Hommage à mon Ami Freddy

Publication : 3/07/2012 Auteur(s) : Marc

Alfred LEPLUS est né en Algérie le 4 octobre 1924 dans une famille d’agriculteurs ; fasciné très jeune par tout ce qui vole, il est imprégné par les exploits des pionniers du ciel. La période de guerre facilite le recrutement des bonnes volontés dans l’armée de l’Air et attise son esprit aventureux.
 23 mai 1945 à Turner Field (Georgie) - Graduation du 14eme détachement (Bimoteur) - Photo source CFPNAEn 1943, il a alors dix neuf ans, étudiant aux États-Unis à l’école de Formation de chasse, il passe ensuite sa qualification sur P47 Thunderbolt, le fameux Jug (Fléau) un monstre de près de cinq tonnes surmotorisé, double étoiles Pratt & Whitney 2800 cv, armé jusqu’aux dents, vitesse de croisière près de 700 km/h et 3000 km d’autonomie. Il totalisera plus de 600 heures sur cet avion de légende. Sa période nord-américaine durera quatre ans avec un détour par le Canada en 1946 où il fera ses premières armes et gagnera le surnom de Freddy.

P47 Thunderbolt, le fameux Jug (Fléau) un monstre de près de cinq tonnes - Photo collection Marc LafondAccueillant, chaleureux et courtois, il possédait toutes ces qualités qui faisaient de lui cet homme attachant que j’ai accompagné jusqu’au bout, lorsque la maladie l’a frappé quelques années après sa mise à la retraite entraînant l’indisponibilité, épreuve la plus difficile à supporter parce qu’elle le priva de sa raison d’être : le vol en montagne. Cependant je le sentais heureux lorsqu’il évoquait Jean-Pierre, son fils aîné, pilote lui aussi, qui avait assuré la relève.

En 1946, toute la famille se regroupe dans le Lot-et-Garonne à la Sauvetat-du-Dropt au lieu dit "Le Roc" : Tout un symbole ! La France se reconstruit, la propriété et l’agriculture ont besoin de bras, Freddy apportera les siens un moment, mais en 1954, la terre si généreuse soit-elle, n’arrive pas à nourrir plusieurs ménages. Il décide alors de passer le concours de Gardien de la Paix et intégrera une compagnie CRS de Bergerac laquelle, ironie du sort, le ramène en Algérie à plusieurs reprises pour le maintien de l’ordre.

Lorsqu’il apprend la création du Groupement Hélicoptères en 1957, il postule sur dossier et intègre le GH en 1958 ; il a alors 34 ans. Pilote par instinct, pionnier avec quelques autres, il est de ceux qui ont façonné le secours aérien français encore hésitant et incertain. Alfred Leplus en compagnie de Jacques Wattebled devant leur Alouette II - Photo collection Marc Lafond Du Bell 47 à l’Alouette II, il aborde la montagne, avec ses pièges, sans expérience particulière, grâce à quelques recommandations du Pilote avions des glaciers, Henri Giraud, spécialiste de l’époque. Avec sa curiosité, son sens de l’observation et son courage, il forge patiemment son savoir-faire sans tapage, de sorte qu’il entre dans la légende de ce milieu très fermé. S’ensuit un palmarès important dont quelques faits notoires :

• Le 2 décembre 1959 à Malpasset, du fait de la rupture du barrage, une vague de quarante mètres déferle sur Fréjus jusqu’à la mer et fait 423 victimes. La Protection civile engage, sous le commandement du Lieutenant Gérard FROMMWEILER, quatre équipages dotés de Bell 47 et d’une Alouette II. La base Aéronavale étant noyée sous le limon, il faut, pour le ravitaillement en essence et kérosène, se poser sur le porte-avions LAFAYETTE.

Préparation mission ravitaillement du village Villard-Reculas (38) en Alouette 2 F-ZBAC Protection civile avec Alfred Leplus aux commandes et Gabriel Montmasson Grenoble-Eybens, le 20 décembre 1962 - Photo DR archives DL • Le 15 juin 1960 : Crash dans le Massif du Moucherotte de l’Alouette II F-BIFM de Grenoble pilotée par le Lieutenant FROMMWEILER ; par miracle, il n’y a pas de victime. Il participe avec émotion à la récupération de l’épave en vue de la reconstruction. La même année, sur les conseils de Louis MARET et Gabriel MONTMASSON, il élabore la civière longitudinale qui équipera toutes les machines (Alouette II et III) avant le renouvèlement du parc par les EC 145.

• Le 11 août 1963, au lieu-dit Le pavé, le crash du Capitaine Jacques WATTEBLED, aux commandes d’une Alouette II, amènera la Direction parisienne – sur les conseils du Capitaine Jean-Louis Lumpert Les équipages de la Base de Grenoble/Le Versoud - Photo collection Marc Lafond en transit à l’état-major – à envoyer Freddy à Dax (fin 63). Il sera alors désigné et considéré comme moniteur officiel du GH, fonction qu’il pratiquait déjà de façon informelle depuis sa formation initiale sur Bell 47 chez Fenwick Aviation. Quelques jours suffirent au commandement ALAT pour être convaincu qu’il était l’homme de la situation. Freddy continue de s’illustrer sans bruit notamment aux Grandes Jorasses (Pointe Walker) et dans d’autres missions.

Quand j’intègre la base de Grenoble, c’est la pleine saison, aussi suis-je mis rapidement dans le bain. A près de cinquante ans, doté d’une solide expérience, Freddy dispense abondamment savoir-faire et conseils techniques, sans s’imposer. Il me jauge et la confiance s’installe, je prends marques et repères et assimile rapidement les recommandations de sécurité. Un mois plus tard, la motivation et l’enthousiasme intacts confortés par mon affectation et l’accueil des équipages, jusqu’à ce que survienne le premier secours difficile qui remet tout en question et fait surgir les doutes.

Sur demande du poste de secours situé à La Bérarde, nous devons intervenir sous le Glacier Carré à la hauteur du Couloir Duhamel (réputé pour ses chutes de pierres) où une cordée se trouve en difficulté : une jeune fille aurait reçu un bloc de rocher, l’alerte avait été donnée par son compagnon.
Alfred Leplus aux commandes de l'Alouette III F-ZBAL - Photo collection Marc Lafond Lors du treuillage qui s’ensuivit, après avoir hélas constaté le décès de la victime, il est décidé d’intervenir à la sangle. En effet, cette utilisation est plus rapide qu’avec la civière, dans le but de limiter au maximum les risques pour les sauveteurs au "parpinage" intensif qui enchaînait les rebonds endommageant ce jour-là, la "bulle" du cockpit par deux fois !
Au moment où arrive ce corps désarticulé, ensanglanté et inerte, j’hésite à m’en saisir pour le hisser dans la cabine ; Freddy m’incite à le faire par respect pour la famille : « On ne peut pas descendre le corps ainsi ! », me dit-il. C’est alors que, pris dans le souffle du rotor, le sang semi-coagulé de la victime me gicle à la figure masquant momentanément mon champs de vision vers la porte latérale ; je m’écrie alors « Qu’est ce que tu fous là ? » ; je craque...

Le soir au débriefing, mes compagnons me réconfortent, particulièrement l’ancien qui me fait part de ses propres remises en cause, de ses doutes et découragements, moi qui le croyais blindé... Puis il ajoute ses derniers mots que j’ai toujours gardés en mémoire : " Si tu veux faire ce métier, garde toute ta compassion pour les proches et les enfants ".

Freddy entouré de ses collègues lors d'un Méchoui - Photo collection Marc LafondBien entendu la vie continue avec son lot d’incidents, comme lorsqu’un matelas de brancard est aspiré dans le rotor sur la DZ de Gap, ce qui aurait pu sectionner les commandes de vol. Ou encore lorsque nous prenons des volées de pierres dans la Voie des plaques à l’Olan. Les tragédies s’enchaînent aussi hélas : au Grand Colomb, au Col des Chamois où il m’aide à porter les enfants accidentés, semblant impassible mais avec les yeux embués de larmes...

J’ai le souvenir d’un secours au Rouget où nous avons terminé l’intervention sous l’orage, la tête du rotor dans les nuages et avec le témoin du niveau de carburant dans le rouge depuis cinq minutes, ceci afin de ne laisser personne dans la paroi ; il est vrai que nous pouvions descendre en autorotation sur la DZ de la Bérarde, mais... il fallait oser tout de même !

Pilote d’excellence, il avait besoin en permanence de transmettre son savoir ; plus c’était difficile et plus il était heureux ! J’ai énormément progressé grâce à lui et, quand avait bataillé longuement avec les éléments, c’était à moi le Mécanicien qu’il incombait de ramener "Dragon" à la Base.

Un morceau de l'épave du Mc Donnell F-101 Voodoo piloté par le Capitaine Wesley J Brooks décédé dans le crash de son avion au Grand Ferrand le 25 avril 1963 - Photo collection Marc LafondEn montagne tout semblait facile, Freddy faisait corps avec sa machine, pilotant "aux fesses" selon la formule du métier. Quelquefois je faisais de rapides calculs au "computer" (poids, altitude et température) pour connaître la puissance autorisée affichable afin de ne pas faire exploser la boîte principale (BTP). Il était toujours dans les clous, c’était sidérant ! Cela venait probablement de sa formation rigoureuse et de son expérience sur Bell 47 qui l’avait entraîné aux minima.

En dehors du travail, c’était un joyeux drille qui n’était pas le dernier à faire la fête ; le tirage des Rois et Méchouis savoureux sont encore en mémoire des compagnons participant à quelques agapes mémorables !

Le Capitaine Wesley J. Brooks décédé dans crash de son avion le 28 avril 1963 - Photo collection Marc Lafond Récemment, sur le forum d’Helico-Fascination, un message de remerciements est laissé par une famille américaine concernant le Pilote M. Leplus et son mécanicien M. Montmasson qui étaient intervenus le 28 avril 1963 au Grand Ferrand à la suite du crash d’un avion Mc Donnell F-101 Voodoo. Ceci est inhabituel car près de cinquante ans s’étaient écoulés et, après avoir lu le message, une citation me vint spontanément à l’esprit : « Il faut être un homme responsable, fier de la réussite ou de la victoire d’un compagnon. C’est en posant sa pierre que l’on contribue à bâtir le Monde ». Antoine de Saint-Exupéry.

Freddy était de ceux-là et illustre parfaitement ce quatrain :

Sans intrigues, sans arguties alambiquées,
Sans confondre être, pour paraître,
A vouloir être, pour vouloir exister,
A l’apogée de son art, il fut un Maître.

Vos commentaires

  • Le 4 juillet 2012 à 12:00, par Chris En réponse à : Hommage à mon Ami Freddy

    Merci Marc, pour ce bel hommage à Freddy, pilote et homme exceptionnel que j’ai beaucoup admiré et apprécié !
    Pendant un des sauvetages aux Bans, une rafale de vent terrible fit traverser en une seconde l’Alouette III du ciel au-dessus de Temple Ecrins à la Grande aiguille de La Bérarde. Au sol, nous étions pétrifiés ! Freddy est descendu du "taxi" avec des gouttes de sueur ressemblant à des petits pois tellement les minutes qu’il venait de vivre avaient été délicates et soutenues. Son commentaire a été : "Oh, ça a secoué un peu !".
    Freddy tu resteras toujours dans nos cœurs.
    Esther

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    • Le 4 juillet 2012 à 13:12, par Chris En réponse à : Hommage à mon Ami Freddy

      Marc a effectivement rédigé un bien bel hommage sur son ami !
      Merci Esther pour cette anecdote sur Freddy et son "taxi" !
      Chris

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    • Le 30 avril 2014 à 16:57, par Chris En réponse à : Hommage à mon Ami Freddy

      Bonjour à tous,
      J’ai connu Freddy, j’avais 6 ans (en 1963) et nous étions voisins à Échirolles. Je passais surtout mon temps avec son fils André. Freddy n’hésitait pas à nous emmener à la Base (à l’époque, elle se situait à côté de l’Hôpital sud).
      Je me souviens quand l’Alouette 3 rouge effectuait un stationnaire au-dessus de nos maisons proches, son épouse savait qu’il partait en mission urgente. Peu de personnes avaient le téléphone en 1960 !
      Freddy m’a donné cette passion de l’hélico car j’ai pu intégrer L’ALAT au GALDIV 7 à MULHOUSE BALE en 1977.
      Beaucoup de souvenirs et d’émotions partagées.
      Cordialement,
      Charly LUCAS

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  • Le 4 juillet 2012 à 13:22, par Chris En réponse à : Hommage à mon Ami Freddy

    Marc et Chris,
    Merci pour cette belle page de souvenirs.
    Les histoires se croisent. Beaucoup ont eu la vie sauve, grâce à Mr Leplus et son équipage ; pour d’autres, c’était trop tard... Mais quoi qu’il en soit, la ligne de conduite montrait un grand respect de la Montagne et des gens. Mr Leplus ne doit pas être oublié.
    Cordialement.
    Serge (redline69)

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    • Le 6 juillet 2012 à 12:41, par Chris En réponse à : Hommage à mon Ami Freddy

      Un témoignage de grande qualité sur l’un de nos pionniers qui démontre bien le caractère humain de cette époque où les hommes savaient donner plus que recevoir, animés de leur passion, conscients de leur devoir, solidaires dans leurs actions et sans que le temps, preuve en est faite, ne les fasse oublier...
      "Souviens-toi des autres, on se souviendra de toi".
      Merci encore à Marc Lafond.

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      • Le 21 juillet 2012 à 21:35, par Chris En réponse à : Hommage à mon Ami Freddy

        Mon mari m’a beaucoup parlé de ses débuts dans le secours en
        montagne.
        Il avait une grande admiration pour Monsieur Leplus Freddy qui
        lui a beaucoup appris et aussi apporté pour sa carrière de pilote
        hélico.
        Il avait aussi beaucoup d’estime pour ses qualités humaines.
        Il faisait partie des "Compagnons de l’Alouette".

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  • Le 1er août 2012 à 18:50, par Chris En réponse à : Hommage à mon Ami Freddy

    Je suis une des petites-filles de Freddy et tenais à vous remercier pour ce bel hommage. Je pense souvent à lui et suis émue de constater que je ne suis pas la seule...
    Tamara

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    • Le 13 août 2012 à 14:28, par Chris En réponse à : Hommage à mon Ami Freddy

      Merci à vous tous.
      Nous gardons précieusement cet article pour son arrière-petit-fils Baptiste (petit-fils de Jean-Pierre).
      Caroline et Olivier

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      • Le 16 août 2012 à 22:12, par Jean-Pierre LEPLUS En réponse à : Hommage à mon Ami Freddy

        Merci infiniment à Marc LAFOND pour cet hommage rendu à notre père et je m’exprime au nom de toute la fratrie. Le fil n’est pas coupé puisque mon fils Olivier, le petit-fils de Freddy, après un début de carrière en "chasse" ( tiens, tiens...) s’est reconverti dans l’hélicoptère... Depuis 1943, l’aventure continue !

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  • Le 6 novembre 2012 à 13:47, par Chris En réponse à : Hommage à mon Ami Freddy

    Très ému par cet hommage, je tiens à remercier Marc Lafond.
    Pour moi plusieurs anecdotes que je garde en tête. En tant que pisteurs-secouristes (à l’Alpe d’Huez à l’époque), je me souviens lors d’un grave accident de ski, on avait fait appel à l’hélico rouge et je vois arriver mon père aux commandes.
    Tout en s’occupant sur la victime (en arrêt respiratoire), il me donnait des nouvelles de la famille !!!
    Je faisais le bouche à bouche tandis que lui pratiquait le massage cardiaque !
    Parfois, il me descendait en hélico chez moi à Bourg d’Oisans en se posant sur la patinoire.
    Que de bons souvenirs !

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  • Le 3 juillet 2013 à 10:10, par Chris En réponse à : Hommage à mon Ami Freddy

    Bravo Marc, pour ce super hommage à Freddy. Il faisait parti avec Alain de ces pilotes hors pairs, ainsi que des équipages qui les accompagnaient, à tenter le tout pour le tout pour sauver des vies !
    Merci de nous faire revivre ces moments exceptionnels.
    Une grosse pensée pour eux que nous ne pouvons oublier.
    Esther

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  • Le 12 novembre 2014 à 22:00, par LEPLUS M. En réponse à : Hommage à mon Ami Freddy

    Freddy était mon grand père, au regret de ne pas l’avoir connu je lis cet article avec beaucoup d’émotions, merci a marc pour cet hommage

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