Le paysan volant

lundi 8 décembre 2008

Jean-Pierre Guérin rêvait de prendre l’air. Il a créé Héli-Ouest. Depuis, il vole au secours des cultures et des blessés. Que d’émotions !
Aux dernières municipales, ses adversaires l’ont surnommé « le petit caporal du Perche ». Assurément, des jaloux. De ce maire - en place depuis 1968 - trop influent. De ce notable - l’un des plus gros agriculteurs de la région - trop fortuné. Et, par-dessus tout, de cet entrepreneur autodidacte, trop astucieux. Quand les agriculteurs voisins se diversifiaient, ces dernières années, sans imagination, dans les vacances ou les week-ends à la ferme, le bonhomme, lui, se lançait dans l’hélicoptère. « Dans toutes ses applications », peut-on lire sur ses cartes de visite : le traitement des cultures, la lutte antiacridienne, le transport sanitaire... Alors forcément, au pays, Jean-Pierre Guérin - c’est son nom - a fait quelques envieux. Le pays ? Boissy-lès-Perche, 500 habitants, aux confins de la Normandie et du Thymerais, en Eure-et-Loir. La France profonde.
De là, au milieu des champs, Guérin suit en famille ses hélicos jusqu’en Afrique. De Dakar à Djibouti. Sa société, Héli-Ouest, côtoie son exploitation. Ou plutôt sa propriété : le château du Mesnil (xviie siècle), avec ses allées de gravier et ses pelouses soigneusement tondues. Ici, ni tracteur apparent ni bestiaux : la ferme est comme en retrait. Occultée par le hangar à hélicoptères et la piste d’atterrissage entièrement balisée. C’est Roissy-lès-Perche !

Trapu, le cheveu blanc, Jean-Pierre Guérin, 62 ans, explique : « J’ai deux passions : l’agriculture et l’aviation. » La terre ? Il n’a eu de cesse que le patrimoine familial soit arrondi. Aujourd’hui, lui et sa femme, Jeanine, possèdent 150 hectares de blé, de colza, d’orge et de pois, et quelque 15 hectares de bois. Guérin cultive son jardin. Pourtant, sa passion pour les airs a visiblement pris le dessus. Désormais, Héli-Ouest affiche un chiffre d’affaires de 30 millions de francs (30 fois plus que l’exploitation agricole) et possède une flotte de 12 hélicoptères : des Ecureuil 350 et 355, des Alouette 2 et des Bell 47 et 206. C’est dès l’âge de 6 ans, avant guerre, qu’il attrape le virus, lors d’un baptême de l’air. Adolescent, il s’abonne à « Avia-Sport » et à « Aviation Magazine », dévore Saint-Ex et les biographies de Mermoz et de Lindbergh. A 20 ans, il obtient son brevet de pilote. Peu à peu, l’amateur se professionnalise : il apprend à naviguer aux instruments (et plus seulement « à l’estime »). Aujourd’hui, il possède son propre bimoteur : un Cessna 310.
Mais c’est en 1973 que les choses sérieuses ont véritablement commencé :
« J’avais fait traiter mes champs, dit-il. L’extrême maniabilité de l’hélicoptère m’a aussitôt séduit et je me suis dit que ce serait une bonne façon de marier mes passions. » Il achète alors un Bell 47 G2 d’occasion pour 200 000 francs (le prix inclut même sa formation de pilote privé) et engage un professionnel. C’est du moins ce qu’il croit : dès la première heure - en bordure d’un bois - une des pales heurte une branche, se plie, fauche la queue de l’appareil et vient crever le réservoir. En un instant, l’hélico prend feu.
Guérin persévère : le marché est porteur - le traitement aérien des cultures est à la mode - et rentable - les coopératives paient rubis sur l’ongle. Et puis, lui et sa famille sont bien introduits dans le milieu. Seul point noir : le métier reste trop saisonnier. D’où le souci d’aller voir ailleurs. En Tunisie : en 1983, la société emporte un appel d’offres pour le traitement de 60 000 hectares d’oliviers, financé par l’Office national de l’huile. Le chiffre d’affaires d’Héli-Ouest double.
Pour autant, le patron garde les pieds sur terre. Toujours en quête de nouvelles activités pour faire voler et amortir ses engins. Première idée : la lutte antiacridienne. Les invasions de criquets-pèlerins ravagent les cultures d’une large partie de l’Afrique. Elles vont aussi doper le bilan de l’entreprise. Leader français de la spécialité, Héli-Ouest multiplie, depuis 1986, les missions dans une bonne dizaine d’Etats, de la Mauritanie à l’Ethiopie, pour le compte du ministère de la Coopération et des plus grands organismes internationaux. Deuxième piste : le transport sanitaire. Depuis 1991, la firme a déjà décroché l’autorisation d’équiper les centres hospitaliers de cinq départements (l’Eure, l’Eure-et-Loir, l’Orne, le Loir-et-Cher et le Pas-de-Calais). Ce qui revient à assigner à chaque établissement un appareil et deux pilotes. Ce marché est plein d’avenir : pour le moment, une vingtaine de départements seulement disposent de tels services. Troisième et dernière activité : la mise en place d’un atelier agréé, capable de fabriquer des équipements pour l’aéronautique (kits de pulvérisation, civières...) et d’entretenir n’importe quel aéronef européen. Une source de revenus et d’économies : Jean-Pierre Guérin n’a jamais acheté d’hélicoptère neuf.
Cette belle histoire, bien sûr, n’est pas allée sans soubresauts ni sans risque. La « campagne d’Egypte » - un marché de traitement d’agrumes - s’est ainsi soldée, en 1985, par une perte de 800 000 francs. De même, la mise en place de la nouvelle politique agricole commune (et, corollaire, la baisse des prix agricoles et l’augmentation des surfaces en jachère) a fini par torpiller l’épandage des cultures. (5% du chiffre d’affaires aujourd’hui, pour 90% il y a dix ans). Enfin, c’est un pilote de la maison, et son hélicoptère, basé à Blois, qui fut pris en otage, en septembre 1992, dans la tentative d’évasion d’un détenu !
Autant d’émotions que Jean-Pierre Guérin rapporte sereinement. Avec son fils, Gilles, 31 ans - son directeur général et complice - il travaille déjà à un autre projet. L’idée, baptisée Héli-Forces, est d’installer, dans plusieurs capitales africaines, des équipes pour prévenir les invasions de criquets. Chaque base disposerait d’un hélico et des moyens de communication et de navigation les plus modernes. Guérin a déjà persuadé la FAO de financer 40% de ce programme. Il est prêt à décoller. Reste à convaincre le ministère français de la Coopération. Source

Bruno Abescat

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.