Le pilote Claude Clochard nous fait le récit de cette mission qui faillit tourner au drame.
Jeudi 11 août 1983 dans l’après-midi : nous sommes basés à Gavarnie pour assurer la permanence du Secours en Montagne. La météo n’est pas fameuse : il pleut et des stratus s’accrochent çà et là à la montagne. La soirée devrait être calme : il fait un temps à ne pas mettre le nez dehors.
Vers 10h30, nous allons chez Jeannette boire un thé. Jeannette, c’est une pâtisserie qui se trouve à 200 mètres du poste de secours et où nous avons l’habitude de nous retrouver pour prendre les dernières nouvelles du pays. Mais en cours de route, nous rencontrons Léo Lareng, le chef du poste, C.R.S. et guide de haute montagne, qui remonte en courant et nous lance : « Nous avons un secours au cirque d’Estaubé : des gamins d’une colonie de vacances sont coincés dans une paroi. C’est tout ce qu’on sait pour l’instant. Vu le brouillard, on va partir à pied car je ne pense pas que vous allez pouvoir voler. » « Oui, ça ne doit pas être facile. Mais si tu veux, pendant que l’équipe de secours se prépare, on peut faire un essai avec le docteur Théas et toi. Si on pouvait passer, ça ferait gagner du temps. »
Le cirque d’Estaubé, entre ceux de Gavarnie et de Troumouze, est tout proche : c’est la première vallée à l’est et il y en a pour dix minutes de vol si le temps le permet.
Nous décollons donc à 16 h 40 avec le mécanicien Daniel Rouquette, le toubib et le chef de poste. D’épaisses couches de nuages nous barrent l’accès : par dessous, nous ne pourrons pas y arriver. Je me glisse entre deux couches de stratus en assurant mes arrières au cas où ça se boucherait. Nous apercevons à présent le barrage des Gloriettes qui balise l’entrée de la cuvette. Je continue : ça devrait marcher. Subitement, telle une toile, la couche se déchire et nous nous retrouvons comme dans une clairière. Nous sommes sur les lieux d’intervention. Tout autour, des nuages qui n’arrêtent pas de se former et de se disloquer. Je connais bien le coin : on peut facilement se poser au fond de cette cuvette bordée d’un sentier qui ramène vers la vallée en passant par le barrage, lequel est accessible en voiture. Même si le temps se gâte un peu plus, on pourra y mettre la machine en sûreté.
Première reconnaissance sur les flancs de la cuvette en suivant l’itinéraire normal qui conduit au cirque : en dépit d’un aller et retour, nous ne trouvons rien. Où diable sont-ils donc passés ces gamins ? On n’ose imaginer qu’ils se soient engagés dans un endroit impossible.
Le temps presse car voilà que la météo se dégrade. Nous reprenons de l’altitude et nous décidons d’inspecter les crêtes et les arêtes. Au cas où...
Brusquement, vers 2 700 mètres d’altitude, nous apercevons quelqu’un qui agite un vêtement. Nous nous approchons. Eh ! bien si : ils sont là nos gamins, dans ces arêtes impossibles, coincés dans un couloir herbeux et rocailleux qui conduit tout droit à un entonnoir se terminant par une barre verticale d’une centaine de mètres suivie d’un pierrier...
Nous comprenons vite que leur situation est grave. Deux des enfants sont tombés sur le pierrier et gisent inanimés. Un autre est accroché par son sac à dos dans l’entonnoir, prêt à dévisser. Trois autres encore sont au-dessus, collés à la paroi apeurés, n’osant plus faire un geste.
Le plus urgent, c’est de treuiller celui qui n’est plus retenu que par son sac. Nous déposons immédiatement le médecin près des deux blessés et nous revenons nous mettre en positron de treuillage comme nous le faisons si souvent au cours des opérations de sauvetage.
Nous allons descendre le brigadier Léo Lareng avec son matériel près de l’enfant afin de le sortir au plus vite de sa position instable. Guidé par Rouquette, je mets l’Alouette en stationnaire à l’entrée du goulet et je prends mes points de repère en bout de pales car la paroi est là, toute proche.
Léo descend. Tout va bien : dans deux ou trois minutes, ce sera fini. Mais tout à coup, un bruit terrible... Comme un coup de tonnerre ! Un choc dans les commandes et une pluie de cailloux traverse la bulle... L’hélico s’enfonce brutalement et touche la paroi. Une fraction de seconde, je m’interroge qu’est-il arrivé ? Comment ai-je pu toucher ? J’étais loin.
Qu’est-ce qui a cassé ?
L’appareil devient difficilement contrôlable et gigote comme une bête blessée. Nous sommes à 300 mètres au-dessus d’une première cuvette. Plus bas, à environ 1 000 mètres de là, la grande cuvette herbeuse que je ne pourrai pas atteindre... Comment allons-nous tomber ? Sur le dos, à plat ou la queue de l’Alouette la première
Pas un instant je ne pense à la mort. Mais on va se faire mal, ça oui !
Tout cela va vite, très vite. Juste le temps de constater que la machine tient et qu’elle n’a pas explosé. Je dégage de la paroi par une translation latérale et arrière. Nous sommes durement ballottés. Le siège du mécanicien a été arraché...
La descente est interminable. Daniel et moi n’échangeons pas un mot. Et le pauvre Léo qui est suspendu là-dessous ? Pas question, bien sûr, de cisailler le câble à la commande électrique : ce serait l’envoyer à une mort certaine.
Il faut absolument atteindre cette plaque de neige, là-bas, dans la cuvette. Et vite !
Heureusement pour nous, il n’y a plus beaucoup de carburant à bord. Allégé, l’hélico descend avec un taux de chute quasi normal de 200 à 300 m/mn. Je me crispe sur les commandes mais cette plaque de neige, je ne l’aurai pas.
L’appareil nous entraîne vers un énorme tas de rochers et d’éboulis. Tant pis : là au moins, on ne glissera pas plus loin. Mais nous allons tout casser !
A l’approche du sol, j’effectue un plané en tirant à fond le pas général. Et j’entends les pales du rotor de queue exploser... l’hélico va surement se renverser. Mais, ô chance ! il reste à plat et on se pose. Il est 17 h 05. Je tire le coupe-feu et j’enlève tous les contacts en poussant un soupir de soulagement. Puis je glisse un œil du côté du mécanicien : il est bien là lui aussi… Daniel se tient aux montants de la machine, un peu sonné.
Je lui demande : « Et Léo ? » « Je l’ai treuillé là-haut », me répond-il. « Tu te souviens que tu n’avais pas fini ? » C’est vrai : il était à trois mètres sous l’hélico…
A ce moment précis, comme dans un gag de film comique, une tête émerge brusquement sous la cabine et crie : « On a pris des cailloux dans le rotor ! » Par la suite, les enfants bloqués dans la paroi le confirmeront : ils ont vu les pierres dévaler la pente et heurter le rotor sur l’arrière gauche. Certaines avaient une quarantaine de centimètres de diamètre. Malgré tout, nous sommes tous les trois là, sans une égratignure. Même notre Alouette n’a pas trop mauvaise mine. La roue droite repose sur une dalle, le panier à gauche est coincé sur un rocher.
Sans prendre le temps de se remettre de ses émotions de funambule. Léo interpelle les gamins : « Ne bougez pas, ne bougez pas, je viens. » Par radio, nous informons le poste de Gavarnie de notre accident. En bas, les secours terrestres s’organisent aussitôt. Le mauvais temps revient et la cuvette se ferme, si bien que l’hélico de la Gendarmerie appelé en renfort ne peut pas intervenir. Ce sont donc des équipes au sol une vingtaine de C.R.S. et deux gendarmes ainsi que deux médecins qui rejoindront les enfants, les jeunes blessés étant mis à l’abri pour un bivouac nocturne dans la cabine de l’Alouette accidentée. Toute la nuit ils entendront les pierres "parpinner", comme l’on dit dans notre jargon. Le lendemain, ils seront évacués sur l’hôpital de Tarbes d’où ils sortiront, guéris, quelques semaines plus tard. Ce soir-là, avec Rouquette, nous entreprenons la descente à pied vers la vallée, ne voulant pas être une charge supplémentaire pour les secouristes. Nous sommes heureux, évidemment, de nous être bien tirés de l’accident mais quand même déçus de n’avoir pu mener à bien notre mission. Pendant cette descente, Rouquette a parfois du mal à trouver son souffle et, de temps en temps, il fait une pause sur les rochers. Les dernières heures ont été rudes pour lui. A plusieurs reprises, alors que la porte latérale gauche était restée ouverte pour le treuillage de Léo, il avait failli être éjecté de l’Alouette.
Au poste de Gavarnie, tout le monde nous attendait et les discussions allaient bon train sur notre accident. Nous avons arrosé comme il se doit notre heureux retour. Et puis nous avons fait une promesse : aller faire brûler un cierge à Lourdes !
Il y avait de quoi : que l’hélicoptère ne se soit pas écrasé tenait du miracle. L’Alouette III avait vaillamment supporté le choc : les pales du rotor arrière étaient gravement endommagées de même que certaines parties du train d’atterrissage ; la bulle est cassée et l’une des pales du rotor principal était amputée d’un bon mètre... C’est un gros hélicoptère militaire, un "Puma", qui viendra récupérer l’Alouette III en montagne et l’enlever à l’élingue. Puis l’appareil accidenté sera transporté à la base parisienne de la Sécurité civile, à Issy-les-Moulineaux, pour y être remis en état de vol.
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Messages
23 octobre 2019, 18:38, par JACKIE CREMOUX
impressionnant de modestie et de simplicité....c’était facile et naturel en somme ?
25 octobre 2019, 11:48, par DELAFOSSE
Cher Claude
Je me souviens de ton arrivée au G.H à la Base de Paris, je me rappelle de tes exercices de pannes moteur sur Alouette III à basse altitude, des plus impressionnants de professionnalisme et de "Maîtrise".
Bravo encore l’artiste pour ta carrière aéronautique et ton investissement exemplaire à la Sécurité civile.
Francis DELAFOSSE
17 février 2020, 16:31, par patrice oeuillet
Surpris et ému de découvrir cet article. J’étais le pilote du Puma qui a hélitreuillé l’Alouette. On avait fait une reconnaissance avec C. Clochard et une autre Alouette III depuis Pau-Uzein pour voir comment on allait s’y prendre. Il m’avait montré par où il passait en cas de mauvais temps puis où il était au moment de "l’incident" : j’avais été vraiment impressionné. Par la suite je suis devenu pilote d’essais et j’ai côtoyé d’autres pilotes talentueux mais je n’ai jamais oublié C. Clochard, son professionnalisme et sa grande modestie. Un grand pilote. Avec mon meilleur souvenir