Afghanistan : La chevauchée des Tigre

jeudi 24 septembre 2009

Pas question d’augmenter les effectifs. Mais, désormais, les soldats français ont à leur disposition le plus performant des hélicoptères de combat.
De leur base avancée de Nijrab, les marsouins du 3e RIMa de Vannes regardent deux Kiowa américains. Les hélicoptères foncent vers l’éperon rocheux qui domine la piste, avant de dégager sur le côté. A moins de 1 kilomètre à vol d’oiseau, ce manège ne passe pas inaperçu. Un hélicoptère Tigre de retour de mission, reconnaissable à son canon de 30 mm en tourelle de nez, survole un paisible village. Trois de ces appareils ultrasophistiqués sont en service en Afghanistan depuis cet été. | Photo Thomas Goisque « Ils ont repéré une position des insurgés avec une arme lourde », me souffle un officier. Soudain, des rafales de mitrailleuses 12,7. Chaque hélico lâche la sienne. Un bruit gras qui, ici, ne surprend personne. Depuis trois mois qu’ils sont arrivés de la vallée de la Kapisa, les soldats français ont connu le baptême du feu. Deux sont morts dans l’explosion d’une mine. Arrivent deux Caracal. A peine posés, il faut embarquer. Les hélicoptères décollent dans la foulée, le nez vers le sol.

En vol tactique, à 3 mètres au-dessus des rochers, chaque appareil épouse le terrain à 250 km/h. Les touffes d’herbe sont si près qu’il semble possible de les toucher. La routine pour le capitaine de l’escadrille des forces ­spéciales de Pau et son lieutenant. Derrière eux, deux « gunmen » sont à l’affût, le doigt sur la détente de leur fusil-mitrailleur Herstal, capable de tirer 1 000 coups à la minute à travers le sabord ouvert. Plus loin, deux Tigre nous protègent. Pour la première fois, cet hélicoptère dernier cri est en opération. Les pilotes volent en tandem. Tout à coup, un de nos anges gardiens vire de bord vers Nijrab, d’où nous venons. Cinq minutes après notre atterrissage, le Tigre se pose à son tour. Cinq alvéoles de chaque panier de roquettes accrochées aux deux ailettes de l’appareil sont vides. « Nous avons reçu par radio l’ordre de finir le job des Kiowa, m’explique le chef de bord du Tigre. Ils étaient à la peine avec leurs mitrailleuses. Ce sont eux qui nous ont guidés sur l’objectif : une Dachaka, grosse mitrailleuse russe. Il n’y avait personne autour. On l’a traitée au canon et à la roquette ».

Des canons capables de ­tirer, en une minute, six obus de 155 mm à 40 kilomètres
« Avec les Tigre, on est rassuré. Au début du mois, s’ils n’avaient pas été là, on serait allés au tapis », me confie son collègue. Cette nuit du 4 septembre, les pilotes ne sont pas près de l’oublier. Ni les commandos cloués au sol par la mitraille ennemie. Tous sont cantonnés à Tora, la base avancée de ­Surobi, occupée par les légionnaires du 2e REI, le régiment étranger d’infanterie de Nîmes. En août 2008, cette base abritait la section Carmin 2 du 8e RPIMA, décimée dans la vallée d’Uzbin. « Aujourd’hui, la zone est à portée de nos canons Caesar », me dit le colonel Durieux en montrant au loin le début de la vallée maudite. Des canons capables de ­tirer, en une minute, six énormes obus de 155 mm à 40 kilomètres. Seul problème : en cas d’imbrication de nos hommes avec l’ennemi, le tir devient difficile, sinon impossible. C’est ce qui a failli se passer dans la nuit du 4 septembre dernier.

Né il y a trente et un ans à Monaco, tout au moins sur ses papiers de légionnaire, l’adjudant-chef Roger, dix ans et demi de Légion étrangère, était de cette mission. Je le retrouve avec ses camarades, rassemblés pour écouter Hervé Morin, en tournée des popotes. « Ce n’est pas facile d’expliquer à nos compatriotes pourquoi vous êtes ici, leur dit le ministre. L’Afghanistan est au milieu d’un arc de crise qui commence en Iran, avec son programme nucléaire, et finit avec le Pakistan, ses 180 millions d’habitants et sa bombe atomique. Vous comprenez pourquoi il ne faut pas que l’Afghanistan retombe dans le chaos.

L’adjudant-chef emporte avec lui 61 kilos de matériel
Notre sécurité se joue ici. » L’adjudant-chef Roger acquiesce, même s’il sert d’abord la Légion et ensuite la patrie. Au nom de ce fameux « legio patria nostra », Roger n’a pas cillé quand il a appris sa mission, début septembre. Au contraire. Ne fait-il pas partie du groupe commando du régiment ?

Le 3 septembre, Roger et ses frères d’armes seront déposés sur une crête. Objectif : un village soupçonné d’abriter des rebelles, qu’il faudra observer toute la journée. L’exfiltration est prévue dans la nuit du 4, toujours par les airs. Dix hommes des forces spéciales américaines accompagneront les Français. Roger pressent que, cette fois-ci, c’est du sérieux. Il s’équipe en conséquence. Il emporte une Minimi à canon long, 900 coups par minute, efficace à 1 000 mètres. En fait, ils sont deux légionnaires à disposer de la même arme. « En cas de pépin, ce n’est pas de trop », estime le chef de groupe. Avec ses grenades, son pistolet automatique, sa radio, 5 litres d’eau, des rations pour vingt-quatre heures, ses munitions et sa Minimi, Roger emporte 61 kilos de matériel, ­habits et rangers compris. « Sur la balance de l’infirmerie, ­l’aiguille affichait 136 kilos alors que j’en pèse 75 », me dit-il.

Les points d’observation ont été déterminés sur ordinateur par la « coordination 3D ». La préparation des missions s’effectue grâce à des animations en trois dimensions. Légionnaires et commandos savent précisément où ils iront se poster pour scruter le village. A l’heure H, deux Caracal se posent sur la DZ de Tora. Les commandos embarquent en silence. Vingt minutes de vol tactique. Les hélicoptères n’ont pas touché le sol que les hommes sautent déjà. Ils sont une vingtaine. Chaque groupe rejoint sa position. Au lever du jour, tous sont en place. Les renseignements étaient bons, le village est un « nid de frelons ». Les légionnaires observent les allées et venues d’hommes en armes, les groupes qui se forment. Ils accomplissent une parfaite préparation d’objectif.

Les Tigre effectuent des « passes canons »
Leurs images seront précieuses. Elles permettront peut-être de localiser Aboul, Gul, Kotchai, les chefs insurgés, en les comparant avec les clichés que possède déjà le J2, la cellule de renseignement. Si c’est positif, une autre mission sera programmée pour les « neutraliser ». En bas, personne ne s’aperçoit de rien. Mais un grain de sable vient perturber le dispositif : un petit berger qui pousse ses chèvres dans la montagne. Tapis dans les rochers, les commandos sont invisibles. Pas pour les yeux d’un Afghan. « C’est probablement lui qui a donné l’alerte », me dit Roger.

Au crépuscule, Américains et Français reculent vers la crête. Ils ont rendez-vous au milieu de la nuit à un point connu de tous. Soudain, à 0 h 35, claquent les premières rafales. Les insurgés ont préféré l’obscurité pour attaquer. Ou bien attendre le « ftour », la rupture du jeûne, pour s’alimenter. Même si les moudjahidin en djihad peuvent manger pendant le ramadan sans commettre de péché. Roger ne se pose plus de questions. Il riposte avec de courtes rafales, quand il arrive à voir l’ennemi. La montagne résonne du bruit des armes automatiques.

Les commandos se couvrent les uns les autres pour se replier vers la crête. Les insurgés tentent de couper leur retraite en les prenant à revers. A la Minimi de Roger répond une PKM, une mitrailleuse légère fabriquée en ex-Union soviétique. Un Américain est touché à la jambe. Un ­second prend deux balles dans le casque et une autre dans le dos, arrêtée par la plaque céramique de son gilet. Un quatrième projectile lui perfore la main. Il est sonné mais vivant. Les hélicos français sont au rendez-vous, mais impossible de se poser : au sol, la bataille fait rage. Les commandos leur ordonnent de s’éloigner.

A la base de Tora, le PC est en effervescence. Natacha, la jeune capitaine du contrôle tactique aérien, a perdu son joli sourire. Elle entend les détonations dans la radio du légionnaire chef de groupe qui, dans la fureur des combats, ponctue ses messages de mots d’anglais, sa langue maternelle. Le colonel Durieux est également là. L’opération peut se terminer en ­catastrophe, comme l’an dernier dans la vallée d’Uzbin. Les rebelles se glissent entre les rochers en rampant, sans qu’on puisse les distinguer dans les lunettes de visée nocturne. Sur les indications des légionnaires, les Tigre effectuent des « passes canons ». Le but : faire « baisser la tête » aux talibans pour que les Caracal puissent se poser. Le capitaine Natacha, elle, prend ses précautions. Elle est dans son rôle.

Si ça dure encore une heure, les Tigre n’auront plus de « pétrole ». Il faudra qu’ils rentrent à Kaboul. Elle lance la procédure pour qu’ils soient remplacés par d’autres appareils, américains cette fois. Hélicoptère Apache, F 16, A 10 tueur de chars, tout sera bon pour desserrer l’étau. Profitant de l’accalmie, les Caracal effectuent un poser d’assaut. A ce moment, une roquette explose à 10 mètres du rotor de queue d’un des deux appareils. Un rebelle, caché derrière un rocher, qui a tiré avec son RPG 7.

La riposte vient du ciel. Les Tigre « traitent » toute la zone avant de retourner vers Tora. Quand l’adjudant-chef Roger, épuisé, descend du Caracal, il tombe nez à nez avec son chef de corps. Dans son PC, le colonel Durieux ne tenait plus en place. Il est venu attendre ses ­légionnaires sur la piste. Patrick Forestier source

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