25 février 1971 - Ce jour-là, je rentrais de quelques jours de repos. J’avais entendu parler de ce secours par les médias ; comme il ne concernait pas notre secteur d’intervention, je ne me suis pas formalisé.
À mon arrivée à la Base hélicoptère de la Protection civile de Grenoble, en parlant avec mon commandant Michel Aubert, celui-ci m’indique que la veille, il avait été appelé à Chamonix par la préfecture de Haute-Savoie, pour venir en renfort. Mais me dit-il : « Je suis resté au sol à la base de Chamonix. Mon intervention ne paraissait pas nécessaire vu qu’il y avait déjà deux hélicoptères, un de la gendarmerie (Alouette III F-MJBF voir photo n°5) et un de la Protection civile de Haute-Savoie » (Alouette III F-ZBAS voir photo n°3).
Sur ces entrefaites, le téléphone sonne, et la préfecture de Haute-Savoie demande que l’on revienne en renfort à Chamonix. Le commandant me dit : « Vous allez là-bas, en passant vous essayez de voir ou se trouve cette cordée en difficulté ».
Durant le trajet(*), je croise un Puma de l’Aérospatiale de Marignane (voir Photo n°2) piloté par Roland Coffignot, le pilote d’essai de cet hélico. Il me signale par radio qu’il rentre de Chamonix, qu’il vient d’essayer de se poser au sommet des Grandes Jorasses mais n’a pas pu le faire et qu’il avait été "secoué" par le vent.
En vue du Mont Blanc, ne connaissant pas exactement le secteur, j’ai demandé par radio aux CRS en surveillance au poste-frontière du col du Géant de me guider vers les Grandes Jorasses. Arrivé au-dessus, je tente une première fois de me poser, mais le vent remontant la paroi verticale me renvoie en l’air.
Je fais une deuxième tentative tout en repérant la cordée en difficulté, et, même chose, des que le rotor passe au-dessus de l’arête, l’appareil est propulsé vers le haut comme une balle sur un jet d’eau. Au cours des différentes approches, j’avais remarqué un petit col enneigé à une centaine de mètres plus bas que le sommet, côté Courmayeur. J’ai alors fait une approche le long de la paroi côté italien en me préparant à dégager en cas de vent rabattant. L’approche s’est faite sans difficulté et je me suis posé au col.
J’ai alors dit à mon mécanicien Roland Pin, détaché des Pompiers de Paris à la Protection civile : « Qu’est-ce qu’ils cherchent de plus ? ».
Par radio, j’ai averti la base de Chamonix que j’étais posé sur un col à proximité de la cordée. Chamonix me demande de descendre à la base. Nous prenons trois sauveteurs et partons du PC de secours de Chamonix, avec recommandation de vérifier s’il est toujours possible de se poser,
car en montagne les conditions météo peuvent changer très vite, surtout en hiver.
Bien que l’on m’ait demandé de ne pas déposer les sauveteurs immédiatement, j’ai préféré les laisser au col dès la première rotation. Puis je suis redescendu chercher une deuxième équipe de sauveteurs. Le temps que je fasse l’aller-retour, la première équipe était déjà au sommet des Jorasses, et commençait à installer le matériel de secours afin de rejoindre les alpinistes bloqués.
Ce sont ensuite les équipages du P.G.H.M. et de la Protection civile de Chamonix qui ont continué les rotations pour récupérer les alpinistes et les sauveteurs.
Le choix du col apparaissait à priori le plus facile pour les sauveteurs qui, en suivant l’arête, pouvaient monter sans problème au sommet. Le col, beaucoup moins venté que le sommet, permettait à l’hélico de se poser sans difficulté.
A partir de ce moment-là, les secours ont pu intervenir très rapidement, ce qui a permis de sauver René Desmaison, déjà très mal en point à ce moment-là.
Ce jour-là, il faisait beau.
Les deux pilotes de la Gendarmerie et de la Protection civile étaient nouveaux dans les Alpes, ils n’avaient pas conscience de ce que les sauveteurs à pied peuvent être capables d’effectuer. Ils se focalisaient sur une dépose au sommet plus proche des alpinistes en difficulté mais tout à fait impossible du fait du fort vent vertical ascendant, puissant et dangereux. Source : Secours en montagne et milieu vertical de Marcel Pérès et Philippe Poulet.
(*) Départ de l’équipage Frébault/Pin le 25-02-1971 à 9h10 de la Base de Grenoble pour Chamonix sur Alouette III F-ZBAL.
Retour de Chamonix le même jour à 16 h - Sauveteurs embarqués à la DZ des Bois : Claude Ancey et Alessandro Ollier.
Temps de vol total effectué au retour de la Mission : 4h10.
Les moyens aériens mis en œuvre : 4 hélicoptères
Protection civile
Base d’Annecy - Alouette 3 F-ZBAS
• Pilotes : Pierre Violeau, Marcel Noguès et Jean-François Belleguic
• Mécaniciens d’équipage : Paul Rouet, Louis Maret et Gilbert Mezureux
Base de Grenoble - Alouette 3 F-ZBAL
• Pilote : Alain Frébault
• Mécanicien d’équipage : Roland Pin.
Gendarmerie
SAG de Lyon - Alouette 3 F-MJBF
• Pilote : Adjudant André Cuénot
• Mécaniciens d’équipage : Maréchal des logis-chef Jean-Marie Bossuet
Sud Aviation
Base de Marignane - SA-330 Puma
• Pilotes : Jean Boulet, Roland Coffignot
• Mécanicien naviguant : ?
• Cliquez ici pour lire Marc LAFOND raconte Alain FRÉBAULT.
• Cliquez ici pour voir le reportage du JT 13h du 25 février 1971.
Notamment interviewés (A partir de 9mn 50sec) :
• Jean Boulet, Pilote du SA 330 Puma venu de Marignane,
• Alain Frébault, Pilote de l’Alouette III venue de la Base Protection civile de Grenoble.
Alain Frébault a pris sa retraite à Mérindol dans le Vaucluse (84).
En 1971, il fait partie des équipages de la Protection civile, c’est un pilote chevronné, audacieux. Le 25 février, son Alouette III s’envole de la Base de Grenoble en direction des Grandes Jorasses... - Reportage "Le Mag" © France 3.
Une bien triste nouvelle...
Alain Frébault nous a quittés le 21 octobre 2011. Le Chef de Base Vincent Saffioti et Marc Lafond se remémorent ce fameux secours du 25 février 1971 qui fera entrer Alain Frébault dans la légende en devenant le Pilote des Grandes Jorasses.
Extrait du Livre "MBO On the Edge" Par Jon.E Lewis
Traduction (...)
" Vous avez raison, » répondit-il, " nous devrions être en mesure d’atterrir. " À 7h25, le SA 330 décollait de Chamonix. Quatre guides étaient à bord. Ils sont là - deux d’entre eux. Dieu ils sont fous ! S’ils volent rapprochés, ils se heurteront. Non, il n’y en a qu’un seul. Non, il y a l’autre, après tout. Non, je l’ai de nouveau perdu ou est-il arrivé à… ? Ah oui, je comprends maintenant, il n’y a qu’un seul hélicoptère. C’est moi qui voyais double.
De nouveau le vent, toujours le vent. Alors que ce matin on ne sentait qu’à peine une brise. Simone s’est effondrée, épuisée et désespérée. Ils l’ont emmenée chez un médecin, puis ramenée à la maison. Ils ont essayé les injections, les sédatifs, les comprimés de somnifères, mais en vain. (...) Grenoble, 9h10
Aussi improbable que cela puisse paraître, ce fut un miracle ; il n’y a pas d’autre mot pour expliquer ce qui semblait impossible. Alain Frébault avait pris part à un certain nombre de sauvetages dans les Alpes du Dauphiné de la CRS, parfois dans des conditions extrêmes. Il ne savait absolument rien sur les Grandes Jorasses et n’avait même jamais posé les yeux sur elles.
De loin, l’appel flotte devant moi. Vaguement, je pense que j’entends, mais cela ne semble pas réel. " Oui, je suis encore en vie. Gérard, je suis heureux que ce soit toi qui arrive le premier jusqu’à moi " Je me souviens du sauvetage épique sur les Drus, il y a des années, quand Gérard et moi nous étions querellés à cause de Gary Hemming et où je l’avais battu sur la face Ouest. Certainement, cette vieille querelle pourrait guérir maintenant ? Rien n’est impardonnable. Cela avait été dit ou fait. Mais ici, j’étais perdu et proche de la mort, et c’est Gérard Devouassoux qui est là, qui l’a fait, c’est donc que tout va bien. Dans ma naïveté, mon état de faiblesse physique, j’éprouve soulagement sincère et gratitude, et suis sûr que tout sera aussi simple que cela.
" Oui, bien sûr, je me souviens. Je tiendrai. " Sa bouche essaie de surmonter ce moment d’émotion. Ses yeux sont remplis de larmes. " Ne t’inquiète pas, Joseph, je tiendrai bon, je ne vais pas abandonner maintenant. " Oller et Zapelli de Courmayeur sont là, au sommet, avec Claude Ancey, chargés de la civière. Chaque chose se met en place comme dans un rêve, la brèche où je suis assis, l’hélicoptère qui me soulève de la montagne et me descend dans la vallée, l’ouverture de la porte, des mains amies qui me soutiennent, et m’aident à traverser pour rejoindre l’ambulance qui attend.
Extrait traduit du livre "MBO On the Edge" Par Jon.E Lewis. |
Extrait de "La montagne en direct" de Antoine Chandellier - Editions Guérin.
En rappel sur la cordée DESMAISON-GOUSSEAULT
|
Légendes des photos ci-dessous : Chamonix - DZ des Bois, le 25 février 1971
Les photos 1, 2, 4 et 5 sont extraites du livre "La montagne en direct" de Antoine Chandellier - Editions Guérin.
• Photo 1 : L’Alouette III Dragon 74 au sol : Équipage Pierre Violeau/Gilbert Mezureux ; de dos Paul Rouet sur la DZ des Bois. Derrière, à gauche de l’ambulance, casque à la main, le pilote Marcel Noguès. En arrière-plan, on aperçoit l’Alouette III F-MJBF du DAG de Megève en approche.
• Photo 2 : Le SA 330 Puma venu de Marignane, piloté par Jean Boulet/Roland Coffignot, en approche de la DZ des Bois pour y atterrir.
• Photo 3 : L’Alouette III F-ZBAS N°1192, Dragon 74, pilotée par Pierre Violeau de la Base Protection civile d’Annecy avec le guide Gérard Devouassoux au premier plan. En arrière-plan, on peut apercevoir Marcel Noguès (Pilote) et Gilbert Mezureux discuter avec Violeau - Photo © DL (en savoir +).
• Photo 4 : En ce 25 février 1971, sur la DZ des Bois, la famille et les médias en grand nombre attendant des nouvelles. En arrière-plan, on aperçoit le public maintenu à distance à l’entrée de la DZ.
• Photo 5 : Déchargement du matériel par le Maréchal des logis-chef Jean-Marie BOSSUET depuis l’Alouette III F-MJBF N°1098 en provenance de la Section Aérienne de la Gendarmerie (SAG) de Lyon.
• Photo 6 : L’Alouette III immatriculée F-ZBAS N°1192, de la Base Protection civile d’Annecy aux mains de l’équipage Marcel Noguès/Louis Maret vient juste de se poser après la récupération de René Desmaison qu’on aperçoit assis à même le plancher à cause du démontage des banquettes arrières pour la place et un allègement maximum.
Sur la gauche, en blouson clair avec son casque, on peut voir Pierre Violeau discuter avec Marcel Noguès tandis que les deux mécaniciens (dont Louis Maret) sont de l’autre côté de la machine. A droite, de dos à côté de Jean-Marie Bossuet (SAG de Lyon), Robert Petit-Prestoud de la Société de Secours de Chamonix - Photo © Patrice Habans (en savoir +).