Historique de l’hélitreuillage (2ème époque)

Publication : 7/11/2011 Auteur(s) : Marc

La révolution du treuil électrique.
Le treuil électrique, avec ses 40 m de câble utilisables, nous permet d’intervenir rapidement, sans préparation particulière et surtout sans panne à répétition (parfois un fusible de protection du circuit électrique, vite remplacé, enraye la belle mécanique), le plus souvent sans relais de cordage et si c’est un progrès énorme, il a aussi ses limites : charge limitée, fragilité du câble qui demande une grande vigilance et surtout comme il est long, le balan a engendré un nouveau problème.

Le Mécanicien Opérateur de Bord en train de treuiller depuis une Alouette III de la Sécurité civile - Photo © Christophe GothiéC’est au cours d’un de ces treuillages à la Dibonna, une magnifique aiguille du massif de l’Oisans que nous prenons la mesure de ce fameux balan en compagnie de Georges Claudel, Vosgien d’origine, dit « Jojo ou le Père Fouras par ses hommes », un solide montagnard guide PGHM, buriné par le soleil et le temps. Ce jour-là, un vent de travers assez fort nous empêche d’intervenir au plus prés, Jojo le technicien, homme de l’Art, décide alors de se faire treuiller sur la vire Beule, les 40 m sont déroulés mais l’instabilité complique la manœuvre et le balan s’amplifie malgré l’expérience de l’équipe, Jojo est secoué comme un fétu de paille, passant tantôt d’un côté des skis (hors de ma vue) à l’autre et ne doit son salut qu’à sa seule force physique car, à plusieurs reprises, il arrive vers la paroi de dos et au prix d’efforts violents, parvient à se retourner afin d’amortir l’impact avec les pieds. Enfin, il aborde la vire, ne prenant même pas le temps de s’assurer, il a déjà enlevé la sangle. Ça y est ! Répit momentané dans l’action. Aujourd’hui, j’en ai encore des frissons dans le dos...
Heureusement, la récupération par le sommet fut nettement plus calme. Les jours ne se ressemblent pas !
Jojo était souvent l’homme de l’anecdote : Un jour, j’ai treuillé avec lui sur le glacier en dessous de la brèche de l’Ollan, un « gugusse » et son vélo, assis immobile depuis des heures dont la posture insolite avait intrigué le gardien du refuge de Font Turba, ce dernier, la nuit arrivant, nous avait alertés afin que nous fassions une reconnaissance. Au cours du treuillage qui s’ensuivit, je voyais remonter vers l’hélico notre alpiniste randonneur cyclotouriste hilare, content de lui, et de son aventure ; de pouvoir raconter aux copains sans aucun doute, de l’aubaine de ce baptême de l’air gratuit. Il avait dû lire un récit de colporteur d’antan, franchissant les cols d’une vallée à l’autre afin d’écouler sa marchandise et il fut donc tenté par l’exploit, avorté en l’occurrence. Ce jour-là, après avoir risqué sa vie comme à l’accoutumée, le secouru improvisé eut simplement droit de la part de Jojo à une phrase qui sonne souvent en pareille circonstance : « Il sort de Saint-Egrève cet oiseau là ! » (Asile régional).

Le Mécanicien Opérateur de Bord, en appui sur un des patins, s'apprête à treuiller depuis un AS 350 de la Sécurité Civile - Photo © Christophe GothiéTechnique et savoir-faire engrangés nous permettaient toutes les audaces, stimulées ou freinées par l’équipage à tour de rôle et quelques incidents ou accidents comme pointes d’arbres, câbles coupés ou crash, vinrent nous montrer rapidement les limites des machines, des hommes et freiner les ardeurs de la compétition entre sauveteurs. Il y avait tout de même de bons moments au treuil, notamment lorsque nous arrachions aux éléments contraires une vie (notre vocation première) que nous allions rendre à sa famille, la réintégrer à la société et aussi lors de la descente du Père Noël chez nos amis CRS, Gendarmes, Pompiers, les yeux brillants des enfants valaient bien tous les risques !
Puis à force de râler auprès des Constructeurs Avionneurs et équipementiers, la Sécurité Civile a été entendue : Un hélicoptère adapté au secours et transport sanitaire moderne, bi turbines, équipé de toute la technique actuelle, est né autour d’un treuil, formule imagée, cela va de soi ; ce fut le BK 117 (actuel EC 145 modifié) capacité d’embarquement par l’arrière, grâce à l’ouverture de deux demi coquilles, façon Noratlas, en toute sécurité par la garde au sol suffisante du rotor principal et anti couple, espace à bord, rangement suffisant pour les équipes médicales, puissance, vitesse de croisière améliorée, mais surtout doté d’un treuil révolutionnaire, attendu depuis si longtemps, sur potence orientable, d’un câble de 90 mètres, pouvant embarquer deux sauveteurs plus un blessé en un seul treuillage avec une vitesse d’enroulement du câble époustouflante, évitant ainsi les expositions prolongées aux chutes de pierres lors du treuillage en paroi verticale.

En tant que responsable technique, durant l’été 94, j’ai été mandaté par Monsieur Coulbois patron du Groupement d’Hélicoptère de l’époque de ma Direction Parisienne, pour faire les premiers essais avec cette nouvelle machine afin d’expérimenter et améliorer voir modifier ces nouveaux équipements. Hélitreuillage depuis un EC 145 des FAG - Photo © Christophe Gothié Les tests furent pratiqués en base mer et montagne ; Chamonix, pour cette dernière, était évidemment la mieux adaptée.
Les moments euphoriques passés, nous découvrons les premiers problèmes : 90 m à la verticale, c’est super long, on ne voyait pas arriver le crochet au sol, et le sauveteur, lors de l’arrivée sur zone, levait les pieds tellement ça arrivait vite ! Je me rappelle ainsi Signeti qui, lors d’essais dans le secteur de Courchevel, était arrivé brutalement sur les fesses... Pour remédier à tout cela, on a imaginé une rallonge au crochet de 2 m, cette dernière était bariolée couleur Salamandre (noir et jaune) lorsqu’elle se lovait au sol, on pouvait freiner la descente. Il existait bien un compteur de longueur déroulée, mais lorsque vous êtes debout sur le patin en équilibre à surveiller la manœuvre, il n’était pas question en plus de surveiller le compteur. Treuil de 90m installé sur un EC 145 des FAG - Photo © Christophe Gothié La tête dans le vent gênait aussi la communication d’équipage, le balan de la charge au treuil était le pire ; il fallut se réadapter à la position extérieure, modifier les points d’attaches de sécurités, réinventer signes, gestes, dialogues (aujourd’hui standardisés), les problèmes techniques étaient contraignants aussi, toutes les 25 utilisations de services, il fallait : contrôler, graisser le câble, ceci étant dû à sa nouvelle texture de tressage. La machine elle-même ne donnait pas entière satisfaction malgré sa puissance incontestable, elle manquait de défense au pied en altitude et surtout la comparaison avec l’Alouette se faisait sentir malgré l’enthousiasme de cette nouvelle aventure, en un mot il fallut « Réinventer la roue ». A l’issue, un débriefing eut lieu à Marignane Eurocopter pour mettre à plat tous les soucis.
A l’heure actuelle, les treuils sont équipés de ralentisseurs, les sauveteurs, de moyens de communication plus performants, les équipages de JVN (Jumelle à vision nocturne), les techniques d’intervention tout temps aménagées, l’appareil optimisé sur ses points faibles ; tout semble aller pour le mieux !

Treuillage depuis un EC 145 de la Sécurité Civile - Photo © Christophe GothiéLes premiers EC 145 (BK 117 C2) sont arrivés en 2002 ; les dernières Alouette III nous ont quittés en 2009, la toute dernière pour rentrer au Musée de l’Air à Paris.
Une certaine nostalgie m’étreint lorsque je pense à ce que nous, pionniers, avons connu, de découvertes, d’innovations, de liberté presque totale, allant au contact pour susciter la mission, en restant tout de même dans les clous officiellement, sous la seule tutelle du Préfet départemental qui, par ailleurs, avait d’autres chats à fouetter.
A ce jour, tout est planifié, informatisé, standardisé, par notre Direction centrale Parisienne dont les membres, non issus du terrain pour la plupart, décident même du choix du Chef de Base et du Responsable Mécanicien, alors que cela devrait rester une prérogative locale du personnel en place afin de garantir l’option relationnelle (très important pour l’harmonie et le bon fonctionnement des Bases). Gare donc à celui qui déroge ! A tel point que les équipages n’ont plus qu’une envie, c’est de partir en repos récupérateur avant la retraite officielle, alors que nous, on s’accrochait bec et ongles, pour effectuer une ou deux années supplémentaires, voire même obtenir un emploi de contractuel, au point de faire cadeau de ces fameux jours de récupération accumulés, mérités et pourtant si décriés, tout au long de nos merveilleuses carrières.
Autres temps, autres mœurs ; en tout cas la relève est là, qui fait de son mieux dans le système.

Hélitreuillage depuis un EC 145 de la Sécurité Civile - Photo © Christophe GothiéTous les gens du Secours en montagne quelque soit leur « Chapelle » sont des gens passionnés qui n’hésitent pas au sacrifice suprême même si le risque est mesuré et calculé. La démonstration a été faite maintes fois à travers le lourd tribut payé par les uns et les autres. Mais je ne peux m’empêcher de citer quelques survivants avec lesquels j’ai partagé tant de moments forts : Laboret (86 ans) notre doyen, Loigerot, Gren, Carry, Gineux, Baylus, Armanet, Penin, Claudel, Parchet, Bachimont, Brunel, Payot, les médecins du Samu et les équipes médicales du Docteur Menthonnex, etc.
Cet historique rédigé à leur attention est un peu le leur, à mes compagnons d’équipages et tous les autres, auxquels j’offre le mélange de l’hommage et du souvenir. Tant de choses nous ont fait vibrer telle que l’intensité émotionnelle de l’engagement humain total.

 Cliquez ici pour lire "Historique de l’hélitreuillage (1ère époque)".

Vos commentaires

  • Le 8 novembre 2011 à 11:07, par Chris En réponse à : Historique de l’hélitreuillage (2ème époque)

    Formidable Marc ! Ces récits sont à immortaliser. A quand un livre de toi ?
    Amitié.
    Jean-Marie

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    • Le 9 novembre 2011 à 17:46, par Chris En réponse à : Historique de l’hélitreuillage (2ème époque)

      Merci Jean-Marie de ton témoignage amical, mais mes quelques souvenirs ponctuels dû à mon âge avancé ne sauraient en aucun cas intéresser un éditeur (peut-être avec Francis et encore).
      Je préfère rester modestement selon mes moyens dans le milieu de quelques connaisseurs.
      Respect et considération.
      Marc

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  • Le 25 octobre 2012 à 14:56, par Chris En réponse à : Historique de l’hélitreuillage (2ème époque)

    Merci Monsieur Lafond pour cet historique.
    Je suis ingénieur en mécanique, et je travaille actuellement à l’établissement d’un cahier des charges du treuil de sauvetage du futur, alors votre description des évolutions depuis la genèse des premiers treuils est primordiale pour moi.
    Je souhaiterai m’entretenir avec vous pour discuter d’un treuil "idéal", alors si vous souhaitez me contacter, j’en serai très honoré.
    Merci et bonne réception.

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  • Le 28 septembre 2021 à 14:51, par cuzol En réponse à : Equipement du secouriste

    Bonjour,
    Je suis étonné que le secouriste descendant de l’hélicoptère, ne soit pas équipé d’une liaison radio. Équipement très modeste qui apporterait plus de sécurité et faciliterait les interventions.
    Mon propos est quelque peu hors sujet, mais ce sujet semble ignoré.
    Cordialement.

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