Interview : Didier DELSALLE

Par Climbing.com / Traduction : Cedric Larcher

Publication : 21/09/2005 Auteur(s) : Chris


Le 14 mai 2005, le pilote d’essai Eurocopter Didier Delsalle bravait les conditions atmosphériques qui sévissent à plus de 8 000 m et posait son hélicoptère Écureuil/Astar B3 sur le sommet de l’Everest. Il répétait la performance le lendemain.

Didier Delsalle habite Aix-en-Provence, vole depuis 25 ans et pratique les sports de montagne depuis encore plus longtemps.
Son atterrissage sur l’Everest était purement expérimental, mais il soulève la question de futurs secours en très haute altitude pour les alpinistes et d’éventuels vols touristiques.

Didier, vous avez rejoint Eurocopter en 1997, quel a été votre parcours ?
J’ai rejoint l’armée de l’air française en 1979 en tant que pilote de chasse et deux ans après je suis devenu pilote d’hélicoptère. Je suis donc pilote d’hélicoptère depuis 1981, et j’ai participé à des opérations de recherche ou de secours pendant près de 10 ans. Après cela, j’ai intégré l’école de pilote d’essai où j’ai passé 5 ans au centre de vols d’essai. Eurocopter m’a demandé d’intégrer la société, où je suis devenu dès le début pilote expérimental. Je suis responsable des petits hélicoptères qui est la famille des monomoteurs. En tant que pilote de test expérimental, je vole sur différents types d’hélicos, du petit au gros.

Faisiez-vous partie du projet “Time to Climb” records, qui est monté à 10 211 m (33,500 Feet) et s’est posé au Col Sud de l’Everest ?
Oui, quand nous nous préparions pour cette aventure sur l’Everest nous avons dû vérifier si l’hélico pouvait réaliser cette performance. Nous avons fait cela avec un hélico de série, car nous voulions prouver à nos clients qu’un hélicoptère normal pouvait le faire. Ensuite, nous avons dû nous préparer pour les contraintes physiques que nous allions rencontrer, comme les hautes altitudes. En France, nous avons testé si le rotor et la machine pouvaient monter aussi haut. Donc je suis monté à 10 000 m pour voir. Nous avons alors battu le record de vitesse d’ascension à 3 000 m (9 843 feet), 6000 m (19,685 feet), et 9 000 m (29,528 feet). C’était un bon moyen de mesurer la marge d’erreur que nous avions et la puissance dont nous disposions.
Quand nous sommes allés au Népal, nous ne connaissions pas la zone de vol allouée. La première série de vol a été mise à profit pour découvrir la zone, trouver les meilleurs accès aux différents sommets. A ces altitudes, vous pouvez trouver des vents de 300 km/h. Nous devions trouver les zones de courants rabattants et ascendant. Nous avons eu quelques surprises. Par exemple, j’ai trouvé un courant ascendant tellement fort que j’ai pu monter quasiment sans puissance. D’un autre côté, j’ai dû descendre à pleine puissance de l’engin pour parvenir difficilement à descendre. J’ai dû faire un inventaire des zones à éviter et faire des mesures en montant progressivement. Pour le Col Sud, nous étions à peu près sûrs de pouvoir nous poser et redécoller, mais pour le sommet, nous ne savions pas. Nous n’espérions pas aller beaucoup plus haut que le Col Sud, mais petit à petit j’ai réalisé que nous étions capables de nous poser.

Donc vous vous êtes posé le 14 mai dernier au matin et avez renouvelé la chose le lendemain. Pourquoi avoir voulu répéter cet atterrissage ?
Vous le faites une fois et vous vous dites : “Je suis vraiment très chanceux, c’est peut-être un miracle”. Afin de prouver le contraire, je l’ai donc refait, mais les conditions étaient plus difficiles le deuxième jour. Nous ne voulions pas attendre plus longtemps pour de meilleures conditions, car nous savions qu’il y avait des grimpeurs dessous. L’un des impératifs de la mission était de ne pas mettre en danger des alpinistes, donc j’ai décidé de me poser dans des conditions moyennes. De meilleures conditions auraient signifié de nombreux alpinistes et je ne voulais pas provoquer une avalanche risquant de les emporter. C’est tellement incroyable de gravir l’Everest.

Quelles sont les particularités de l’hélicoptère Écureuil/Astar B3 ? Avez-vous fait des modifications pour lui permettre d’aller à de telles altitudes ?
Il était important pour nous de faire les tests avec un hélicoptère de série. Il sera mis en service à la fin du mois dans l’armée. Le seul changement a été le poids. Nous avons enlevé tous les éléments de confort comme les sièges inutiles, réduisant le poids de 120 kilos. Je n’avais également qu’une heure d’autonomie de carburant.

Quelles sont les modifications que doit faire le pilote, comme un masque à oxygène ou cabine pressurisée ?
J’étais équipé d’un masque à oxygène parce que je n’étais pas acclimaté à la haute altitude. J’ai décollé à 2 900 m (9514 feet).

Quel est votre hélicoptère préféré ?
J’aime mon petit engin, le B3 est vraiment maniable. Vous pouvez en faire ce que vous voulez. N’oubliez pas que je suis pilote de chasse à la base et donc j’aime les manœuvres.

Vous aviez un permis d’un mois pour vous poser sur l’Everest, ça été dur d’avoir cette permission de la part du gouvernement du Népal ?
C’était un peu confus, nous étions au Népal du 2 au 24 mai. Nous avons commencé à travailler avec le gouvernement népalais en janvier pour obtenir le permis. Nous avons donné aux Népalais notre programme de vols d’essai : vols, atterrissages, approches.

Quand vous étiez au Népal, vous avez fait un vol pour le gouvernement népalais pour aller secourir deux Japonais. C’est exact ?
Oui, les trekkers étaient à près de 5 000 m (16,400 feet) ; l’un était fatigué et l’autre victime du mal d’altitude. J’ai dû attendre deux jours pour avoir un créneau météo. Quand cela s’est éclairci, je n’ai eu besoin que de 15 minutes pour aller et 15 minutes pour revenir. Cela leur a évité presque 4 jours de marche.

Qu’est-ce qui vous a motivé à poser un hélicoptère sur l’Everest ? Qu’est-ce qui vous attire dans cette montagne ?
La motivation est avant tout humaine. Les gens veulent aller plus vite, plus haut, plus loin. Ensuite, j’ai lu de nombreux livres sur l’Everest, parce que c’est une montagne mythique. J’ai lu des histoires de tragédies, notamment ce qui s’est passé en 1996, et j’espère qu’un jour nous pourrons secourir des gens à ces altitudes. J’ai fait des vols de secours et de recherche durant 10 ans et je suis toujours pilote de sauvetage. Quand vous avez quelqu’un dans votre hélico que vous venez de secourir, vous pouvez voir quelque chose de très profond dans ses yeux, ils vous disent merci et c’est quelque chose que vous n’oubliez jamais.

Qu’est-ce qui a été le plus dur dans cet atterrissage sur l’Everest ?
Le plus dur a été de trouver le meilleur itinéraire pour rejoindre la montagne à cause des fantastiques courants ascendants et rabattants. Le vent à ces altitudes est tellement puissant, vous pouvez sentir la main de la nature, et cette nature est au-dessus de tous les pouvoirs humains. Vous devez assimiler comment la nature travaille ici. Pour trouver le bon itinéraire pour vous poser, vous devez faire en sorte que la montagne vous accepte, si vous essayez de passer en force, la montagne vous rejettera. Vous devez aller doucement et prudemment.

Pensez vous qu’un business touristique sortira de cela, de nombreuses personnes souhaitant se poser sur les plus hauts sommets. Et combien d’années faudra-t-il pour que les hélicoptères soient relativement surs en haute altitude ?
J’ai lu dans certaines revues qu’il était possible de faire du tourisme sur le sommet. C’est n’importe quoi ! Dans un futur proche, c’est complètement impossible, il s’agissait d’une tentative expérimentale, pas commerciale ni touristique.
Pour garantir le sommet de l’Everest, cinq, six, sept ans, je ne sais pas trop. C’est très difficile même si vous construisez un hélicoptère très puissant, les forces que vous allez affronter sont plus fortes que n’importe quel hélicoptère. Et il n’est pas d’usage de risquer la vie d’un pilote et d’un copilote. Même pour un secours je pense. Vous pouvez intervenir jusqu’à 7000 m (23,000 feet) de manière assez régulière. Au-delà, c’est beaucoup plus difficile.

Envisagez-vous de vous poser sur d’autres sommets ?
Pas pour le moment. Ce n’est qu’un aspect de mon travail et nous avons beaucoup d’autres essais, surtout des essais dont le public n’a pas connaissance, comme tester des pannes en vol. Je ne recherche pas les records ni la gloire. Je cherche juste à vivre ma vie, mais nous verrons ce qui surviendra dans le futur, mais il sera difficile de faire mieux. source

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