Une vidéo de 1982, « DRAGON » Métier à risque (Cf. lien en fin d’article), provoque une réminiscence enfouie.
J’ai côtoyé en vol, en stage, au sol tous les protagonistes du film, dignes représentants des Bases de Paris, Granville et Grenoble, je leur dois les belles périodes de ma vie professionnelle, les moments de doute, de détresse, mais aussi et surtout de joie et de partage. Comme le repas du soir, pris au réfectoire de la Base de Paris grâce à la débrouillardise de Monsieur Alejandro. Comme cette chambrée, mise à disposition des jeunes recrues, Pilotes et Mécanos en attente d’affectation qui pour occuper leur disponibilité s’acharnaient en recyclage administratif ou mécanique à l’Échelon central.
Ce campement spartiate, où nous nous sommes parfois entassés jusqu’à six, là où le café du matin avec les derniers potins de la commère se dégustait avec bonheur au bistrot du coin chez le "Père Colzon".
Ces espoirs, ces projets, c’était pour nous : « La Promesse de l’Aube ».
A tous ces compagnons, il en est un particulièrement cher, c’est Monsieur Aubert, mon Patron à Grenoble.
A la Base, déclassé du Personnel Naviguant pour raison de santé, le Groupement Hélicoptère lui offre le poste d’adjoint à la direction de Paris avec déchirement, mais il relève le challenge. Pendant près de vingt ans, je serai à ses côtés.
Un souvenir fort, la négociation entreprise ensemble auprès du SAF pour l’hébergement de la Sécurité civile (personnel et matériel) sur Albertville et Courchevel, pendant la durée des Jeux Olympiques d’hiver 1992.
Instituteur de formation, Monsieur Aubert avait été Pilote de chasse ; le vol sous capote aux instruments était son dada qui tout naturellement le poussait vers la percée au retour des « Evasan », afin de gagner du temps et du confort pour les patients du bord, évitant ainsi le transfert relais routier pour cause météo défavorable au vol à vue.
Pour cela, la connaissance du secteur, les repères dangereux ou utiles répertoriés se révélaient précieux, nous nous alignons au retour des missions ce qui nous permettait de ramener au plus vite blessé et médecin vers le SAMU, augmentant ainsi la chance de survie pour l’un et la disponibilité pour l’autre.
Excellent, Pilote, posé, calme et déterminé, il s’imposait l’obligation de l’entraînement et nous partagions les tâches d’exploitations de données instrumentales :
• Cap, horizon, altimètre pour lui.
• Variomètre, anémomètre, compte-tours rotor pour moi.
Nous amorcions alors la descente d’une vallée repérée au préalable dans un alignement donné qui déterminait le cap, vario -500, badin 150 et c’était parti pour la purée de pois, coton opaque, impalpable, dans lequel on s’enfonçait inexorablement, les dés sont jetés "impressionnant".
Seul recours maintenant, la confiance aux instruments et au Commandant de bord.
Les tours rotors s’amplifient d’un bruit caractéristique, aussitôt ramenés dans les normes d’une légère action sur le « pitch » (pas général). Michel calme la belle mécanique qui s’emballe, sécurité oblige et aussi histoire de montrer qui est le « Maître ».
Lorsque nous arrivions enfin dans le champ de visibilité sous la couche, la machine ruisselante d’humidité et l’attention soutenue des instruments, cela nous demandait environ encore huit à dix secondes afin de réaliser que nous avions percé.
Ce genre d’action nécessite entraînement constant et information précise de certains critères de minima dont le plafond sous couche, la température mini et l’absence de trafic.
Il aimait aussi tester ses réflexes et automatismes et me demandait très souvent de simuler, voir provoquer, pannes et incidents techniques, ses préférées étaient :
• Pannes de servo.
• Témoins de fonction.
• Pannes de démarrage.
• Extinction turbine, dans laquelle il excellait.
Dans le réel, une rupture d’étanchéité d’huile et une extinction turbine nous ont envoyés aux pâquerettes.
Dans les deux cas, pas de tube de garde protection RAC flambé, ni traverse de train à recentrer, un exploit dû au professionnalisme du Pilote sur lequel on pouvait compter.
Il a marqué son passage à la Base, juste, exigeant envers lui-même, nous demandant la réciprocité, confiant dans son équipe, participant toujours à nos agapes, possédant le sens de la formule, la rhétorique étant son domaine de prédilection, tous se souviennent de ses discours officiels ou en finale, il rendait toujours hommage à ses compagnons Mécanos.
J’ai le souvenir d’un homme intransigeant, un vrai Chef respectable et respectueux.
Homme de talent, d’action, audacieux qui par le chemin emprunté, rencontra sa destinée.
S’il trouvait que les maximes étaient l’expression de l’intelligence, en voici une qu’il n’aurait pas désavouée.
« Une bonne maxime est trop dure pour la mâchoire du temps »
Monsieur Aubert a marqué le sien.
• Voir le reportage intitulé : « DRAGON » Métier à risque.