La gloire de mon hélicoptère

mercredi 3 août 2005

Photo © Christophe GothiéParti. Envolé. L’adjudant-chef Patrick Guillout, sanglé dans sa combinaison bleu marine, décolle dans le bruit strident des pales de l’hélice et l’odeur poisseuse des fumées de kérosène de son hélicoptère. La couche nuageuse qui coiffait la vallée de Chamonix s’est soudain déchirée au-dessus de l’aiguille du Goûter où, la veille, un randonneur a été touché par la foudre. « Hier soir, le vent nous a secoués comme un fétu de paille. On s’est fait jeter comme des malpropres. On n’a pas pu aller le chercher ». Ce matin, la météo se fait plus clémente. En moins de cinq minutes, l’équipage, un médecin, un secouriste, un mécanicien, et lui au pilotage, est prêt. Deux minutes plus tard, l’EC 145 bleu du peloton de gendarmerie de haute montagne (PGHM) de Chamonix bourdonne déjà sur zone. Le randonneur foudroyé, brûlé au troisième degré aux bras et aux jambes, est évacué sur l’hôpital de Sallanches, plus bas dans la vallée. La radio crache des nouvelles rassurantes. Et Patrick Guillout peut revenir se poser sous les yeux des vacanciers curieux, assis le long des grilles de la DZ (la dropping zone) de Chamonix, le petit héliport des secours. Fin d’une des missions du jour.

« Quand on s’envole, on part pour l’espoir de vie qui reste, jamais pour aller chercher un mort ». 1 500 interventions par an, 400 depuis le début de l’année. Les gendarmes de Chamonix vont secourir skieurs, raquettistes, glaciéristes, randonneurs, vététistes, kayakistes, parapentistes, marcheurs perdus, blessés, épuisés sur les pentes des plus hautes montagnes d’Europe. Ou décédés. L’avant-veille, trois « vrais alpinistes » originaires du Mans ont fait une chute de 400 mètres. L’espoir de les retrouver vivants était ténu, mais les gendarmes sont partis leur porter secours. Ils sont revenus avec les corps, retrouvés à 3 300 mètres d’altitude.

La mort ponctue aussi les missions de sauvetage. A ce sujet, Patrick Guillout racontera le coup que lui ont porté les crashs de quatre de ses équipiers et chefs, il y a près de dix ans, quand il était en poste à Tarbes. « Après ces accidents, ma fille n’arrivait à s’endormir que quand elle entendait le bruit de l’hélicoptère. Je passais au-dessus de la maison pour dire qu’on était rentrés ». Il parle de « capital d’invulnérabilité » qu’il émousse à force de voir la faucheuse s’asseoir à ses côtés dans l’hélico. Il jure que, le jour où la peur aura remplacé le stress de chaque décollage, il raccrochera. « On a une passion, on ne sait faire que ça, alors on continue », se justifie-t-il avec un mélange de volonté et de fatalité dans la voix.

Enfant, Patrick Guillout lit Tanguy et Laverdure et Battler Britton. Et rêve de voler. Fils de militaire, fratrie de cinq enfants, il veut devenir pilote de chasse. « A l’âge de 12 ans, je me suis inscrit à l’aéroclub. J’y allais le mercredi après-midi pour nettoyer les avions en espérant qu’on m’emmène. Ce qui n’est jamais arrivé ». Plus tard, il se présente au centre régional de recrutement de l’armée en Corrèze, sa région d’origine. Il n’a qu’un bac B, il est éconduit. « Tenace », il passe les tests d’entrée à l’Alat (Aviation légère de l’armée de terre), qu’il réussit. Il devient pilote d’hélicoptère antichar à 22 ans. La machine l’emballe, mais pas la routine d’une vie militaire faite d’entraînements et d’exercices en vol. Il quitte l’Alat avec l’idée de se « rendre utile ». Il intègre la gendarmerie et sa section aérienne, d’abord à Toulouse puis à Tarbes, où il rencontre sa vocation de secouriste en montagne. « Jamais je ne pourrais connaître en avion les mêmes sensations qu’en hélicoptère ». Il se pose sur des terrains de foot, vole à basse altitude au-dessus des villages, frôle les parois rocheuses, se pose en équilibre sur des crêtes de montagne. Impossible pour un pilote privé. « Dans le secours, on est affranchi de tellement de règles de navigation, que l’on prend un vrai plaisir à voler ».

Il enchaîne les sauvetages. Cocasses comme celui de ces quarante scouts partis avec une mauvaise carte, éparpillés sur 20 kilomètres dans la montagne, « retrouvés à l’odeur » : après avoir bu dans les ruisseaux, ils avaient tous la colique. Tragiques comme celui de ces deux étudiants pris dans le mauvais temps avec leur groupe et qui avaient « débaroulé une barre rocheuse ». Localisés après trois jours, ils ont été treuillés de nuit. L’un était mort. Héroïques aussi parfois, comme ce sauvetage d’alpinistes et de la mission de secours qui les avait rejoints, coincés sur une cascade de glace du cirque de Gavarnie, qui lui valent plusieurs récompenses. Mais « on ne peut pas tout relater, on ne peut pas tout romancer. On essaie de prendre du recul d’un jour sur l’autre pour continuer à avoir sa petite carapace », préfère-t-il couper. Patrick Guillout dit qu’il « n’aime pas parler de [ses] sauvetages » : « Ça fait exploit. Il y a exploit parce qu’on est là au bon moment, c’est tout. » Il s’excuserait presque : « Il n’y a pas de bon pilote, il y a de vieux pilotes. » Avec ses quelques cheveux blancs, sa carrure de sportif, regard franc, teint bronzé, Patrick Guillout est le portrait même du pilote chevronné, expérimenté. Après vingt-deux ans de carrière, il gagne 3 500 euros net par mois, ne touche aucune prime.

L’année dernière, il est muté au PGHM de Chamonix, considéré comme le summum des postes de secours en montagne. Il quitte à regret les Pyrénées, où lui, sa femme et ses deux enfants (5 et 12 ans) voulaient rester. « J’aime la montagne, mais pas celle-là, dit-il en désignant d’un geste large le massif du Mont-Blanc. Je n’aime pas cette montagne qui se vend et s’achète si facilement ». La critique s’adresse au vacancier inconscient qui imagine qu’on peut flâner sur le mont Blanc en tongs, au vététiste qui appelle pour une simple écorchure au genou, au randonneur qui, sentant la fatigue et la nuit venir, espère rentrer par la voie des airs, ou à l’alpiniste professionnel qui a mal interprété le bulletin météo, tous faisant gonfler chaque année un peu plus les chiffres des accidents de montagne. « Il est aussi de notre rôle de dénoncer les abus », prévient-il avant de rappeler que, « comme la mer, la montagne appartient à tout le monde ». En conséquence, il vit son métier comme une « mission de service public » : chacun doit être secouru, gratuitement. « Nous ne disons jamais non quand on nous demande de décoller. Nous disons on va voir... ».

Une fois là-haut, il est seul maître à bord. « A cause de l’altitude et du manque d’oxygène », le vol en haute montagne est un exercice périlleux et particulier. « On atteint vite les limites de la machine. Il faut savoir alors ne pas épuiser celles de l’équipage, sinon on va à l’accident. On est là pour assurer une mission pas pour mettre en péril la vie de l’équipe ». Parfois l’hélicoptère ne peut atteindre les personnes à secourir. Renoncer ? Pas question. Si l’hélico n’y arrive pas, « une équipe pédestre est toujours prête à partir ». C’est lui qui la larguera le plus près possible du lieu de l’accident. Hervé Marchon source

Patrick Guillout en 5 dates

 1962 Naissance.
 1984 Brevet de pilote.
 1988 Devient gendarme.
 1996 Mort de quatre de ses équipiers et supérieurs dans le crash de leur hélicoptère.
 Septembre 2004 Muté à Chamonix.

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