6 heures dans le tambour d’un lave-linge

Publication : 11/06/2015 Auteur(s) : François

Hélitreuillage avec le Dauphin de la Sécurité civile - Photo © François BOURRILLONCertains se souviennent de l’ouragan qui s’est abattu sur la Bretagne le 15 et 16 octobre 1987. C’est le 10 octobre de cette même année que nous avons dû faire face, dans les Bouches-du-Rhône, à des conditions exceptionnelles.
Lorsque j’arrive à la base de Marignane ce matin-là, le vent souffle déjà fort mais ça n’a rien d’une tempête. Le pilote m’informe que nous allons décoller tôt avec le Dauphin pour nous rendre à la foire d’Orange où l’hélicoptère de la Sécurité civile est attendu pour une démonstration de treuillage.
L’inventaire du matériel terminé, nous décidons de décoller. Je n’aime pas trop voler à bord du Dauphin que je trouve peut être trop « confortable » en comparaison de l’Alouette 3. En revanche, c’est toujours agréable de voler juste pour la promenade sans le stress d’une intervention...
Arrivés à Orange, on se pose dans un champ à proximité de la foire, le vent a déjà forci mais le pilote et le mécanicien décident de maintenir la démonstration.

Il est urgent de mettre fin à l’exercice car les rafales de vent commencent à se déchaîner avec des pointes à 130 km/h.
L’exercice, sitôt terminé, nous tombons rapidement d’accord de rentrer « à la maison » sans tarder.
Le retour sera mémorable. Le pilote m’avouera ne jamais avoir été autant secoué de toute sa carrière. Il me restera gravé à tout jamais le joli souvenir de la queue du Dauphin, poussée par les rafales de ce vent de Nord Ouest, et essayant de doubler la cabine ! Je ne sais pas si ça marchera avec ceux qui auront à vivre la même situation, mais en ce qui me concerne, afin d’oublier le « tabassage » et éviter de vomir, j’avais sorti une revue médicale de mon sac, l’avais collée très près de mon visage, m’efforçant de lire, en oubliant tout ce qu’il y avait autour ! Le pilote me dira plus tard :
« Quand je t’ai vu lire à ce moment-là, j’ai cru que tu avais perdu la raison ! ».

Enfin posés à la Base, nous nous disons qu’il y aura de bien belles histoires à se rappeler quand on sera vieux.
A la verticale du voilier échoué - Photo © François BOURRILLONTrès tôt, en début d’après-midi nous sommes alertés qu’un naufrage de voilier est signalé dans les parages des Saintes-Maries-de-la-Mer et que ce sera avec le Dauphin que nous nous y rendrons.
Je ne garde pas de souvenir précis du vol à l’aller, en revanche, arrivés sur zone, nous partons à la recherche du voilier mais sommes alors littéralement pris par un mini ouragan au sein duquel il est impossible de distinguer le ciel de la mer, les vagues des bancs de sable tant la visibilité est réduite.
Un petit problème d’instrument de bord pousse le pilote à tenter de se poser pour faire le point. Ce n’est qu’une fois les patins posés sur le sol qu’il nous semble distinguer de vieilles pierres tout proches de la machine ; c’était, en fait, une tour totalement invisible pendant la phase de posé d’où une certaine tension lors du redécollage, et après plusieurs minutes de vaines recherches, nous pensons qu’il sera très difficile de retrouver le voilier naufragé à bord duquel, nous le savons, se trouvent deux personnes en détresse.
C’est alors qu’un avion radar de la marine (type Hawkeye possédant une immense parabole) prend contact avec Dragon 132. Il est parvenu à nous localiser mais le voilier aussi, c’est avec plaisir (et le soulagement de se sentir moins seuls, que nous nous laissons guider dans la tourmente jusqu’à notre objectif.

Un patin posé sur le sable, nous apercevons les deux personnes qui ne semblent pas blessées, agrippées à la coque et qui nous regardent sans bouger malgré les grands signes du mécanicien opérateur de bord leur demandant de rejoindre l’hélico.
« Mais qu’est ce qu’ils font-ces .... ? Pourquoi ils ne viennent pas ? »
« François, va les chercher ! »
Quel bonheur de descendre de la machine, rotor en marche, pour prendre un petit bain en ce joli mois d‘octobre !
Je dois donc aller jusqu’à eux pour essayer de communiquer (Italiens, ils ne semblaient pas me comprendre), deux naufragés, non blessés apparemment mais totalement tétanisés et paralysés, peut-être par la peur ou avec la volonté de ne pas abandonner leur embarcation. Il me faut donc les prendre par la main et les tirer de toutes mes forces pour les contraindre à me suivre jusqu’à l’appareil.
La journée se termine par une dernière mission sur une petite île au large de Marseille pour prendre en charge un pêcheur qui fait un malaise - Photo © François BOURRILLONLe vol avec eux sera bref puisqu’il est décidé de les déposer au Centre de secours des Saintes-Maries-de-la-Mer. Après un examen qui me permit de les examiner, et de confirmer qu’ils ne sont blessés, et donc ne nécessitant pas de transport à l’hôpital, nous reprenons l’air pour rentrer à la Base.
La journée se termine par une dernière mission sur une petite île (dont je ne me souviens plus du nom) au large de Marseille pour prendre en charge un pêcheur qui a fait un malaise.

L’équipage recevra un message de félicitations du CROSS MED(*) :
De CROSS LA GARDE à CODIS(**) 13
Vous demande de bien vouloir adresser mes remerciements et félicitations pour intervention du Dragon 132 lors du naufrage du voilier italien ……………….. dans les parages des Saintes-Maries-de-la-Mer.

Le 10 octobre 1987
L’opération, en particulier le début, s’est effectuée dans des conditions particulièrement difficiles.
Signé A…… L….. Chef du Cross Med.

(*) : Centre Régional Opérationnel de Surveillance et de Sauvetage Méditerranée.
(**) : Centre Opérationnel Départemental d’Incendie et de secours

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