1350 rotations pour électrifier les wagons

Publication : 24/06/2012 Auteur(s) : Patrick

Kevin Mormann en discussion avec Alexandre, un de ses Helpeurs - Photo © Patrick GisleMercredi 20 juin s’est achevé en Isère un chantier inédit d’héliportages avec douze journées ininterrompues de rotations.
Cette importante opération de levage faisait partie des travaux d’électrification de la ligne de chemin de fer reliant Grenoble à Chambéry, précisément le tronçon de quarante deux kilomètres allant de Gières au sud, à Montmélian au nord, au pied du massif des Bauges.
Pourquoi donc l’hélicoptère pour œuvrer le long d’une voie ferrée alors qu’il est facile d’y acheminer des wagons grues me direz-vous ?
C’est la société CEGELEC Mobility attributaire du marché de travaux qui a proposé ce moyen de levage original pour pouvoir honorer le délai imposé par Réseaux Ferrés de France (RFF).
Damien Lesur, chef de projet de Cegelec, m’explique que la durée des travaux dans un contexte normal aurait été de six mois, alors qu’il n’en a que trois ! « La ligne n’est coupée que de juin à fin août et doit réouvrir pour la rentrée de septembre... ».
Il s’est donc avérer nécessaire de faire se chevaucher différentes opérations, dont l’acheminement des poteaux avec les travaux sur la voie et la mise en place de nombreux équipements. Or des wagons grues auraient obligé à maintenir la ligne en service tout en la bloquant également pour d’autres opérations. L'AS 350 B3 F-HEIN se positionne - Photo © Patrick Gisle Qui plus est, ce genre de matériel lourds n’étant pas toujours fiable, il fallait trouver un moyen souple, rapide et indépendant du rail : L’hélicoptère s’est alors imposé pour la première fois pour acheminer les poteaux métalliques en H de 6 à 12m de hauteur le long de la voie, à raison de deux tous les 50m ! Leur mise en place restera elle assurée par des engins sur rails (tarière, foreuse, …).
Si on fait les comptes sur quarante deux kilomètres : on arrive à… plus de 1510 poteaux dont 1350 pesant de 450 à 1320 kg l’unité ! Et 1320 kg, c’est la capacité maximal à quelques kilos près avec le minimum de carburant (moins de 200 litres) de l’appareil de référence en l’héliportage : Le fameux "Ecureuil" AS 350 B3 et sa turbine Turbomeca Arriel 2D de 847 cv.

C’est la société Jet Systèms Hélicoptères Service (JSHS), basée à l’aéroport Valence – Chabeuil (LFLU) dans la Drôme qui a été retenue pour cette prestation d’ampleur et à la logistique complexe.
JSHS est une des trois ou quatre plus importantes sociétés de prestations héliportées dans le Sud-Est. La charge est déposée tout en douceur - Photo © Patrick Gisle Elle fut créée en 1987 par Georges Moulin, ancien pilote militaire, médaillé aéronautique aux plus de 20 000 h de vol et dispose d’une base à Clermont-Ferrand, une autre en Corse et une dans la station de Méribel en Savoie.
Son panel d’activité est des plus étendu : hélicoptères bombardiers d’eau pour la Corse du Sud (Ajaccio) et pour l’Ardèche (Privas), Transport de passagers, Visites de lignes ERDF, Baptêmes de l’air, Levage, Photo/vidéo, Reprise de skieurs avec la base hiver de Méribel, Ecole de pilotage privé et Pro depuis 2007.
Huit pilotes œuvrent en permanence plus des vacataires sur une flotte de treize hélicoptères : 2 AS 350 B3, 2 Bell 206, 3 AS 350 BA, 1 AS 350 B, 2 AS 350 B2, 1 Hughes MD 500, 1 EC 130 B4, 1 Agusta 109 Power. Trois pilotes sont spécialisés “levage", deux en visite de lignes et trois en instruction.

Jet Systèms a dû dépêcher une équipe de six personnes dont le pilote pour l’héliportage pendant trois semaines et plus d’une dizaine d’opérateurs de RFF étaient affectés à la sécurité. En effet, outre l’obligation de ne survoler que la voie, il était nécessaire d’avoir une personne à chaque passage à niveau pour actionner les barrières durant les allers-retours de l’hélicoptère.
Quand on sait qu’une rotation dure trois minutes environ, qu’il y en a eu en moyenne cent quinze par jour avec le record, le 19 juin, de 157 poteaux, on imagine l’organisation et la synchronisation nécessaire. Le plus impressionnant reste cependant sans conteste la cadence incroyable imposée au pilote et à sa machine : de six à presque huit heures par jour !
La charge est déposée tout en douceur - Photo © Patrick GisleIl est important de préciser bien sûr que les 1350 poteaux avaient été répartis sur douze DZ aménagées au préalable et distantes d’environ 3,5 km. Leurs positions tenaient en plus compte des routes coupant la vallée, heureusement en nombre limité grâce à la présence parallèle de la rivière Isère, pour ne quasiment pas à avoir à passer au-dessus en charge. Cela oblige en effet à couper la circulation à chaque passage et complique encore les choses. (Je ne vous parle pas de la quantité d’autorisations en plus de celles déjà nécessaire…).
Deux pilotes aussi talentueux que très sympathiques se sont relayés pour ce ballet très soutenu de rotations entre dix et quarante mètres du sol et aux vitesses moyennes de 90 kt (160km/h) à vide et 70 kt maximum en charge (120 km/h). Ils méritent vraiment que je vous les présente :

• Le premier, Julien Tramont est intervenu la première semaine. Agé de 34 ans, il est pilote depuis dix ans, dont deux chez JSHS. Son parcours avec 3200h au compteur est des plus riche et passionnant ; de quoi écrire un vrai livre d’aventure ! :
Le pilote Julien Tramont aux commandes de son AS 350 - Photo © Patrick GisleAide mécanicien en 2001 chez Héli Union Industries, il finance sont PPLH chez JF Concept Air à Toussus-le-Noble. Convaincu qu’il est fait pour l’hélicoptère (ça se voit bien d’ailleurs !), il passe son CPLH chez Helicop’air à Toulouse et chez HdF à Lyon. Il commence sa carrière par deux ans comme navigateur en visites de lignes chez Heli Champagne Ardennes avec les liaisons pour gonfler son compteur d’heures ainsi que des baptêmes et de la photo les week-ends. Puis il passe deux ans chez Biarritz Hélicoptère comme navigateur observateur et pilote sur vols touristiques et techniques.
Le marché français hyper exigeant sur le nombre d’heures pour être pilote Samu, de visite de ligne ou de feux de forêt le pousse alors à partir au Canada où l’hélicoptère est plus répandu et l’embauche en domaines techniques possible dès 500 heures d’expérience. Après sa conversion de licence, Julien a fait ses armes pendant plusieurs années chez Hélicraft 2000 et Abitibi Hélicoptère en visites de lignes, feux de forêts, vols pour études géophysiques, ainsi qu’avec des interventions à l’élingue pour de la prospection minière, du ravitaillement de camp et de l’assemblage de foreuses.
Vérification du treuil de l'AS 350 B3 F-HEIN - Photo © Patrick GisleEn 2009, la crise frappe de plein fouet le Canada et le prive de cyclique. Il part six mois en Nouvelle Calédonie pour une saison de bombardier d’eau et de SAMU. En 2010, à la fin d’une saison de levage pour la Société Espagnole Hélitrans Pyrénées, Julien répond à une annonce de JSHS pour une mission de sécurisation de falaise sur l’île Anglaise de Sainte-Hélène dans l’atlantique Sud. Il est pris, part là-bas en avion puis en bateau avec un mécanicien et un AS 350 B2 démonté dans deux containers. Quatre mois de levage (600 poteaux, du grillage, du béton et diverses autres charges) lui totalisent 130 heures de vol et le font devenir permanent chez JSHS depuis ; il avait diablement assuré !

Le pilote Kevin Mormann aux commandes de l'AS 350 B3 F-HEIN - Photo © Patrick Gisle• Le second pilote qui fera les deux autres tiers du chantier s’appelle Kevin Mormann. Agé de 29 ans, d’une gentillesse et disponibilité à saluer, il totalise déjà 3400h de vols pour seulement six années en professionnel. Etonnant retour aux voies ferrées pour celui qui se destinait depuis tout petit à être conducteur de train !
A 20 ans, titulaire d’un BTS de mécanique Auto, l’armée, à l’issue de ses deux jours, lui annonce que ses résultats de test le prédestinent à être pilote d’hélicoptères à l’ALAT ! C’est le déclic et le challenge, mais sans partir sous le drapeau pour autant ; il rentre chez Azur Hélicoptères à Cannes et passe son PPLH en 50h. Il enchaîne alors en modulaire son CPLH (pro) en 185h sur R22, R44 et AS 350 . Michel de Rohozinski parie sur lui et l’aide à passer son FIH (Pilote Instructeur). Il volera pendant trois ans sous la bannière AH avec 90% de transport de passagers, de l’école et de la photo. Kevin Mormann, toujours aux petits soin avec sa monture ! - Photo © Patrick Gisle Attiré par le vol technique, ce jeune surdoué de nature part une saison chez Yankee Lima Hélicoptères en Corse sur des feux de forêts et passe sa DNC (Déclaration Nationale de Compétence) levage.
Il y a deux ans, il accepte une proposition de JSHS pour intégrer la base de Méribel, puis le siège à Valence. De ses deux activités principales, le transport de passagers et le levage, c’est cette dernière qui l’enthousiaste le plus ; c’est vrai qu’à le voir enchaîner les rotations par centaines, ayant eu la chance de passer trois demi-journées avec lui et son équipe au sol, il impressionne par son talent, à même pas trente ans.

Décollage de l'AS 350 BE F-HEIN aux mains de Kevin - Photo © Patrick GisleLe pilote spécialisé levage resterait à sa base sans son équipe au sol de « Helpeurs », son ravitailleur et pour ce chantier en particulier un responsable de travaux qui coordonne le tout avec les équipes de l’exploitant (SNCF – RFF). Chaque matin, Franck, le responsable JSHS pour ce chantier, doit s’assurer que tout le personnel des chemins de fer est en place à chaque passage à niveau et que toutes les zones d’évolution sont sécurisées. Alors, les deux « réceptionneurs », Florian et Anthony ont le feu vert pour aller sur le ballast se tordre les chevilles et être ventilés bien copieusement toutes les trois minutes sous la pluie ou un soleil de plomb pendant une dure journée. En liaison radio permanente sur une fréquence privée, ils guident le pilote à son point de pose et pour son axe de descente. En quelques secondes, le poteau est allongé sous sa cale en bois pré-installée, le crochet électrique actionné au cyclique et c’est déjà reparti ! Les "Helpeurs" autour de l(AS 350 BE F-HEIN - Photo © Patrick Gisle Julien et Kevin repartent déjà au dépôt plus au nord où les attend Alexandre, élingue en main. En deux secondes, le crochet est à peine saisi que la sangle du poteau est en place et que le B3 F-HEIN s’élève déjà, mettant en tension l’élingue de quinze mètres pour lever son nouveau poteau… L’enchaînement est impressionnant.
Pour garder de la sécurité et de la réserve de puissance, le poids des poteaux étant très variable (tous numérotés avec un ordre précis), il n’est mis que 200-220 litres sur les 540 de capacité du réservoir. Cela permet aussi au pilote de souffler quelques minutes toutes les heures, la turbine étant cependant laissée en rotation. L’avitaillement, c’est la mission d’Axel qui gère une camionnette avec quatre fûts de 200l et une pompe électrique. Vu la consommation de la bête de levage, vous l’aurez compris de l’ordre de 200 litres/heure, il a du aller presque chaque jour faire le plein de kérosène à l’aérodrome du Versoud, situé par chance le long de la ligne dans la vallée du Grésivaudan entre le massif de La Chartreuse et le Massif de Belledonne.

Le 20 juin à 16h, il reste dix poteaux. J’interpelle un gentil curieux pour qu’il trouve de l’eau afin de désaltérer Anthony et Florian, les deux Helpeurs de choc vraiment méritant et épuisés. Il fait plus de 30°C et ils avaient oublié leurs cinq litres d’eau chacun pour l’après-midi... Ce n’est pas quarante deux kilomètres à pieds qu’ils ont fait eux sur du remblai en douze jours, L'AS 350 et sa charge en approche sous un ciel orageux - Photo © Patrick Gisle mais surement trois fois plus ! A 17h30, avec deux jours d’avance sur le prévisionnel, enlèvement filmé du dernier des 1350 poteaux en gare de Domène qui sera déposé trois minutes plus tard 150m avant la gare de Gières, en banlieue de Grenoble sous un soleil écrasant. Kevin remercie toute l’équipe à la radio. Il est « rincé » me dit-il, mais toujours avec le sourire, humble et disponible… chapeau !

Fin de mission
Bravo à toute l’équipe de Jet Systems Hélicoptères Service pour sa performance et son professionnalisme et un grand merci pour m’avoir si chaleureusement accueilli à ses côtés et permis de suivre ce chantier d’exception. Merci également à Damien Lesur de Cegelec Mobility pour son autorisation et ses informations.

Dépose à Laissaud avec Julien
Rotation complète de Kevin à Tencin
Dépose à Tencin avec Kevin
Refioul à Tencin avec Kevin
Dépose à Froges avec Kevin
Dernier poteau à Domène avec Kevin


Photos & vidéos © Patrick Gisle -Tous droits réservés

Vos commentaires

  • Le 24 juin 2012 à 16:07, par Chris En réponse à : 1350 rotations pour électrifier les wagons

    Excellent article, qui démontre bien, que même des pilotes non issus de l’armée peuvent avoir leur place au sein de cette profession, et qu’à force de volonté on peut vivre sa passion.

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    • Le 24 juin 2012 à 19:14, par Chris En réponse à : 1350 rotations pour électrifier les wagons

      Nul n’est besoin une fois de plus d’opposer l’origine des diverses formations !
      Seules sont à saluer et cet article le fait de façon opportune et remarquable :
      • l’esprit d’équipe ou compétence et enthousiasme sont les facteurs du succes de cette opération et
      • l’excellence de la préparation de ce chantier par les divers intervenants ce qui a conduit à sa réussite.
      Chapeau bas pour tous.
      Un Responsable Qualité admiratif.

      Répondre à ce message

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