse, à plus de 3.000 mètres, pour l’acheminement du matériel de forage, de chargements de sable et de poutres nécessaires à l’entretien du tunnel d’évacuation des eaux de ce glacier qui, en 1892, dévalant de la montagne, faillirent dévaster la ville de Saint-Gervais, faisant près de 200 victimes sur leur passage.

LE PROGRAMME DE DEMAIN
D’autres travaux demeurent au programme de l’entreprise Briand : reconstruction du refuge de l’Aiguille du Goûter (3.817 m.) et de trois autres refuges dans l’Oisans. Près de Chamonix, pour l’édification des pylônes du nouveau téléférique, une technique inédite doit être mis en œuvre : celle du transport de béton brassé dans une benne spéciale qui déversera directement en vol stationnaire — et combien précis ! — dans les coffrages qui eux-mêmes seront transportés par hélicoptère. D’après l’estimation de Jean- Pierre Briand, il doit être possible, par ce procédé, de couler en un seul jour les embases complètes d’un pylône.

L’HELICOPTERE MOINS CHER QUE LE MULET
De tout ce qui précède, une conclusion s’impose : c’est que l’hélicoptère a d’ores et déjà fait évoluer franchement le problème de la construction en haute montagne ; désormais, pratiquement, les difficultés de transport n’existent plus, et c’est le giravion qui commande aux architectes et entrepreneurs en haute montagne, dictant aux exécutants de la vallée chargés de l’approvisionnement des matières premières les spécifications de poids, d’encombrement et de densité en fonction des propres possibilités de l’hélicoptère.
Un des Bell 47 G2 de l'Hélicoptère Service Briand s'élevant avec sa charge entre deux sommets - Photo DRVoilà ce qu’avec de faibles moyens, mis au service de l’esprit entreprenant et dynamique de son animateur et des aptitudes de sa petite équipe — trois pilotes, dont le chef-pilote Jacques Petetin, qui s’illustra au Mont-Blanc l’hiver dernier, deux mécaniciens, un assistant mécanicien et deux chefs de charge — a pu réaliser, en quelques mois d’une activité ininterrompue, la SA Hélicoptère- Service Briand.
Quant au prix de revient, et malgré la réputation de cherté du giravion, il est sans concurrence, grâce à l’intensité des rotations que seul permet l’hélicoptère. Un Bell peut transporter en un jour au moins 20 tonnes de charges contre 80 kg. pour un mulet — à condition que ce dernier puisse accéder aux mêmes points de destination que le giravion, ce qui est loin d’être toujours le cas. Or la journée de travail d’un mulet et de son muletier coûte quelque 5.000 francs ; dans le cas du refuge des Grands Mulets où le transport devrait s’effectuer à dos d’hommes — et ces portages humains sont de plus en plus difficiles à trouver sur place — une « tonne-porteur » reviendrait à quelque 100.000 francs, alors que le coût de la tonne-hélicoptère n’est que de 50.000 francs. Quant au gain de temps réalisé, il n’est pas exclu d’admettre que dans le cas des refuges de haute montagne, il peut se chiffrer par deux ou trois ans... Et cela aussi n’a-t-il pas son prix ?

Henry BEAUBOIS
Membre de la Commission de Giraviation de l’Aéro-Club de France

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