Août 1989 – Secours dans la voie du Linceul par Laurent SAINTESPES

lundi 31 octobre 2022

INTERVIEW – Les Grandes Jorasses, est le nom d’une série de sommets mythiques du massif du Mont-Blanc. Sa face nord, côté français est une gigantesque muraille, l’une des plus belles des Alpes, l’une des plus difficiles aussi. Avec plus de 1000 mètres de parois verticales à plus de 70° d’inclinaison, c’est le rêve de beaucoup d’alpinistes. Le secours par hélitreuillage est souvent la seule manière de « sortir » les infortunés de situations désespérées. C’est un de ces sauvetages, que, Roger Vandaele, ex-pilote des FAG, va nous raconter. Nous y prendrons autant de plaisir à l’écouter que, pour une fois, tout se termine bien.
Les Grandes Jorasses – La pointe Walker 4208m est la plus à gauche, la voie du Linceul est la seconde en partant de la gauche.- Photo DR
A > Bonjour Roger, tu as fait partie de ce cercle très restreint des personnels navigants de la Gendarmerie a avoir intégré une des unités hélicoptères les plus prestigieuses, en l’occurrence, le détachement aérien de gendarmerie de Mégève *.

Aujourd’hui tu vas nous parler d’un de tes secours dans ce domaine de la haute montagne, mais tout d’abord quel est ton parcours pour en arriver là ?

Secours Alouette 3 F-MJBL Bravo Lima - Photo © Maxppp - Philippe Poulet* avant 2001, le DAG était positionné à l’altiport de Mégève, ce n’est qu’à partir de cette année, que les infrastructures modernes, partagées entre la Gendarmerie et la Sécurité civile, voient le jour et marquent la création de la SAG de Chamonix.

R > J’ai commencé ma carrière de pilote aux FAG à la SAG de Metz, puis Hyères et en 1987 je me retrouve pilote, au DAG de Megève, unité commandée à l’époque par Gilbert LEBON.

A > Pour ce secours vous étiez donc en alerte à Chamonix ?

R > Oui, ce jour-là, nous étions de permanence à la DZ des Bois, en alternance pour la semaine avec la Sécurité civile.

Roger Vandaele (4ème à gauche), lors du sauvetage d'Ernst Zikel, jeune hollandais (avec le bonnet) miraculeusement secouru après avoir passé trois jours d'affilée au fond d'une crevasse, en 1988 - Photo R.Vandaele
A > Que s’est-il donc passé ?

R > Nous étions le 10 août 1989, et nous avons été informés qu’un alpiniste, avait la veille rejoint le refuge de Leschaux, qui se trouve à 2431 mètres d’altitude. Ce refuge dessert uniquement la face nord des Grandes Jorasses. Ceux qui s’engagent vers ces sommets dorment donc là, et vers 1 heure du matin, sont déjà sur le glacier de Leschaux où ils entament leur marche d’approche.

Donc, cet alpiniste dont on ne sait encore rien à l’instant de l’alerte, a, lui aussi traversé à la frontale, le glacier de Leschaux pour aller vers la voie du Linceul. Cette voie est située dans la face nord et fait partie de la pointe la plus élevée des Grandes Jorasses, qui est la pointe Walker, et qui culmine à 4208 mètres d’altitude.

Comme moniteur-pilote d’hélicoptères, Roger VANDAELE a formé et instruit de nombreux pilotes Comme moniteur-pilote d'hélicoptères, Roger VANDAELE a formé et instruit de nombreux pilotes des Formations Aériennes de Gendarmerie. - Photo DR des Formations Aériennes de Gendarmerie.

Il a effectué plus de 8600 heures de vol, au cours desquelles il a réalisé 2600 missions de sauvetage. Il est chevalier de l’ordre national du Mérite, titulaire des médailles militaire, aéronautique et de la défense nationale. Il est quintuple médaillé pour Actes de Courage et de Dévouement.

Le massif des Grandes Jorasses est compris entre le col des Grandes Jorasses (3809m) à l’ouest et le col des Hirondelles (3480m) à l’est. Il est composé de plusieurs pointes avoisinant les 4000 mètres d’altitude, dont les principales sont les pointes Whymper (4184m), Croz (4110m) et Marguerite (4065m), la plus mythique étant la pointe Walker.

Pour ce qui concerne notre alpiniste, il a donc traversé la rimaye, commencé l’ascension de la voie du Linceul, avec l’intention de terminer à la Walker. C’est donc la voie traditionnelle, classée TD, c’est à dire très difficile et certains passages sont classés ED, extrêmement difficile, la pente avoisinant les 80° d’inclinaison.

Vers 13H30, la gardienne du refuge de Leschaux, qui suit les courses de ses clients à la jumelle, prend contact avec le PGHM, et explique que cet alpiniste, qu’elle a hébergé la nuit passée, ne progresse plus et fait de grands signes, semblant visiblement en détresse.. Il est facilement repérable, étant vêtu d’une tenue vert fluo.


Quelques dates historiques
– Le Linceul a été ouvert par René DESMAISON en janvier 1968, la Walker en juin 1968 par une cordée de 4 alpinistes dont Horace WALKER

– En février 1971 René DESMAISON escalade la Walker mais son compagnon de cordée décèdera à 80 mètres du sommet.


On ne pouvait pas le louper, dans le Linceul qui est une voie particulière, enneigée l’hiver, mais restant couverte de glace l’été, impossible de le louper…

Aussitôt, à la demande du PGHM, nous décollons. L’équipage est composé du mécanicien, Rémi PIERSON et de deux secouristes. L’un deux est FAUVET, je ne me souviens pas du nom du second qui n’est quasiment pas intervenu.

On fait donc un rapide survol pour reconnaître l’objectif, et nous nous apercevons que la victime se trouve à environ 3450 mètres, qu’il ne progresse plus et fait de grands signes. Nous décidons de nous alléger en déposant un des deux secouristes sur le glacier de Leschaux, de manière à être le plus léger possible.

Notre tactique est simple : Nous nous mettons d’accord pour hélitreuiller Fauvet, le secouriste pour le poser à la hauteur de l’alpiniste de manière à ce qu’il le sécurise, avant de l’hélitreuiller, puis ensuite en seconde rotation, remonter lui-même. Du grand classique, aussi, pendant notre tour de présentation, Fauvet s’équipe de crampons et de deux piolets de manière à se vacher sur la paroi de glace.

*se vacher : s’assurer, s’attacher.

Une fois en position d’hélitreuillage, Rémi, le sécurise sur le crochet du treuil et commence la descente par la trappe de l’Alouette 3. En raison de la pente de la voie, à cet endroit de l’ordre de 70 à 80 %, cela dure un certain temps. Il nous faut sortir les 40 mètres de câble dont est pourvu le treuil électrique de l’Alouette 3.

Et la machine, à cette époque c’est la Bravo Lima, qui restera célèbre dans les annales du sauvetage en montagne, puisqu’en raison des innombrables sauvetages qu’elle a effectués lors d’un demi-siècle d’opérations, elle jouit d’un repos bien mérité au musée de l’Air et de l’Espace au Bourget.

A > Je suppose que cette machine malgré ces qualités indéniables devait être ménagée lors de ces interventions à haute altitude ?

R > Oui, il fallait jouer constamment avec le devis de poids. L’hiver nous emportions 250 litres de carburant et l’été, le plein opérationnel était de 200 litres seulement à cause de la température. Nous réajustions par petites quantités, selon les besoins de 30 ou 50 litres.

A > Cela peut surprendre nos camarades d’aujourd’hui avec la puissance et la capacité d’emport des EC145 ces quantités de carburant au compte-gouttes !

R > C’était notre quotidien, mais revenons à notre intervention :

Ce qu’il se passe, c’est qu’au moment où Fauvet doit arriver sur l’objectif, Pierson ne dit plus rien et je ressens un à-coup latéral inhabituel au manche ! « Rémi que se passe-t-il ? »

Et là, Rémi me dit : « Tu ne vas pas le croire : au moment où Fauvet a atteint l’alpiniste, celui-ci a quitté son assurance, et a sauté littéralement dans les bras de Fauvet !  »

A > Tu veux dire que la victime, malgré les centaines de gaz sous lui, s’est jeté sur le secouriste, avant que celui-ci la sécurise ?

R > Tout à fait, peut-être la peur qu’on le laisse, il a bondi sur Fauvet pour l’enserrer de ses bras. Il n’est donc retenu que par la seule force qui lui reste après quelques heures passées à attendre sur une paroi quasi verticale !

Donc, nous nous trouvons dans situation plus que dangereuse, le secouru ensserre le secouriste dans ses bras, et le secouriste ne peut rien faire, il est coincé.

Je dis à Rémi « Alors qu’est-ce qu’on fait ? ».

Il me répond : « Et bien tant pis, il faut les remonter comme çà , en espérant que tout se passe bien ».

Nous sommes conscients que si la victime lâche prise il y a quelques mètres de gaz en-dessous, c’est foutu ! Et tout ceci était suivi de près depuis Leschaux, tu vois un peu l’ambiance !

On a réussi à remonter le tandem jusqu’à la porte de la machine, mais sans pouvoir les rentrer, parce que l’importance des deux corps nous en empêchait. Le mécano, n’a pas pu les rentrer dans le cockpit, c’était trop dangereux. Ils sont donc restés à la porte de la trappe jusqu’à se que nous nous posions au niveau du second secouriste, sur le glacier de Leschaux, en contrebas.

Seulement là, nous avons pu mettre tout le monde à l’abri du cockpit, avant d’entamer la descente vers la DZ des Bois, par la Mer de Glace.

Nous nous posons à la DZ des Bois, et là, nous apprenons que cet alpiniste est un américain, John Cotter, et qu’il est un fana de haute montagne. Celui-ci n’a aucune blessure, sa mésaventure est due à la rupture d’un de ses crampons à glace qui l’a empêché de poursuivre son ascension.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là.

Un soir, nous repassons au PGHM de Chamonix, où se trouve Brun, qui est de permanence. Celui-ci, auquel nous avions raconté notre histoire, nous explique que le lendemain du secours, il est passé à la Maison des Guides de Chamonix et il voit arriver notre John Cotter, avec sa veste vert fluo, on ne pouvait effectivement pas le manquer !

Il lui demande : « Qu’est-ce que vous voulez ? ».

Et notre ex-secouru, lui répond avec tout le détachement dont savent faire preuve les anglo-saxons : « Je voudrais faire une voie renommée dans le massif des Grandes Jorasses  » !!!

Et le gendarme de lui répondre : « Ecoutez : hier nous avons mobilisé une équipe pour vous porter secours, je pense qu’aujourd’hui il serait préférable que vous partiez, foutez-nous la paix !  ».

Et le gars est parti sans demander son reste.

Ce que l’on peut dire, c’est qu’il a eu beaucoup de chance de réussir son saut direct dans les bras du secouriste et que nous, nous avons été quittes pour une belle frousse et une expérience qui nous marquera à jamais. Source : aerogend.com

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