Manque d’appareils, organisation défaillante : les hélicoptères de la Sécurité civile sous haute tension

samedi 4 juillet 2020

Maillon essentiel du système de secours français, le parc d’hélicoptères de la Sécurité civile traverse de fortes turbulences. Plongée dans une organisation à bout de souffle.

En temps normal, ce sont eux qui répondent aux urgences et volent au secours des victimes aux quatre coins du pays – parfois même au-delà, en pleine mer. Pas cette fois. « C’est à notre tour de tirer la sonnette d’alarme. On ne peut plus continuer comme ça. Trop, c’est trop », se désole Fabrice Chrétien.

Ce pilote instructeur intervient sur l’ensemble des bases estampillées « Sécurité civile » du nord-est de la France. Il est aussi à la tête du syndicat national des personnels navigants de l’aéronautique civile (SNPNAC). À l’entendre, la « crise » ne date pas d’hier. « Mais là, dit-il, on arrive vraiment à l’os. Il y a un risque réel que l’on ne soit plus en mesure d’assurer partout nos missions ».

Cinq appareils de moins cet été
Au cœur des inquiétudes : le manque criant d’appareils en état de fonctionnement. La Sécurité civile dispose en théorie de trente-cinq EC 145, baptisés Dragon. Cette dotation est aujourd’hui amputée de cinq unités.

Trois hélicoptères rouge et jaune se sont crashés dans les années 2000 (*). « Ça paraît impensable, mais ceux-là n’ont toujours pas été remplacés ! », indique Fabrice Chrétien. Un quatrième s’est écrasé en décembre 2019 dans les Bouches-du-Rhône. Les trois occupants ont été tués.

Ce 6 juin enfin, Dragon 64, basé à Pau, a heurté une paroi rocheuse dans les Pyrénées. L’équipage n’a pas été blessé, mais la machine est hors service pour les mois à venir. Conséquence : la flotte est tombée à 30 aéronefs, alors même que cinq bases supplémentaires doivent être « armées » cet été, comme chaque année, en plus des 23 implantations permanentes.

Système D, manque d’anticipation et ratés
À cette pénurie de matériel en plein pic d’activité s’ajoutent les indisponibilités liées aux impératifs de maintenance – les Dragon sont entièrement désossés et révisés toutes les 800 heures de vol. L’opération dure des semaines. Et elle complique un peu plus encore l’équation finale.

« Comme rien n’est anticipé malgré nos alertes, on est toujours sur le fil du rasoir et on bricole », déplore Fabrice Chrétien. L’été dernier, la base de Besançon a par exemple dû baisser le rideau pendant deux mois. Ordre avait été donné de transférer Dragon 25 sur le détachement saisonnier de Courchevel en lieu et place de l’hélicoptère initialement prévu dans la clinquante station alpine, lui-même envoyé en… Martinique pour remplacer l’EC 145 local, accidenté.

Le 2 avril, c’était au tour de Dragon 29 de quitter son bercail finistérien. L’appareil a été projeté dans les Antilles pour participer sur place aux évacuations liées de patient Covid. Il n’a retrouvé Quimper que début juin.

Le vrai-faux départ de Dragon 63
L’été 2020 est toujours placé sous le signe du système D. Le détachement de Courchevel va fonctionner grâce à l’un des deux EC 145 normalement affectés en Ile-de-France. Et la base saisonnière de Mende, elle, sera finalement dotée d’un hélicoptère… des forces de l’ordre.

La direction générale de la Sécurité civile avait d’abord décrété le transfert temporaire de Dragon 63 depuis Clermont-Ferrand vers la Lozère. Mais face à la levée de boucliers des élus locaux, le ministère de l’Intérieur a rétropédalé in extremis. Dragon 63 reste en Auvergne. Et c’est l’Écureuil de la gendarmerie de Limoges, pourtant peu adapté aux secours dans des reliefs escarpés, qui a été chargé de sauver les apparences à Mende.

Une commande de deux appareils « qui ne résout rien »
« Ce dernier épisode est une caricature. C’est aussi catastrophique en termes de ressources humaines. Nos équipages sont baladés d’un point à un autre du jour au lendemain. À force, ça use », soupire encore le n°1 du SNPNAC.

Même la commande de deux nouveaux EC 145 n’apaise pas la colère de Fabrice Chrétien. « On nous fait miroiter deux hélicoptères de plus en 2021, mais on va juste revenir à la situation de 2019, qui était déjà très tendue ».

« Cette commande, c’est une goutte d’eau qui ne va rien résoudre », abonde un autre professionnel expérimenté de la Sécurité civile, qui relève au passage que « dans le même temps, l’État a fait un chèque de 200 millions d’euros à la gendarmerie, qui va acheter 10 hélicoptères de nouvelle génération. On n’est pas du tout sur la même échelle… »

« Notre budget est de 60 millions d’euros, soit moins d’un euro par habitant, pour assurer une me mission de service public 24 heures sur 24, 365 jours par an. On est capables de faire un treuillage en mer à 150 kilomètres des côtes, d’aller récupérer une victime au sommet du Mont-Blanc, d’intervenir sur des feux, des inondations, etc. Pendant la crise du Covid, on a évacué près de 300 malades vers des hôpitaux français, mais aussi étrangers. Bref, on est projetables partout, tout le temps, et on ne nous donne même pas les moyens de faire tourner nos bases correctement… »

Fabrice CHRÉTIEN
Pilote instructeur et secrétaire général du SNPNAC

Beaucoup plaident en interne pour une refonte de la carte des implantations, qui tienne notamment compte des moyens héliportés « blancs » (du Samu) et « bleus » (de la gendarmerie).

« Dans certaines zones, vous avez trois appareils différents qui se marchent dessus. D’autres à l’inverse sont sous-dotées », pointe un spécialiste du secteur. « Il faut rationaliser tout ça et sortir enfin des luttes intestines entre les intervenants, poursuit le même. L’idéal serait de confier la gestion de tous les hélicos, quelle que soit leur couleur, à un organisme unique et indépendant, chargé de déclencher telle ou telle machine selon le lieu et la nature de l’intervention ».

Le terrain, il le sait, est miné, et les pressions politiques nombreuses. «  Mais s’il y a une volonté partagée de faire bouger les choses, ça peut marcher. »

Stéphane Barnoin

(*) Deux dans les Hautes-Pyrénées, en 2003 puis 2006, et le troisième en Corse, en 2009. Source larep.fr

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