Treuillage de nuit par grand vent

Publication : 5/06/2015 Auteur(s) : François

Un soir d’été 1985, la journée se termine à la base de Marignane (13) ; nous ne sommes pas beaucoup sortis. Heureusement car il fait un vent à décorner les bœufs...
Je donne un coup de main au mécanicien pour rentrer Dragon 131 (l’Alouette 3 de la Sécurité civile).
Il est environ 21 heures et on décide de mettre fin à la garde quand soudain le téléphone d’alerte retentit,
Le pilote décroche :
« Un accident dans Sainte-Victoire ? OK, on décolle ! »
Ce secours fera l'objet d'un article dans la presse locale du 17 août 1985 - Article collection François BOURRILLONEn raccrochant, il me dit qu’on est à la limite de ne plus pouvoir décoller (à cause de l’heure) mais qu’il ne peut pas rentrer chez lui en sachant qu’un pauvre gars va peut-être passer la nuit à souffrir sur un bout de rocher. Il espère simplement que les conditions de sauvetage ne seront pas trop difficiles.
Quelques minutes plus tard, le hangar est ouvert, la machine poussée sur l’aire de décollage, déséquipée en version montagne, le matériel médical embarqué.
La nuit tombe quand on informe la tour de contrôle que nous décollons pour un secours dans Sainte-Victoire. On connaissait bien le chemin. C’était tout droit et on voyait la montagne depuis la base.

Arrivés sur zone, on débute la recherche sans tarder car il fait nuit et le mistral fait rage. Coup de chance, on localise assez vite un alpiniste qui fait de grands signes, à l’aide d’une petite lumière, à proximité d’un autre qui est allongé. On prend contact avec l’équipe de secours en montagne au sol puis on se met d’accord sur l’endroit où seront pris en charge les deux alpinistes.
quelques minutes plus tard, nous nous posons à Saint-Antonin, on embarque deux alpinistes avec leur matériel et on repart pour treuiller tout ce petit monde.
Le pilote effectue son approche au phare car la visibilité est très réduite. Le blessé, qui se trouve quelques dizaines de mètres en dessous, paraît conscient ; il repose sur une petite plate-forme qui surplombe un vide d’une centaine de mètres. Le mécanicien vérifie ma sangle, je m’assois les pieds dans le vide puis la descente en treuillage commence. Je vois par effet stroboscopique dans la lumière du phare l’extrémité des pales très proches de la paroi et quelques frissons me gagnent lorsque j’aperçois le sommet d’un petit pin qui dépasse de la paroi pratiquement au contact des pales !
Lorsque j’arrive au niveau de la plate-forme, je suis dans le vide. Un des alpinistes déjà treuillé se penche (retenu et mis en sécurité par l’autre) pour attraper le câble et m’amener sur la plate-forme ; ouf, j’ai enfin les pieds sur terre ! le pilote m’avait demandé de réduire au minimum les soins autant faire se peut pour ne pas perdre de temps.
Le diagnostic est assez vite fait : fracture du fémur sans autre lésion. Je décide de m’en tenir à poser un voie veineuse pour donner un antalgique, puis, après quelques minutes d’entretien avec le blessé, je lui explique qu’il va être hélitreuillé et évacué
sur Aix mais sans que je puisse l’accompagner car l’hélitreuillage est tellement difficile que le pilote préfère d’abord emporter le brancard (Pratique inhabituelle car la règle est que le médecins soit treuillé d’abord, au cas, éventuellement où il y aurait une autre urgence.
Plusieurs tentatives sont nécessaires pour que les secouristes arrivent à attraper le câble où ils accrochent le brancard que nous regardons s’envoler.
Silence total, le bruit de l’hélico a disparu au loin et on attend qu’il vienne nous récupérer.
Discussion à bâtons rompus avec les alpinistes, plaisir de regarder dans le vide et le noir…
Au bout d’un moment, l’hélicoptère revient. Le blessé a été déposé à l’hôpital d’Aix. Il est minuit.
Il est décidé que je sois treuillé en premier mais après plusieurs tentatives, le câble restant hors de portée et le vent étant trop fort, le risque est jugé trop élevé par le pilote qui décide de nous laisser descendre à pieds !
Il m’avouera après l’intervention que ce treuillage a été un des plus difficiles de sa carrière car le vent tourbillonnant rendait impossible le maintien en stationnaire.
A nouveau le silence mais ce coup-ci on n’attend plus que l’hélico revienne :
« Tu as déjà fait du rappel  » me demande un alpiniste
« Bien sûr »
« Tu as quel niveau en escalade ? »
« Considère que je ne sais pas faire »
« Ok alors on te prend en charge, tu mettras tes pieds et tes mains là où on te dira de le faire car il va falloir escalader pendant un petit moment avant de rejoindre une voie pour la descente ».
C’est à la lumière d’une lampe frontale que je vais entamer une escalade dans la nuit, en sécurité entre les deux alpinistes.
Je ne m’interroge pas sur les risques et, comme d’habitude, je fais confiance aux gens dont ma vie dépend.
Apres une petite heure d’escalade, nous atteignons la voie qui va nous permettre de redescendre.
Entre temps les pompiers ont déployé des moyens d’éclairage (Mitralux) et c’est sur une paroi éclairée en pleine nuit que je vais m’éclater à faire des rappels jusqu’à atteindre un sentier sur lequel il faudra marcher longtemps pour rejoindre le véhicule tout terrain qui nous prend en charge vers 4 heures et nous emmène jusqu’à un champ où, quelle n’est pas ma surprise, l’hélico m’attend :
« Mais vous n’êtes pas rentrés à la base ? »
« On est une équipe et on rentre avec le même équipage que celui qui a quitté la base ! »
Telle fut simplement la réponse du pilote !

C’est vers 5 heures du matin que je rentre me coucher avec quand même une petite fierté pour ce travail correctement accompli.
Voilà ce qu’était l’esprit d’équipe entre un pilote, un mécanicien et un médecin dans une Alouette III.

Vos commentaires

  • Le 6 juin 2015 à 10:46, par DELAFOSSE En réponse à : Treuillage de nuit par grand vent

    Voilà un article comme on aimerait en voir plus souvent...félicitations à l’auteur.

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    • Le 6 juin 2015 à 11:29, par Francois Bourrillon En réponse à : Treuillage de nuit par grand vent

      Merci Francis
      Je ne pense pas avoir eu le plaisir de voler avec toi .J’etais a Marignane d’ou je garde de Marcel(le chef de la base),Jean(instructeur des pilotes)Christian(parti trop tot par accident),Claude(partitrop tot aussi),Jean Marie,...........de souvenirs absolument fantastiques.

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    • Le 6 juin 2015 à 14:03, par Chris En réponse à : Treuillage de nuit par grand vent

      Bienvenue à notre nouvel auteur, François BOURRILLON, ancien médecin urgentiste qui comptabilise près de 1000 heures de vol en primaire. Il nous réserve prochainement bien d’autres récits passionnants sous nos chères voilures tournantes.
      Bonne lecture !
      Chris

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