Cormeilles Helicop-Air, la première école française de giraviation en 1950
mardi 22 novembre 2022
Un article de Guy Michelet, paru dans le numéro 4 d’Aviation Magazine (15 juin 1950), dans lequel est annoncée la venue d’une stagiaire hors norme : Valérie André.
Depuis plusieurs mois, la société Helicop-air, qui représente les hélicoptères Hiller en France, s’est installée dans un hangar de l’aérodrome de Cormeilles-en-Vexin. Et chaque jour, les paysans qui vont aux champs regardent voler, d’un œil déjà blasé, ces insectes à moteur, dont le bruit, lorsqu’ils se déplacent, n’est pas sans évoquer celui d’une puissante batteuse. Ces paysans seraient sans doute bien surpris d’apprendre que, dans certaines régions de la France, la seule annonce de la participation d’un hélicoptère à un meeting suffit à attirer la grande foule...
C’est Henri Boris qui est le dynamique animateur de la société Helicop-air. En quelques mois, lui-même et ses pilotes ont promené, sous tous les ciels de France, leurs hélicoptères. Ils ont participé à des meetings, à des manœuvres en montagne, à des démonstrations de sauvetage en mer, sur les fleuves, remorqué des skieurs nautiques et même... dansé des ballets sous la direction de Serge Lifar.
L’hélicoptère Hiller est une machine aux étonnantes possibilités. Non seulement il est le plus simple à piloter, mais encore sa conception robuste, j’allais dire rudimentaire, en fait un engin qu’on assimilerait assez volontiers à la Jeep. Les évolutions qu’il permet sont aussi déconcertantes que celles de la populaire voiture, avec cette différence toutefois, qu’elles s’effectuent dans les trois dimensions.
Tous ceux qui ont assisté à la première représentation de l’hélicoptère Hiller à Issy-les-Moulineaux, conservent le souvenir de la sensationnelle performance du chef-pilote Alain Bristow, où des évolutions avaient été effectuées qui semblaient réservées jusque-là à des appareils à voilure fixe, comme des renversements des piqués suivis de ressources serrées, avec des remontées faites avec une vitesse ascensionnelle effarante. Il y a quelques mois, la société Helicop-air décidait d’étendre ses activités et elle ouvrait sur le terrain de Cormeilles la première école civile d’hélicoptères en Europe.
Le raisonnement était excellent. La condition essentielle de vente d’une machine aussi particulière est bien, en effet, qu’il soit possible au client de la piloter lui-même. Jusque-là cette question ne pouvait se poser, puisque les seules écoles existant en Europe étaient strictement militaires et qu’il fallait autrement, se rendre en Amérique pour conquérir le précieux brevet.
Le succès se révéla immédiat et, au cours de l’hiver dernier, M. Boris organise un cocktail en ses bureaux de la rue François-I pour fêter les sept premiers brevetés de giravions (tel est le nom qui a été retenu par les autorités). Des Anglais traversèrent la Manche pour suivre les cours de l’école française, une élève américaine, même, fut brevetée, qui prétendit que cela lui revenait moins cher de venir, de New-York, apprendre à piloter à Cormeilles, que de traverser toute l’Amérique pour prendre des cours en Californie.
Un autre lundi, je décidai de monter à Cormeilles pour répondre, enfin, aux nombreuses invitations qui m’avaient été faites.
Ce fut le chef-pilote André Onde qui me reçut, avec ce sourire de jeune premier que l’on commence à connaître sur de nombreux terrains. C’est lui qui est chargé de l’instruction des élèves et de la direction de
l’école proprement dite.
J’arrivai au bon moment. Deux mécaniciens mettaient la dernière main à un appareil que Boris devait emmener, le soir même à Charleville, cependant qu’on sortait l’hélicoptère-école.
Quatre élèves devaient s’entraîner ce jour-là.
Dès que la machine fut sortie, un premier élève s’installa au poste central, cependant que Onde prenait place à son côté, aviophone en main, pour donner des conseils et indiquer les corrections nécessaires. Le mise en route est instantanée, comparable à celle d’une voiture. Le moteur Franklin vertical tourne du premier coup sur la seule sollicitation du démarreur électrique. Le rotor tourne d’abord lentement, puis accentue sa vitesse progressivement, jusqu’à ce qu’il atteigne celle nécessaire au décollage.
L’élève décolle. L’hélicoptère se soulève d’abord, puis, légèrement cabré, il escalade le ciel, littéralement comme on monte un escalier. Un tour de piste réglementaire et la machine revient face à. nous, pour atterrir. La prise de contact est très douce. Mais Onde ne se montre pas satisfait, car la roue avant à-touché la première. L’atterrissage sera recommencé plusieurs fois, jusqu’à satisfaction totale du moniteur. Bien sûr, cela se fait aussi sur avion. Mais la différence, c’est que en avion, il est nécessaire de refaire un tour de piste complet, tandis qu’avec l’hélicoptère, il suffit de s’élever de quelques mètres verticalement pour recommencer la manœuvre.
Onde me fait signe ensuite. Je ne me fais pas prier et je cours. Onde prend la place du centre, cependant que je m’installe à gauche. Et nous commençons alors le vol de plaisir le plus grisant que j’aie effectué. La montée est vraiment surprenante. Puis c’est un piqué, suivi d’un rase-mottes au-dessus des blés. Ceux-ci, balayés par le souffle du rotor, s’ouvrent à notre passage. Puis Onde nous fait faire une chandelle, suivie d’un renversement, ou peu s’en faut. Pendant de nombreuses minutes c’est une suite d’évolutions serrées, avec virages à. la verticale. La chose est d’autant plus agréable que la visibilité est totale et qu’il n’y a aucune porte sur le côté. Enfin, après quelques minutes de vol stationnaire pour satisfaire le photographe et quelques virages de 360 degrés sur place, 0nde me fait effectuer ce qui m’a semblé le plus exceptionnel. Nous nous déplaçons le long d’un taxiway, mais, au lieu de le faire en marche avant, nous le faisons en volant par côté, le fuselage à 90 degrés de l’axe du chemin. On éprouve une sensation vraiment très curieuse.
Il ne m’appartient pas ici de démontrer les qualités de l’hélicoptère pour le poudrage des récoltes, l’évacuation des blessés ou tout autre emploi utilitaire, Je yeux simplement dire qu’il faut avoir volé au moins une fois en hélicoptère pour connaître des sensations qu’on ne peut découvrir avec aucun autre engin connu.
Mais revenons à l`école de Cormeilles. Six élèves sont actuellement en stage, dont un doit aller piloter å Madagascar, deux en Indochine et un sur la Côte d’Azur où il doit exploiter une affaire d’helicoptères-taxis. Ce projet est d’autant plus intéressant que les Hiller pourront se poser à la porte de certaines propriétés. Une élève est attendue également d’Indochine.
Grâce à sa relative simplicité de pilotage, le Hiller permet des lâchers au bout d’un petit nombre d’heures. Selon Onde, il serait possible de lâcher tous les élèves entre six et huit heures, de les breveter avant, dix heures mais, pour une question d’assurances, ce brevet ne peut actuellement être délivré avant douze heures.
On le voit, il se passe des choses bien intéressantes à Cormeilles. L’hélicoptère en est à son début. Je doute fort qu’il soit appelé à remplacer l’avion ou la voiture, comme certains se plaisent à l’imaginer. C’est un moyen nouveau et complémentaire, aux possibilités étonnantes et qui se développeront encore, sans aucun doute. Déjà, les résultats obtenus sont plus que prometteurs.
Et il faut féliciter la société Helicop-air, et particulièrement M. Boris, d’avoir su aller résolument de l’avant dans une voie nouvelle, et passionnante. Source
Guy MICHELET