Le ciel n’a pas de limites : les hélicoptères prospèrent au Brésil

lundi 18 mai 2009

En pleine crise financière, quand l’industrie automobile est au bord de la faillite et les changements climatiques bouleversent les modes de production, une branche très polluante ne semble pas être touchée. En 2008, la mégapole de São Paulo devenait la ville ayant le plus grand nombre d’hélicoptères au monde.

Une DZ sur un building de São PauloVers 19 heures, ils dominent le ciel avec leurs lumières clignotantes et leur bruit tonitruant résonant entre les immeubles. C’est à l’heure du "rush", quand les grandes routes sont quotidiennement bloquées, que les "héli-routes" ont le plus de trafic. Le long de ces voies invisibles dans le ciel, ce sont en grande partie des hommes d’affaires qui rentrent chez eux avec leurs hélicoptères personnels le soir, pour y revenir par la même voie verticale le lendemain matin, et ainsi à chaque jour de travail.

"À São Paulo l’hélicoptère n’est pas un produit de luxe, mais un besoin", explique M. Rogério Andrade. Il est PDG à Helisolutions, la plus grande entreprise de copropriété d’hélicoptères au monde. Leur réponse à ce "besoin" est la proposition que plusieurs personnes se mettent ensemble pour acheter une partie d’un hélicoptère. M. Rogério Andrade dit vouloir "démocratiser" l’utilisation d’hélicoptères dans la capitale financière du Brésil. "Si tu possèdes une partie d’un hélicoptère, ça coûte considérablement moins que d’acheter une troisième voiture Mercedes ou BMW blindée", dit-il.

Une branche qui n’est pas touchée par la crise
En pleine crise financière, l’entreprise Hélisolutions va croître de 50 % cette année selon son PDG. Cet optimisme pour l’avenir se manifeste aussi pour d’autres entreprises d’hélicoptères. Helipark et Helicidade (deux "héli-ports" qui stockent et maintiennent au total plus de 110 hélicoptères à São Paulo) prévoient aussi une croissance de 20 % cette année. Les mêmes chiffres sont aussi valables pour TAM Hélicoptères qui vend des engins de la marque Bell au Brésil.

"Si le marché était libre, sans régulations, on aurait eu au moins deux fois plus de héli-ports qu’aujourd’hui", commente le chef d’opérations de Helicidade, Edson Pedroso. Il n’est pas difficile de le croire. Le plans des routes aériennes ressemblent à un plan du métro, avec des corridors dans le ciel en forme de toile d’araignée, ayant l’aéroport Congonhas pour centre.

Entre 300 à 500 hélicoptères se croisent chaque jour dans le ciel de São PauloLe nombre d’hélicoptères circulant dans la ville de São Paulo est de 483 selon l’autorité brésilienne d’aviation (ANAC). C’est un chiffre abstrait, certes, mais qui signifie concrètement que chaque jour croisent le ciel de São Paulo entre 300 à 500 hélicoptères, selon l’association brésilienne d’hélicoptères (ABRAPHE). Pour avoir une idée, c’est à peu près le même nombre de bus qui croisent par jour la ville de Malmö (qui a à peu près la taille de Montpellier) et d’Uppsala (qui est environ de la taille de Metz). Chaque année 85 000 atterrissages et débarquements se font par hélicoptère à São Paulo, l’équivalent de 240 par jour, ou de 10 par heure, transformant la ville non seulement en "leader" mondial du trafic aérien d’hélicoptères, mais encore, en une véritable expérience du rêve d’une "ville verticale" (pour reprendre l’expression du sociologue brésilien Saulo Cwerner).

Un transport qui s’inscrit dans de nouveaux usages sociaux
Pour la majorité des "Paulistas" (habitants de São Paulo), ce transport vertical n’est qu’un transport anonyme de luxe, qui passe au-dessus de leur têtes en quelques secondes. Mais les engins ont marquées la culture de masse, comme le montre leur présence dans les populaires "Novelas", feuilletons télévisés regardés chaque jour par des millions de brésiliens aussi bien dans les "favelas" que dans les luxueux appartements situés dans des grattes ciels.

Ainsi, dans "A Favorita", dernier feuilleton de 20h de la toute puissante chaîne Rede Globo (fondée en 1965, en pleine dictature militaire), le personnage de Gonçalo incarne un homme d’affaires riche qui prend l’hélicoptère régulièrement pour son travail et pour conduire sa famille à sa maison de campagne. L’hélicoptère est omniprésent dans ses dialogues et symbolise ici l’homme d’affaires honnête dans la ville moderne.

L’hélicoptère, symbole ostentatoire de modernité
Les annonces immobilières mettent volontiers en relief la présence d’une plateforme d’atterrissage privée dans les maisons de vacances sur la côte ou à la montagne aux alentours de la ville. À São Paulo, on ne semble pas loin du rêve d’une ville verticale décrit dans des films comme Blade Runner, The Fifth Element ou dans le dessin animé The Jetsons. L’hélicoptère y est le symbole ostentatoire de la modernité, une cause de fierté pour un grand nombre de Paulistas, et un objet de segrégation sociale pour les autres.

Un trafic routier surchargé
Le Brésil reste parmi les dix pays où l’inégalité sociale est la plus importante au monde (selon le coefficiant Gini mésuré par PNUD), et ceci est particulièrement flagrant dans la ville de São Paulo. Le mégapole représente la moitié du PIB brésilien. Mais pour vraiment comprendre le phénomène de "l’héli-boom" (pour utiliser un néologisme), il ne suffit pas de dire qu’il y a un grand nombre de très riches acheteurs potentiels prêts à payer au moins les 2,5 millions de dollars que coûtent les plus simples de ces machines. Il faut aussi rappeler deux autres éléments qui semblent avoir joué un rôle important dans l’explosion de la vente d’hélicoptères dans cette ville : les questions de l’infrastructure et de la délinquance.

Aujourd’hui, il y a au total 210 hélisurfaces sur les toits des gratte-ciels de São Paulo, tandis que Manhattan en a un seul. L’infrastructure et le trafic pour les hélicoptères est bien meilleure que sur terre, où déjà dans les années 1980, 1,6 millions voitures roulaient chaque jour sur les routes de São Paulo. Dix ans plus tard la flotte de véhicules avait doublé avec comme résultat des bouchons considérables.

Aujourd’hui, six millions de voitures roulent sur les routes de São Paulo chaque jour, dans une ville de presque 20 millions d’habitants. Même s’il existe des politiques de réglementation du trafic, il est quasiment impossible de normaliser l’afflux d’un tel nombre de véhicules. Tandis que la plupart des "paulistas" sont obligés d’affronter les inéluctables bouchons qui transforment ainsi, par exemple, un trajet de 30 minutes en un périple pollué de 3 heures, des hommes d’affaires traversent la ville en hélicoptère en 10 minutes.

La peur de la déliquance fait prendre les airs aux plus riches
Certaines familles vont à l’Eglise le dimanche en hélicoptère. Mais l’explication officieuse de ce choix est la délinquance. En 1999, un total de 12 818 meurtres était commis à São Paulo, selon des chiffres de la police fédérale. Cela signifiait 36 meurtres par jour, c’est-à-dire le même niveau que Kaboul et Bagdad aujourd’hui, sans parler de nombre considérable d’enlèvements. Cette même année le Brésil traversait une crise économique qui a diminué sa croissance à moins d’1%, tandis que la flotte d’hélicoptères a crû de près de 7%. Depuis l’arrivée à la présidence de Lula en 2002, la délinquance a diminué. En 2008 le nombre de meurtres à São Paulo ne dépassaient pas les 3 500 par an, mais la peur des enlèvements et de la violence est toujours dans les esprits.

Daslu, la boutique la plus luxueuse au Brésil (dont la propriétaire vient d’être condamnée à 94 ans de prison pour contrebande et fraude fiscale), possède une zone d’atterrissage pour les hélicoptères. C’est pendant le week-end que celle-ci enregistre le plus grand mouvement. Nombre de familles nanties vont faire des courses en se déplaçant verticalement, et d’autres se rendent à l’Eglise en traversant les cieux en hélicoptère.

L’exemple de la prospérité de l’industrie d’hélicoptères de São Paulo, malgré la crise, amène à poser bien des questions. Elle est symptomatique de la persistance d’un clivage social au Brésil, où même si "Dieu est Brésilien" comme dit le proverbe populaire, le ciel n’est pas à la portée de tous, mais il n’a pas de limites pour ceux qui ont des moyens. Gabriel Wernstedt source

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.