Héliportage avec Bravo Lima

Mon premier vol en Alouette III

Publication : 17/03/2007 Auteur(s) : Chris


L'Alouette 3 F-MJBL sur la DZ des Bois à Chamonix - Photo © Christophe GothiéDurant l’hiver 1989, je suis amené à intervenir dans le massif du Mont-Blanc pour procéder à l’installation d’une base-radio au refuge d’Argentière (2771 m).
Pour ce faire, mon collègue et moi, avons rendez-vous, au petit matin sur la DZ des Bois à Chamonix. Là, notre taxi nous attend déjà. Son nom : Bravo Lima, la fameuse Alouette III du DAG* de Chamonix. Rutilante et toute de bleu vêtue, je m’approche avec respect de cette « Grande Dame » et déjà les effluves de kérosène pénètrent mes narines, elle paraît vivante...
Gilbert Lebon, le pilote, s’harnache dans le cockpit, ajuste son casque, enfile ses gants de cuir et procède à la check-list ; nous chargeons rapidement notre matériel, dont un groupe électrogène qui nous fournira l’énergie, le temps de notre intervention. Nous sommes aidés par le mécanicien et le responsable de l’opération (nous l’appellerons François).
Soudain, le sifflement caractéristique de la turbine de Bravo Lima réveille la DZ ; rapidement, nous prenons place à bord. François, à gauche du pilote en position centrale, le mécanicien à sa gauche, de notre côté, mon collègue grimpe en position arrière droite et me laisse la position de gauche et déjà, la porte coulissante se referme. Nous voilà équipés de casque radio pour communiquer dans ce vacarme assourdissant. Tout est OK ; d’un geste coordonné sur la commande du « collectif », le pilote augmente le régime moteur tout en tirant légèrement sur le manche et nous nous arrachons du tarmac (Des frissons me parcourent encore le corps à la rédaction de ces lignes...) ; je retrouve instantanément des sensations ressenties, quatre années auparavant, lors de mon baptême sur une Alouette II. Délicatement, notre pilote maintient quelques instants la "Grande Dame" en stationnaire, effectue majestueusement un 180°, puis pousse la commande de pas cyclique vers l’avant afin de prendre la direction de notre destination, le refuge d’argentière.
Le pilote Gilbert Lebon dit "la buse" aux commandes de l'Alouette III F-MJBO (fin des années 80) - Photo André Fatras collection F. DelafosseLe temps est magnifique, mais les prévisions météorologiques annoncent une dégradation au cours de la journée, le timing va être serré. Séquence admiration lorsque nous sommes brusquement éblouis par le soleil ; le pilote baisse instinctivement sa visière tandis que nous survolons très rapidement les glaciers d’un bleu blafard. Nous volons à basse altitude, cela nous permet de distinguer nettement de profondes crevasses sillonnant cette immense langue de glace. Que de bonheur malgré un bruit qui nous vrille les tympans !

Quelques minutes de vols nous permettent d’apercevoir notre destination ; le pilote entreprend son approche permettant de faire une "dépose patin" sur le toit du refuge. Notre vitesse d’approche diminue au fur et à mesure que le refuge grandit dans le plexiglas. Nous retirons notre casque et préparons notre sortie, un moment toujours délicat où la machine est déséquilibrée parce qu’allégée de son chargement. Le mécanicien ouvre la porte avant gauche, saute sur le toit du refuge, et nous ouvre la porte coulissante afin que nous puissions nous extraire plus facilement. Je saute sur le toit enneigé du refuge ; François et le Pilote Gilbert Lebon - Photo © Christophe Gothié le souffle puissant du rotor fait tourbillonner la neige provoquant un blizzard tandis que le sifflement de la turbine m’envahit. Pas le temps de s’imprégner de ces moments forts, nous déchargeons notre matériel prenant bien garde à rester penché pour éviter les pales de Bravo Lima.
L’ensemble du matériel déchargé, le mécanicien remonte à bord tandis que François referme la porte coulissante et lève son pouce verticalement pour indiquer que tout est OK. Le pilote actionne la commande des gaz, lentement, l’Alouette s’arrache de cette DZ improvisée, effectue un 180° et dans un basculement harmonieux, plonge pour retourner à sa base.
Nous restons dans un silence impressionnant contrastant avec le vacarme d’avant... Wouah ! J’adore ce moment si particulier mettant en exergue l’immensité et la beauté du paysage. Nous prenons le temps de contempler le panorama, séquence photos avec mon petit appareil photo, le ciel est d’un bleu profond, mais déjà dans la vallée, les nuages se forment... Notre responsable prend le temps de nous indiquer les différents sommets qui nous entourent. Au loin, sur le flanc d’un des sommets, nous distinguons de petits points noirs se déplaçant lentement (des skieurs en randonnée).
Une splendide vue depuis le toit du refuge - Photo © Christophe GothiéSur 360° tout n’est qu’immensité, calme et volupté ; sur nous, le soleil darde ses rayons bienfaisants, moment d’exaltation ! C’est alors qu’un grondement sourd se fait entendre et tournant la tête, nous découvrons, une énorme avalanche qui se détache d’un des sommets que l’on vient de contempler. Nous restons subjugués devant cette puissance dévastatrice et nous découvrons, avec horreur, que la trajectoire va croiser celle des skieurs en randonnée, aperçus quelques minutes auparavant. Dans un mouvement ralentis, nous assistons impuissants au drame ; la petite colonne est balayée... En professionnel, François attrape son portatif radio et appelle immédiatement ses collègues pour déclencher les secours et leur transmettre les informations précieuses. Nous apprenons, alors, que le gardien de notre refuge possède un chien dressé pour la recherche en avalanche, il lui est demandé de se tenir prêt car l’Alouette est déjà en route pour le récupérer sur le toit avant d’aller sur la zone du drame.

Envahis d’un sentiment d’impuissance, nous nous mettons malgré tout au travail. Le groupe électrogène est mis en route ; je procède à l’installation de l’antenne sur le toit tandis que mon coéquipier descend à l’intérieur du refuge pour s’occuper du branchement de la base-radio. Nous entendons déjà le bruit de l’Alouette qui vient récupérer le maître et son chien, quelle rapidité d’intervention !
Concentré sur mon travail, j’aperçois furtivement l’équipe cynophile embarquer dans l’Alouette qui prend rapidement la direction du lieu de l’avalanche. François les guide par radio vers le dernier emplacement localisé des skieurs.
La mise en place de l’antenne effectuée, je rejoins mon collègue à l’intérieur du refuge pour tester l’installation ; tout est correct. Il est temps de ranger notre matériel et notre outillage, le temps presse… Nous rejoignons le toit du refuge ; là, nous constatons que le temps a changé avec une rapidité inquiétante. Tout est bouché du côté de Chamonix alors que c’est encore le grand bleu à l’opposé. Nous contactons par radio la DZ des Bois pour demander à être récupérés. L'Alouette III Bravo Lima dans le Massif du Mont-Blanc - Photo DR Au vu des conditions météorologiques qui règnent dans la vallée, notre retour semble pour l’instant compromis ; mais nous devons quand même rester prêts. Nous nous voyons déjà passer la nuit dans ce nid d’aigle et nous patientons tout en gardant un œil sur les nuages. Les minutes passent sans que la situation évolue favorablement. Soudain, François remarque une éclaircie en train de se former non loin de notre position ; il contacte alors immédiatement ses collègues pour la leur indiquer. Le pilote et son mécanicien décident de tenter notre récupération.
Les minutes s’égrènent... Tout en tendant l’oreille, nous rassemblons notre matériel sur l’emplacement indiqué. Soudain, comme un doux murmure, nous percevons, au loin, le bruit caractéristique d’une voilure tournante, c’est bien le bruit de notre fidèle Alouette III qui s’amplifie. L'Alouette 3 en approche - Photo © Christophe Gothié François, en liaison radio avec le pilote, lui indique la position exacte de la trouée déjà en train de se refermer... Le résultat ne se fait pas attendre, la « Grande Dame » apparaît enfin. Notre récupération prend, à cet instant, une tournure beaucoup plus positive. Malgré les tourbillons de neige, je décide de sortir mon appareil photo pour immortaliser ces instants.
Le pilote effectue un large virage suivi d’une manœuvre d’approche, puis avec une extrême douceur, alors que déjà le mécanicien ouvre la porte, il vient flirter avec le toit enneigé. Rapidement, nous chargeons notre matériel et sautons dans notre taxi à nos places respectives. Pleins gaz, virage tout en douceur, direction le mouchoir de poche restant de la trouée... Le pilote, avec une grande maîtrise, s’y engouffre... Quel virtuose ! Nous nous retrouvons brusquement sous les nuages et nous apercevons au loin Chamonix. L’approche est faite de main de maître et l’atterrissage sur la DZ des Bois avec une douceur contrastant L'Alouette III F-MJBL sur la DZ des Bois à Chamonix - Photo © Christophe Gothié avec la taille de notre Alouette III.
Tout en déchargeant notre matériel, nous apprenons, avec soulagement, que les skieurs emportés par l’avalanche, bien que blessés, ont tous été sauvés.
De cette journée ô combien mouvementée, riche en émotions, grande est notre satisfaction ; la mission est accomplie du fait d’un encadrement par de grands professionnels de la montagne.

A travers ce récit, je tiens également à remercier les membres du PGHM et leur faire part de mon profond respect pour avoir vécu des moments forts à jamais gravés dans ma mémoire.

* DAG : Détachement Aérien de la Gendarmerie

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