Quand la Sécurité civile ne "perdait pas le Nord"

Période 1978-1983

Publication : 22/11/2015 Auteur(s) : Francis

Une Alouette III de la Sécurité civile au départ de l'Echelon Central du Groupement Hélicoptère sur l'aérodrome d' Issy-les-Moulineaux - Photo DR collection F. Delafosse.Peu de temps après mon arrivée au Groupement Hélicoptère de la Protection civile à Paris, en octobre 1972, j’entends déjà, çà et là, quelques commentaires furtifs sur l’éventualité de l’implantation d’une Base hélicoptère dans ma région natale du Nord de la France.
Sans que cette information ne tombe dans l’oreille d’un sourd, je m’empresse de faire savoir autour de moi, qu’en pareil cas, je me porterai bien évidemment volontaire.
Les mois se succèdent à l’Atelier Central d’Issy-les-Moulineaux, cette présence au sein des équipes de révision de nos appareils m’apporte, grâce à mes collègues plus âgés et plus qualifiés, une expérience inespérée. De temps à autre, mes déplacements en renfort dans diverses Bases de province me donnent une idée de ce que sera plus tard mon avenir une fois affecté dans l’une de ces petites unités composées pour la plupart d’un seul appareil et de deux ou trois équipages opérationnels.
Alouette II F-ZBAE en premier-plan et Bombardiers d'eau de la Protection civile de Marseille-Marignane avant 1975, année de la création de la Direction Sécurité civile - Photo collection F. DelafosseQuant au sujet de la concrétisation de ce projet d’implantation d’une Base à Lille, je n’en ai plus le moindre écho. On me propose même le stage de Mécanicien naviguant pour rejoindre ensuite la Base des Canadairs à Marseille, ce qui bien sûr demeure à l’opposé de mes aspirations.
A mon retour de congés, le couperet tombe, je suis d’office affecté à la Base de Bordeaux pour compléter la mise en place d’un troisième équipage. Mis à part l’interruption d’une année à la Base de Granville dans la Manche, je resterai en fonction dans le Sud-Ouest (Bordeaux-Lacanau) avec le plus grand plaisir jusqu’en juin 1978.
En mai 1976, je reçois une réponse du Député-Maire Pierre Mauroy me précisant que la Direction Départementale de l’Équipement lui a certifié que le début des travaux de la future Base de Lille sur l’aérodrome de Lesquin se ferait dans le courant de l’année en cours. Effectivement en ce début de juin 1978, la Direction du Groupement Hélicoptère de la Sécurité Civile m’informe qu’elle retient ma candidature à Lille, pour en assurer les fonctions de Responsable mécanicien (certainement parce qu’aucun de mes collègues plus anciens ne s’était porté volontaire).
Premier posé de l'appareil à la Base, Alouette III F-ZBDN - Photo Nord EclairEt en ce 12 juillet 1978, au départ d’Issy-les-Moulineaux, en équipage avec un jeune pilote qui assurera le rôle de Chef de la Base, nous décollons dans une magnifique Alouette III rouge, direction plein Nord, « objectif Lille » et ce n’est pas sans une certaine émotion que je survole enfin cette région qui m’a vu naître, après l’avoir quittée dix années auparavant.
Le lendemain, jour de l’inauguration officielle, c’est sans tambour ni trompette que seront accueillies les autorités pour la présentation des infrastructures, de l’appareil et de ses deux équipages. Quelques hauts fonctionnaires avaient fait le déplacement de Paris et le grand nombre des responsables régionaux de la Police et des Armées présents, avec qui en fait, nous travaillons très peu, compense la surprenante absence des personnels plus spécialement dévolus aux missions de secours. Posé à la Base toute neuve à proximité de l'aérodrome de Lille-Lesquin - Photo DR collection F. DelafosseL’impossibilité d’effectuer une démonstration en vol compte tenu de la présence d’un épais brouillard et la brièveté du discours d’inauguration suivi d’un rituel buffet d’accueil plus que succinct ne pouvaient que me laisser sur ma faim...
Après la prise en compte et la découverte plutôt agréable de nos locaux flambants neufs, les surprises de malfaçons apparaissent semaine après semaine. Absence de branchement sanitaire, circuit électrique non conforme, supports d’éclairage défaillants, chutes de carreaux de faïence, etc. Dorénavant, il nous est permis de penser, qu’avant notre arrivée, le suivi des travaux de notre bâtiment ne fut pas des plus sérieux.
Lors de l'inauguration de la Base de Lille - Photo Francis DelafosseMais dans l’immédiat, il nous faut effectuer la reconnaissance des points de posés (DZ) en présentant notre appareil aux responsables médicaux des divers centres hospitaliers.
Et j’ai un peu l’impression que notre arrivée dans cette région du Nord ne semble pas intéresser grand monde. Je finis par me demander si l’implantation de cette Base n’est pas faite pour compléter un manque sur la carte du Ministère de l’Intérieur dans cette partie Nord de la France. Certes, mis à part quelques brèves apparitions de nos collègues en provenance de Paris et de la Base Gendarmerie d’Amiens, l’hélicoptère fait peut-être ici un peu figure de gadget. Ou alors, ce matériel nouveau, jamais utilisé couramment encore dans cette région, suscite crainte et suspicion. Dès lors, pour nous, tout reste à faire pour prouver notre complémentarité à la sauvegarde des personnes et des biens, véritable vocation de la Sécurité civile.
C’est en premier lieu, auprès des responsables des SAMU de Lille et d’Arras que nous avons bénéficié de la plus grande bienveillance.
Voilà déjà plusieurs mois que nous sommes ici et nous avons, outre nos vols de reconnaissance et d’entraînement, commencé à être sollicités régulièrement pour les transports inter-hospitaliers.
Au début de l’année 1979, nous effectuons enfin les premières missions dites « Primaires », c’est-à-dire, interventions directes sur les lieux mêmes des accidents avec à bord, matériel et personnel médical. Alouette III à Lille en version médicalisée - Photo Francis Delafosse Pour cela, il nous faut même tendre l’oreille sur les réseaux radio du secours, décoller sans la moindre demande préalable et proposer, voire imposer, nos services une fois sur les lieux... Progressivement, nous finissons par nous faire admettre dans les différents systèmes, surtout après avoir accepté de placarder sur les flancs de notre pauvre Alouette les inscriptions « Sapeurs-Pompiers » et « SAMU 59 et 62 » au côté de notre inscription « Sécurité civile ». Un instant, j’ai bien failli voir collé en permanence l’écusson POLICE, notre administration d’origine. Et pourquoi pas aussi le sigle de la marque TOTAL, notre avitailleur officiel, ce qui transformerait définitivement notre engin de secours en panneau publicitaire volant ? Fort heureusement, il n’en sera rien...
Néanmoins, on constatera que le déclenchement de nos missions deviendra presque automatique grâce au port des signes d’appartenance correspondants aux deux organismes de secours les plus concernés « Pompiers-SAMU ».
Très vite, nous prouvons à tous l’efficacité de nos interventions, par la rapidité qu’offre la mise en place de notre personnel médical héliporté suivi de la prise en charge des blessés graves dans les domaines les plus divers, comme les secours routiers, les accidents domestiques en zone rurale, les accidents industriels, agricoles, etc.
Et dès lors, le mot Dragon, indicatif radio de notre hélico, résonnera régulièrement sur la fréquence des secours.

Un secours « Maison »
Dès mon arrivée dans la région, je me suis installé tout d’abord dans ma famille, à plusieurs kilomètres de l’aérodrome, aussi ai-je décidé de déménager dans un appartement beaucoup plus proche de la Base.
L'Alouette 3 F-ZBDN vue de face - Photo Francis DelafosseCe matin, je m’apprête à partir pour entamer une nouvelle journée de travail. A peine sorti de mon logement, je me présente devant l’ascenseur, quand la porte de ma voisine de palier s’ouvre, laissant apparaître la jeune femme, déambulant dans le couloir à peine vêtue, les deux poignets sanguinolents. Ayant tout de suite compris les intentions de la désespérée et saisi par la scène quasi cauchemardesque, je lui prodigue néanmoins les premiers soins comme il se doit et j’avertis discrètement le SAMU pour son transport à l’hôpital. Malheureusement, le départ de l’ambulance est annoncé maladroitement sur le réseau radio, comme une intervention sur blessure par arme blanche et cela a suffi pour voir débarquer une horde de pompiers et de policiers pénétrant sans ménagement dans l’appartement de la malheureuse, étalant de leurs pieds les taches de sang et fouillant chaque pièce, m’interrogeant sur mon identité et ma présence sur les lieux.
Il n’en fallut pas davantage pour que je parvienne à la Base, non sans un certain retard. Ce qui exaspéra un peu le pilote de permanence, très inquiet de mon absence, au cas où un appel lui serait parvenu pour un départ en mission. Ce ne sera pas le cas, et c’est en lui expliquant mes déboires qu’il reconnaît qu’effectivement ce matin-là, en matière de secours... moi, j’avais déjà donné !
Je ne m’attendais pas à ce que quelques jours plus tard, à bord de l’hélico, je vive une expérience bien plus douloureuse encore…

Deux petits anges dans un vol d’enfer
Le printemps est enfin arrivé par cette magnifique journée du 15 avril 1979, semblable à celles que l’on connaît malgré tout, de temps à autre dans cette région du Nord.
Dès lors, les premiers barbecues dépoussiérés s’installent çà et là sur les balcons nettoyés ou les jardins à peine reverdis.
Près de Douai, une petite famille comme tant d’autres se prépare pour le repas sous les premiers rayons de soleil. Quelques amis du voisinage sont invités et la petite fête bat son plein. Sur le grill, les braises encore brûlantes viennent de terminer leur office, lorsque l’ensemble de l’installation bascule sur une toile de tente improvisée là, pour le bonheur des enfants.
À l’intérieur, deux petites filles, de deux et un an, abandonnées dans leur sieste ne peuvent échapper à l’embrasement général des voilages en nylon malgré la rapidité d’intervention des personnes présentes.
Départ en mission pour l'Alouette 3 F-ZBDE - Photo Francis DelafosseTransportées aussitôt aux Urgences de l’hôpital le plus proche, il est aussitôt fait appel au SAMU pour une prise en charge et un transport au Service des grands brûlés du Centre Hospitalier Régional de Lille.
L’appel est retransmis à la Base et nous décollons le plus rapidement possible avec à bord, médecin et matériel en direction de Douai.
À peine descendus de notre appareil, des hurlements stridents quasi inhumains nous laissent pressentir qu’il nous faudra une fois encore, nous attendre à quelque chose de difficilement supportable.
En effet, dans la salle d’accueil des Urgences, plusieurs « blouses blanches » s’affairent sur le corps des deux gamines noircies par les flammes. A plusieurs reprises, le personnel médical s’efforce de repérer sur les zones intactes des petits bras et des pieds, une veine susceptible de recevoir la perfusion d’un produit calmant. Après plusieurs tentatives sans résultat, décision est prise de les emmener le plus vite possible dans l’hélicoptère pour les évacuer sur Lille. Quinze minutes de vol seulement nous seront nécessaires, le problème c’est que leur maintien allongé sur la civière ne semble pas envisageable, tant leurs gesticulations désordonnées demeurent incontrôlables.
Enserrant dans mes bras l’un des deux enfant enroulé dans une couverture de survie, j’embarque dans l’hélico, le médecin s’installe derrière moi faisant de même avec l’autre. Le pilote démarre la turbine et lance le rotor le plus vite possible. L’appareil décolle laissant derrière nous bien des soulagements, par contre, pour l’équipage, l’angoisse est totale.
Le bruit de l’appareil en vol n’a pas couvert ni estompé le côté stressant des hurlements de nos deux petites passagères qui n’ont en fait jamais cessé depuis notre présence sur les lieux.
J’ai les plus grandes difficultés à maintenir immobile ma petite victime tant ses débattements heurtent parfois mes doubles-commandes. A ce sujet, le regard d’insatisfaction de mon collègue pilote en dit long et je m’efforce de serrer mon « colis » contre ma poitrine le plus fortement possible.
Les minutes me semblent une éternité, l’appareil est poussé à pleine vitesse et j’ai l’impression de ne pas avancer. Pour la première fois, je maudis cette Alouette bien trop lente, mais je pense qu’il en serait de même si j’étais à bord d’un avion de chasse.
Et ces hurlements insupportables... ils ne s’arrêteront donc jamais ! Comment peut-on souffrir de la sorte ? Je transpire anormalement, je commence à ressentir le plus profond malaise, cette odeur de chair et de cheveux brûlés m’est totalement insupportable, néanmoins, il me faut tenir encore... d’un mouvement rapide, j’ouvre l’aérateur central.
Je regarde le petit visage d’un coup d’œil furtif. Tout le côté gauche semble carbonisé, laissant apparaître l’éclat doré d’une boucle d’oreille métallique. Ces deux yeux sont grands ouverts dans un regard que je n’oserai plus affronter, car semblant me supplier de faire quelque chose. Mais que puis-je lui faire... si ce n’est que contenir ses réactions quelques longues minutes encore. Alors je tourne la tête ailleurs, sur les instruments du tableau de bord ou dehors vers le défilement beaucoup trop lent du paysage. Et toujours ces secousses, ces tressaillements et ces soubresauts, véritables témoignages d’une douleur atroce que je ne peux soulager. Pourtant, il me suffirait d’enserrer discrètement toujours un peu plus ce jeune corps meurtri pour que son calvaire prenne fin. Condamnée d’avance sur le plan médical, il nous serait facile de déclarer le décès au cours du transport, l’idée me paraît être l’action la plus humaine qui soit...
Seulement voilà, mes principes judéo-chrétiens et le respect des lois de notre société ne m’aident pas pour mettre un terme à cette horrible souffrance injuste et gratuite. Je me retourne un instant vers le médecin de bord placé derrière moi. Survol de la ville de Lille et son beffroi - Photo DR collection F. Delafosse Il maintient lui aussi son enfant dans les bras tant bien que mal et de toute évidence, son malaise paraissant identique au mien, ce partage de situation m’aide un peu...
J’aperçois enfin au loin le beffroi de Lille, l’appareil ne tarde pas à se poser à l’hôpital et les deux enfants sont remis aux mains des spécialistes des grands brûlés.
Pour nous, la mission est terminée et nous rentrons à la Base, ce soir nos familles comprendront vite que la journée n’a pas été facile, mais une fois n’est pas coutume.
Bien évidemment, le lendemain, nous apprenons dans la presse le décès de nos deux petits anges et à ce moment-là, j’ignore encore que toute ma vie, je me souviendrai d’avoir par faiblesse, laissé une jeune enfant innocente dans les pires souffrances d’un enfer bien réel, juste avant qu’elle ne rejoigne le ciel dans un éventuel paradis.

En enchaînant mission sur mission de ce type, nous reconnaissons qu’assister la détresse d’enfants est pour nous ce qu’il y a de plus pénible à vivre. La prévision de nos jours d’alerte étant établie à l’avance, nous sommes (en tout cas en ce qui me concerne) peu enclins à nous retrouver de permanence les redoutables jours de congé scolaires hebdomadaires, même s’il n’est pas toujours facile d’y échapper. Il est en effet bien rare de ne pas intervenir sur un accident grave concernant un enfant ces jours-là.
Parmi nos attributions, il y a également le transport de hautes personnalités. Nous avions déjà eu l’occasion de transporter notre Député-Maire Pierre Mauroy, le Sénateur Maurice Shumann et le Ministre de l’Économie du gouvernement en place, actuellement concernés par la fermeture définitive des Établissements USINOR.
Tous les deux en permanente discussion avec le ministre, je ne trouve pas le moment propice pour me présenter ce jour-là auprès de M. Shumann (grand ami de mon père depuis la Libération). Je ne l’avais croisé qu’une seule fois étant enfant et il aurait été très étonné, puis certainement ravi, de me retrouver là. C’était pour moi l’opportunité de l’interpeller sur les divers problèmes rencontrés depuis mon arrivée à Lille, mais je pensais qu’il me serait toujours possible de m’entretenir avec lui par écrit ou plus discrètement, dans d’autres circonstances.

Les désagréments survenant suite aux manques et aux malfaçons de nos installations entraînent des conséquences beaucoup plus graves encore que nous pouvions imaginer. Pour ma part, j’en fais les frais en vivant les deux mésaventures suivantes :

Deux décollages quelque peu contrariés
En cette belle journée d’automne, je suis appelé dès l’aube pour me rendre à la Base et décoller au plus vite en direction de l’autoroute pour une collision grave entre deux véhicules.
Pénétrant à l’intérieur de notre hangar pour préparer rapidement notre appareil, je manœuvre l’ouverture automatique des grandes portes principales quand je m’aperçois qu’elles restent complètement bloquées en demi-ouverture, m’interdisant toute possibilité de sortie de notre Alouette. L'Alouette III posée sur la route au plus près des victimes - Photo Nord Eclair Déjà un peu frustré par le peu d’empressement de nos administratifs à répondre à nos demandes de réparations, je me retrouve face à l’impossibilité de pouvoir exploiter notre hélico devant une détresse humaine urgente.
Je décide alors de sortir notre fourgonnette du garage auto et de foncer droit sur le côté de la porte pour forcer son ouverture. Dans un bruit de craquement inquiétant, mais peu surprenant, sous le choc, elle se débloque et s’ouvre entièrement comme il se doit. Nous décollons aussitôt laissant derrière nous notre hangar grand ouvert, dans l’espoir de le retrouver non visité à notre retour, ce qui pourrait compliquer encore mes justifications face à cette violente initiative.

Plus grave encore, fut ce jour où j’aurais pu laisser la vie. En effet, juste après le déclenchement d’une intervention et notre décollage, il est à chaque fois prudent de partir après avoir pris quelques dispositions.
Le pilote démarre notre Alouette et je suis prêt à le rejoindre après avoir mis le répondeur téléphonique et verrouillé toutes les portes. Quand une envie naturelle pressante m’oblige à me soulager la vessie. Sans perdre de temps, je m’isole dans l’herbe sur le bas-côté. Quelques secondes après, juste à mes pieds, je ne sais comment ni pourquoi, une explosion suivie d’étincelles et de pétarades me fait sursauter dans un véritable feu d’artifice. Témoin de la scène, assis aux commandes, mon collègue pilote me manifeste bien évidemment son étonnement et je ne manque pas de lui promettre de tirer cette affaire au clair dès notre retour.
En fait, il s’agissait de la présence au sol, d’une alimentation électrique de haut voltage non signalée et destinée à la future installation d’un volucompteur distributeur de kérosène susceptible d’assurer notre indépendance pour nos avitaillements quotidiens.
Je reste conscient d’avoir échappé de justesse à un drame mortel. De surcroît, disparaître ainsi dans l’exercice d’une profession de soi-disant héros, n’aurait rien eu de très glorieux.

Pourquoi pas un détachement estival ?
Le 18 août 1979, nous nous apprêtons à décoller pour la station balnéaire de Berck-sur-Mer sur la Côte d’Opale. Premier exercice d'hélitreuillage du Chef du SAMU de Lille avec l'Alouette 3 F-ZBBS - Photo collection Francis Delafosse J’aperçois déjà au loin la grande bande côtière et je ne peux m’empêcher de penser que c’est à cet endroit même, que j’aperçus très jeune enfant, la mer, pour la toute première fois.
Bien évidemment, j’étais loin de mes plages d’Aquitaine que je venais de quitter dernièrement, mais l’importance de la fréquentation était bien là car les citadins des grandes cités du Nord n’hésitent pas à se rendre sur ces plages les jours de congés et vacances scolaires, quel que soit le temps d’ailleurs.
Arrivés sur les lieux à la demande de nos collègues MNS CRS du poste de secours, un exercice d’hélitreuillage est également prévu pour être filmé par FR3 régional. Tout cela n’est pas sans me faire réfléchir à l’éventualité d’un détachement de notre hélico ici en période estivale... La partie ne sera pas gagnée, mais en essayant de faire croire à nos décideurs que l’idée vient d’eux, il y a peut-être une chance. D’autant que tout le monde sait que nos grandes métropoles sont chaque année désertées pendant les vacances. Arrivée d'un enfant gravement accidenté sur l'hôpital de Lille - Photo D. Camus Notre appareil aura conformément à la vocation de la Sécurité civile, ses interventions de sauvetage et de secours plus optimisées ici que les évacuations ou transports sanitaires qualifiées de missions secondaires. J’aurai juste eu le tort d’en formuler l’idée un peu trop tôt, comme quoi, nul n’est prophète en son pays...
Ici, le secours en haute mer est habituellement effectué par les gros hélicoptères bi-turbines des forces belges et britanniques. Cependant depuis notre installation dans la région, les services de secours maritimes n’excluent pas de faire appel à nous compte tenu de notre mise en œuvre très rapide et de la médicalisation de notre appareil. Nous sommes autorisés à intervenir ainsi, grâce à la présence de notre flottabilité de secours, obligatoire pour les survols en haute mer.

Chaque année, nous effectuons aussi un stage de survie en mer en collaboration avec les Sapeurs-pompiers de Nice. Voilà pourquoi à chaque printemps, les équipages des Bases qui effectuent des interventions en mer, se retrouvent pour leurs rituels stages annuels.

Escapades annuelles sur la Riviera
Destinés à nous aguerrir dans le domaine de la survie en cas de crash de notre appareil en mer, c’est aussi pour nous l’une des rares occasions de nous rencontrer, de partager des expériences ou situations vécues dans chacune de nos bases respectives.
Alouette III F-ZBBP en cours d'hélitreuillage dans la rade de Nice - Photo DR collection F. DelafosseDès lors, se succédera pendant une dizaine de jours, un ensemble d’exercices en piscine, descentes rapides dans un puits de douze mètres, nages d’endurance en mer, hélitreuillages, utilisations de canots pneumatiques de sauvetage, etc.
Une fois les équipes constituées, le matériel est distribué et tout le monde se retrouve installé à bord des vedettes de Sapeurs-pompiers, responsables de l’encadrement du stage.
Par ce premier jour, sous un ciel un peu plus pâle que celui que connaîtront les prochains vacanciers, à bord de leur embarcation, les stagiaires foncent vers le large où a lieu la première trempette de nage d’accoutumance. Chacun d’entre eux a pour la circonstance enfilé une combinaison de plongée qui ne sera plus quittée jusqu’à la fin des réjouissances.
Stage de survie avec "La Gloutte" - Photo Francis DelafosseAu troisième jour, nous serons largués plus au large, pour jouer les naufragés en perdition pendant que d’autres assureront la fonction de plongeur-sauveteur à bord d’une Alouette de la Sécurité civile. Tout cela, afin de nous rendre compte par nous-mêmes des difficultés que peuvent rencontrer en opération réelle, les sauveteurs-plongeurs qui nous accompagnent.
Le dernier jour du stage, il ne nous reste plus qu’à nous soumettre à un exercice final, à l’intérieur de ce que nous appelons « La Gloutte ». Ce seul nom suffit à durcir l’expression du visage des plus détendus d’entre nous. Le but est d’accoutumer les équipages (Pilotes et Mécaniciens de bord) en cas de crash de leur appareil en mer. La gloutte n’est en fait, que la reconstitution de l’habitacle d’une Alouette III, dans lequel nous sommes assis et parfaitement sanglés pour être ensuite plongés à sept mètres de profondeur en vue d’en ressortir bien vivants. D’ailleurs, certains parmi nous auront malheureusement l’occasion de vivre cette expérience après avoir vécu cette situation, mais au cours d’un drame bien réel.
A l’intérieur de cet habitacle métallique, à tour de rôle, un équipage (Pilote-Mécanicien) s’installe à l’intérieur, Exercice de nuit avec à droite le regretté Patrick Bros - Photo DR collection F. Delafosse boucle la ceinture de leur siège, le tout, sous le contrôle d’un plongeur équipé d’oxygène et placé en sécurité pendant toute la manœuvre.
Suspendue au câble acier d’une grue installée au bord du quai, la gloutte et ses trois personnes à bord est descendue lentement dans l’eau. Le pilote et le mécanicien se libèrent ensuite de leur ceinture, sortent de la cabine en maintenant leur respiration et s’éloignent à la nage le plus loin possible pour grimper dans un canot de sauvetage. Le même exercice est effectué également de nuit, ce qui complique encore un peu plus la situation.
Le stage se termine par un repas convivial pris en commun la rituelle photo de groupe prise lors du stage à Nice en 1976 - Photo Francis Delafosseavec l’ensemble des dirigeants dans une ambiance que l’on devine. Le lendemain, chacun d’entre nous rentrera dans sa Base respective, en espérant nous retrouver également en pleine forme d’une année sur l’autre.
Une fois de plus, nous posons pour la rituelle photo de groupe qui rejoindra le fond de nos albums en attendant une toute autre plongée, celle de la pêche aux souvenirs.

Intervention en pleine mer sur un minéralier
L'Alouette III F-ZBDO posée sur le minéralier - Photo collection F. DelafosseEn ce 8 novembre 1979, nous sommes appelés pour intervenir à la demande d’un minéralier dans le détroit du Pas-de-Calais, en provenance de Hong-Kong.
Ces énormes bâtiments ont interdiction de couper leurs moteurs pour des raisons de sécurité dans ce chenal le plus fréquenté du monde. Arrivés à sa verticale, nous apercevons une aire de posé sur la passerelle prête à nous recevoir. Mon ami pilote hésite un peu, n’ayant jamais effectué ce type de posé, mais j’arrive à le mettre en confiance. Cela se fait sans problème, il y a peu de houle. Je descends de l’Alouette III avec le médecin et son matériel informant le pilote qu’il est indispensable pour lui de rester à bord, le moteur au ralenti, la main sur le frein de nos trois roues de train d’atterrissage. Le blessé est remonté sur la DZ sous le regard du Chef du SAMU de Lille, avant d'être embarqué dans l'Alouette 3 - Photo collection Francis Delafosse Nous descendons ensuite guidés par un matelot auprès de notre victime allongée dans une cabine à fond de cale, victime d’un AVC (accident vasculaire cérébral). Face à quelques difficultés techniques de médicalisation, il nous faut nous attarder plus longtemps que prévu.
Là-haut sur la plate-forme, le pilote impatient et inquiet de ne pas nous voir réapparaître décide de couper la turbine et de descendre pour nous rejoindre. Quand je l’aperçois, je pense de suite à notre appareil laissé seul là-haut sur le pont, espérant ne pas le retrouver basculé à la mer ou craignant une malencontreuse panne de démarrage moteur. Embarquement du blessé à bord de l'Alouette III F-ZBDO - Photo collection F. Delafosse Je n’imagine pas me retrouver dans l’obligation de demander au responsable parisien, l’expédition d’une pièce mécanique vitale sur ce navire en pleine mer du Nord, faisant route vers le continent asiatique.
Heureusement tout se passe pour le mieux et cette fois, je ne suis pas fâché de nous voir mettre le cap sur la terre ferme en direction de l’hôpital bien sûr, mais aussi vers notre bon vieux plancher des vaches.
En effet, si l’erreur est humaine, la défaillance est souvent technique. Et c’est parfois quand on la redoute le plus qu’elle survient.

Un grand moment de solitude
Tout un village est en émoi, du jamais vu ! Un hélicoptère de la Sécurité civile vient de se poser sur la place du village, il doit se passer quelque chose de grave.
L'Alouette III posée sur le parvis de l'église d'Halluin - Photo DR Voix du NordEn fait, nous intervenons à la demande du SAMU pour prendre en charge l’un des villageois très gravement blessé. Ses jours sont en danger et une évacuation rapide vers le centre hospitalier est indispensable. Sur la petite place du village, malgré le mauvais temps, il semble que tous les habitants soient présents pour assister à ce spectacle rarissime.
L’ambulance des Sapeurs-pompiers est présente avec la victime à bord. Après un examen clinique rapide, il est installé de toute urgence sur notre civière, puis sans tarder, à la demande pressante du médecin, nous nous activons au décollage. Le pilote enclenche au tableau de bord l’interrupteur du démarreur, mais rien ne se passe. Il active à nouveau mais rien à faire. Nous voilà plantés là, face à plusieurs centaines de personnes comptant sur notre appareil pour voir emmener l’un des leurs au plus vite.
Quand le pilote commence à me regarder d’un œil interrogatif, inutile pour lui de prononcer le moindre mot. Il sait que je vais me porter à l’arrière vers le turbo-moteur, sortir mon petit carnet de renseignements techniques et mon shunt métallique en espérant une action positive la plus rapide possible.
C’est le silence complet et un grand moment de solitude. Je ne suis pas dans un atelier sécurisé entouré de collègues plus expérimentés avec toute l’assistance technique à portée de main, mais seul, en pleine nature, sous la pluie, face à notre gêne et à nos spectateurs interloqués pensant surtout au devenir de notre blessé. J’ai en tête le souvenir de ce collègue plus ancien qui, faute d’efficacité dans une telle situation, s’en était voulu très longtemps en apprenant le décès d’une victime, transportée par sa faute trop tardivement vers l’hôpital.
Je demande au pilote d’effectuer une nouvelle tentative et j’entends cette fois, dans le soulagement le plus complet, la symphonie rotative parfaite du démarrage de notre turbomoteur.
Nous quittons enfin les lieux, notre victime sera sauvée.

La vie continue...
Le médecin du SAMU rejoint l'Alouette 3 Dragon 59 F-ZBDJ avant de se rendre sur le lieu d'intervention - Photo Philippe BuffonUn autre jour, le Directeur d’une petite banque régionale s’écroule dans son bureau victime d’un trouble cardiaque. Comme à chaque fois, nous décollons au plus vite avec notre médecin du SAMU présent à la Base.
Posés au plus près du lieu d’intervention, un relais avec l’ambulance des Sapeurs-pompiers nous est nécessaire pour atteindre le centre-ville. La victime est là, allongée à même le sol dans le hall de la banque, entourée de quelques-uns de ses employés.
Faisant place nette, nous installons tout notre matériel de réanimation et procédons au massage cardiaque, perfusion intubation, etc... nous relayant de temps à autre avec le personnel des Sapeurs-pompiers.
De longues minutes s’écoulent et j’ai l’impression que notre médecin ne va pas tarder à nous demander d’arrêter notre acharnement. D’autant que son cardioscope, indispensable à la confirmation du décès, ne fonctionne plus.
Déçu par notre échec, je lui propose de continuer malgré tout en demandant par radio à l’hôpital qu’un autre appareil de ce type nous soit envoyé par une ambulance SAMU. Une trentaine de minutes lui sera nécessaire en prenant l’autoroute et nous, nous serons fixés sur les chances de survie de notre patient.
Intervention avec l'Alouette 3 - Photo collection F. DelafosseUn mois plus tard, j’apprendrai par le même médecin que notre Directeur de banque avait repris son travail comme à l’accoutumée.
C’est là, toute la satisfaction du métier. Un jour, nous sommes susceptibles de croiser une personne qui nous doit un peu la vie, elle l’ignore et vous, vous ne dites rien. L’important, c’est que la vie continue...

La chasse à la bêtise humaine
L’été terminé, une fois encore, la saison d’automne nous oblige à intervenir sur les victimes d’accidents de chasse. L'Alouette 3 de la Sécurié civile en intervention conjointement avec la gendarmerie d'Amiens et leur Alouette II F-MJAQ - Photo collection F. Delafosse Bien que reconnu comme « tireur d’exception » pendant ma formation militaire, je ne me suis jamais passionné pour les armes à feu. A plusieurs reprises, il m’est arrivé de me retrouver surpris et décontenancé par la présence de chasseurs embusqués le long de mes parcours de footing en rase campagne. Mais ce qui devait m’écœurer le plus, c’est d’être intervenu à deux reprises pour le décès de jeunes ados tués « bêtement » par leur propre père.
Le premier accident de ce type fut pathétique. Le père tend le canon de son fusil encore chargé au gamin pour l’aider à enjamber un fossé. En saisissant le bout du canon, l’arme se déclenche, tirant à bout portant dans le ventre du jeune homme. A notre arrivée, nous pensons qu’il a été tué sur le coup...
Le second le fut également, en effet, le chasseur décide d’achever son gibier avec la crosse de son arme. Le coup part intempestivement et son jeune fils qui assiste à la scène en restant juste derrière lui, reçoit la décharge en pleine tête... Depuis, chaque année, ce n’est pas de gaieté de cœur que j’apprends l’ouverture de cette activité, même si je demeure parfaitement convaincu qu’il y aura toujours sur le terrain « de bons et de mauvais chasseurs ».

Le 16 avril 1980, c’est la première fois que je participe à la recherche et au secours d’un petit avion aéro-club, Intervention de l'Alouette III Dragon 59 suite à un crash d'avion privé - Photo Nord Eclairqui ne laissa pas de survivants et ce n’est pas sans me rappeler les risques aériens auxquels nous sommes nous-mêmes confrontés.
Il y a peu de temps, nous avons été sollicités pour récupérer un parachutiste dont la précipitation au sol s’est effectuée sans la moindre tentative d’ouverture du parachute. J’étais bien inquiet de savoir dans quel état nous allions le retrouver. En fait, très peu enfoncé dans la terre, au premier regard, son corps paraissait même intact, mis à part la boîte crânienne qui, chassée comme un bouchon de champagne en surpression, s’est retrouvée étalée sur un bon mètre.
Ce métier nous oblige à prendre parfois des décisions dans l’intérêt des victimes mais en prenant inévitablement quelques risques. Ce qui n’entraîne le plus souvent qu’un bref article dans la presse, mais qui pourrait nous amener toutefois à la perte pure et simple de notre profession si le moindre problème survenait.
C’est ce qui nous est venu à l’esprit en ce 11 mai 1980.

Sauvetage au sommet... d’un château d’eau
Ce jour-là, c’est encore la période où de part et d’autre de la région nous nous efforçons tant bien que mal de présenter, voire d’imposer, notre Alouette III auprès des divers services de secours qui, bien évidemment en notre absence, ont su se passer de nos services, peut-être même au détriment de certaines victimes.
Secours au sommet d'un château d'eau - Photo Nord EclairEn ce dimanche printanier, à quinze minutes de vol de la Base, près du village de Merville, plusieurs dizaines de personnes contenues par les services de police forment une haie humaine autour d’un château d’eau en construction.
Tout là-haut, à l’intérieur du bâtiment, le plus jeune ouvrier du chantier eut la « bonne idée » de profiter de son repos dominical pour faire visiter, parait-il, l’avancement des travaux à sa petite amie...
Difficilement praticables, les passerelles intérieures les mènent jusqu’au niveau de la grande cuve fraîchement peinte d’un produit d’étanchéité et renfermant des hydrocarbures benzéniques. Prise de vertiges provoqués par les émanations, la jeune fille de quinze ans fait une chute de huit mètres au fond du réservoir. Les Sapeurs-pompiers parviennent à sa hauteur, elle souffre de fractures de la colonne vertébrale, du crâne et du bassin et on l’immobilise sur un matelas coquille. Mais devant l’impossibilité de la redescendre ainsi par l’intérieur, il est fait appel à nous. Hissée sur le sommet du toit, sa récupération par la voie des airs semble être la seule solution possible.
Nous effectuons une première reconnaissance sur le sommet, on pourra s’y maintenir en stationnaire mais l’échafaudage le surplombe et nous enferme au risque de voir se détacher quelques planches par le souffle du rotor. L’appareil se repose, nous réfléchissons à la situation conscients d’être pour tous, et surtout la victime, le seul recours possible.
Aucun organisme de secours ne possède de civière hélitreuillable du type Piguillem inventée pour le secours en montagne. Ce manque sera résolu plus tard à notre demande. Hélitreuiller le matelas coquille, même bien ficelé, cela peut présenter pour la victime de très gros risques. Puis nous décidons de débarrasser la cabine de tout son superflu, en demandant de faire de même avec tout le matériel du chantier installé sur le toit. Seule la présence du médecin et de deux sauveteurs sera nécessaire pour aider à l’embarquement au moment où nous nous maintiendrons sur lieux en vol stationnaire.
Sous les yeux de centaines de personnes, nous décollons pour approcher délicatement à la surface du château d’eau observant les écueils chacun de notre côté. La victime toujours immobilisée sur son matelas coquille peut être hissée à bord. Déposé au sol, le médecin complète sa médicalisation et nous prenons la direction du Centre Hospitalier.
L’attraction locale de ce dimanche après-midi est ainsi terminée.

Hélitreuillage à la pointe... d’un clocher
24 mars 1981, dans le petit village d’Avesnes-les-Aubert, le maire est très préoccupé. Responsable de la sécurité dans sa commune, le clocher de son église lui cause bien des soucis.
En descente sur le coq du clocher de l'église d'Avesnes-les-Aubert depuis l'Alouette 3 de la Base de Lille - Photo collection F. DelafosseEn effet, installé là-haut depuis plus de vingt ans, le superbe coq et ses décorations métalliques qui dominent l’édifice, à 45 mètres du sol manifestent quelques signes de défaillance. Minés par le temps, certains éléments se sont mis à pencher dangereusement et une partie de cette girouette est venue s’abattre sur le parking en contre-bas. Fort heureusement, on ne déplore pas de blessés, mais les employés communaux balisent aussitôt les alentours, laissant l’entrée de l’église très aléatoire. Le Curé et le Maire communiste du village se concertent ; ce n’est pas le scénario du film de Don Camillo mais bien une réalité : des mesures doivent être prises rapidement pour sécuriser l’accès à l’église et la sécurité des passants.
Il est fait appel à une entreprise spécialisée dans la rénovation de clochers, mais elle ne pourra entamer une intervention que trop tardivement. Le maire s’adresse alors à la Direction départementale de la Protection civile demandant une reconnaissance par hélicoptère et la possibilité de faire retirer les parties métalliques les plus menaçantes par la voie des airs.
Une demande officielle est formulée par la préfecture à la direction du groupement aérien qui répondra, que seules les personnes directement intéressées peuvent évaluer sur place l’opportunité et les risques d’une telle mission. On se rappelle qu’il y a quelques années, un hélicoptère de la Gendarmerie s’est écrasé au pied d’une église en effectuant ce type de mission (cliquez ici pour en savoir +).
En un mot, rien de réconfortant... mais toujours dans l’esprit de faire connaître nos possibilités d’action auprès des instances officielles, nous mettons le cap sur le village au coq de clocher branlant.
Je suis de passage à la Base ce jour-là et bien que cela ne soit pas précisément dans mes attributions, je me propose auprès de l’équipage nouvellement affecté pour les accompagner sur cette mission, volontaire à défaut de sauveteur spécialisé pour être moi-même déposé sur le sommet du clocher par hélitreuillage.
Arrivés sur les lieux, nous effectuons une première approche aérienne. Penché à l’extérieur, guidant le pilote, rien ne devrait s’opposer à ma dépose sur le sommet de l’église, d’ailleurs cela donnera lieu à un excellent exercice par notre jeune équipage. Ne possédant pas de harnais conventionnel pour ce type de manœuvre, c’est en m’équipant de notre brassière de sauvetage que je m’accroche au treuil.
Le pilote, guidé par le mécanicien-treuilliste, maintient son appareil en stationnaire à la verticale du clocher. Hélitreuillage sur le clocher d'Avesnes-les-Aubert depuis l'Alouette III de Lille - Photo Francis Delafosse Au sol, retenus à l’écart pour raisons de sécurité, les spectateurs affluent de plus en plus nombreux. Ballotté au bout de mon câble, je descends lentement vers ce coq qui m’apparaît de plus en plus impressionnant ; il doit bien mesurer deux mètres de large. Effectuer une dépose par treuillage sur un point fixe n’est pas une chose aisée. Je tournoie sur moi-même en essayant à plusieurs reprises de saisir la volaille d’acier et les quelques frondaisons métalliques. Toujours suspendu dans le vide, je gesticule comme je peux pour d’une part guider le treuilliste par signes et m’accrocher sur la girouette.
Les minutes passent et l’opération me semble vouée à l’échec. Quand soudain, je parviens à « prendre pied » sur le sommet du clocher, non sans ressentir à ce moment même, une énorme sensation de vertige.
Après deux tentatives, je parviens à arracher la partie métallique la plus menaçante pesant près de quinze kilos. Alourdi par mon fardeau, la brassière de sauvetage me comprime encore plus ma cage thoracique et me coupe la respiration. Le treuilliste me remonte vers la cabine, la tête me tourne, je commence à voir quelques étoiles mais je parviens à m’installer à bord de l’hélico à demi-inconscient. Quelques brèves hyperventilations récupératrices me feront retrouver mes esprits.
Plus de danger à craindre côté clocher, note mission est accomplie. L’hélico se pose sur la place du village. Une entreprise pourra installer calmement ses échafaudages pour réparer tout cela plus tard. Le maire et le Curé se réjouissent et nous félicitent comme il se doit.
La prévention, c’est aussi l’affaire de la Sécurité civile.

Une mission de recherche en rase-mottes
Il ne faut pas forcément être alpinistes bloqués sur les plus hauts sommets montagneux ou navigateurs perdus en pleine mer pour faire la « une » des journaux et mobiliser des dizaines de sauveteurs professionnels et bénévoles. Survol en Alouette 3 des maisons et des jardins de Lille - Photo Francis Delafosse L’aventure vécue par Franck et Richard, deux jeunes Lillois de quatorze et treize ans, l’a prouvée en ce jeudi 25 février 1982 à quelques kilomètres seulement de notre capitale régionale.
Ce jour-là, contrairement à l’habitude, ils ne sont pas rentrés chez eux pour déjeuner. Où sont-ils passés ? Que peuvent-ils bien faire ?
Ils sont partis voir le Lac Bleu, finissent par avouer quelques-uns de leurs camarades de classe.
Le Lac Bleu ? Ce n’est en fait qu’une petite mare d’eau boueuse au fond d’un réseau de carrières souterraines abandonnées depuis des lustres sur le territoire de Lezennes, une petite ville de la proche banlieue de Lille.
Les deux jeunes « apprentis spéléologues » se sont introduits dans un trou d’éboulement en plein champ, en bordure d’une route départementale. Ils n’ont emmené pour tout matériel que trois cordes, deux canifs, une boîte d’allumettes et une seule et unique bougie. Malheureusement, ce trou ne débouche sur aucun accès aux galeries. Les deux garçons s’en rendent compte très vite en pénétrant dans les ténèbres et l’humidité, couchés dans la boue et la terre crayeuse avec pour seuls visiteurs, les rats, les escargots et les cloportes.
Déçus, ils décident de rebrousser chemin. Richard, l’aîné, s’agrippe à la corde vers la sortie, mais alors qu’il ne lui reste plus qu’une longueur de bras vers la surface, la corde casse net. Il dégringole une dizaine de mètres plus bas au fond du trou, pris au piège avec son compagnon.
Les heures passent et malgré leurs cris désespérés, ils ne perçoivent aucune réponse. Le jour tombe et la température extérieure passe en dessous de 0°.
Les organismes de secours officiels ont été alertés par les parents. Policiers et pompiers s’activent parallèlement : les uns enquêtent en ville, les autres cherchent déjà dans les galeries souterraines dont certains accès sont connus. Ce n’est pas la première fois que des enfants s’y aventurent dangereusement.
Les recherches se poursuivent sans résultat ; on pense même à une fugue. Une trentaine de policiers mènent des investigations pour élucider le mystère de cette double disparition. En se relayant, des équipes de Sapeurs-pompiers explorent les galeries de craie, progressent difficilement en traînant des cordelettes pour ne pas se perdre à leur tour.
La journée de vendredi se passe sans que l’on obtienne le moindre indice. C’est la deuxième nuit d’angoisse pour les parents de plus en plus pessimistes.
La presse écrite, la radio et la télévision commentent l’événement. De nombreux sauveteurs bénévoles offrent leurs services. Un groupe de spéléologues belges renforce les moyens mis en place. Une trentaine d’hommes, à présent, progressent sous terre avec acharnement.
Dans leur trou à ciel ouvert, Frank et Richard voient tomber la nuit une seconde fois. Ils ont faim et froid et commencent à perdre tout espoir. Leurs cris résonnent encore mais se perdent dans la nuit.
A l’aube, le jour éclaircit la plaine flamande. Tous les responsables des services de secours se réunissent pour faire une synthèse de l’action menée jusque-là. On convient de faire rentrer dans le système de recherche des effectifs et des moyens nouveaux : une nouvelle politique de secours est mise en œuvre. CRS, gendarmes mobiles sont appelés sur les lieux. On se décide même à faire appel à nos services sans conviction sur une recherche déclarée souterraine mais cela donnera l’impression que tout aura été fait et une évacuation rapide à l’hôpital reste du domaine du possible.
Mission de recherche d'enfants à Lille avec l'Alouette III - Photo DROn se pose donc vers huit heures du matin près du PC opérationnel, entre deux lignes à haute tension et on reçoit pour mission de ratisser tous les champs aux alentours en rase-mottes afin de repérer dans les sillons des labours d’éventuels orifices de puits ou affaissement de terrain non répertoriés sur les cartes. Pour ce faire, un ingénieur prend place à bord ainsi qu’un responsable préfectoral. Avec mon collègue pilote, nous décidons que je m’appliquerai sur cette recherche au sol et que lui, se concentrera sur la présence des nombreuses lignes électriques implantées dans le secteur.
Allongés côte à côte, blottis dans leur manteau de laine, les deux enfants, au fond de leur trou, sont brusquement réveillés par le battement de nos pales et le sifflement de la turbine.
Comprenant qu’un hélicoptère les recherche, ils rassemblent leurs dernières forces et quelques brindilles qui se trouvent autour d’eux, ils allument un feu. Très vite, une timide fumée blanchâtre monte vers le ciel.
Au même instant, dans la cabine, je m’exclame « Regardez là-bas droit devant, on dirait une fumée blanche. Allons voir ».
« Non, rétorque une voix dans nos écouteurs, continuons comme prévu, ce doit être de l’air chaud qui monte des carrières ».
Le pilote nouvellement affecté et soucieux de ne pas contredire nos deux autorités acquiesce et poursuit la progression convenue malgré ma contrariété. Néanmoins, je signale la position au PC qui envoie une équipe à pied dans le secteur. Vers 10h30, l’un des gendarmes mobiles envoyés sur les lieux découvre un bout de corde plongeant au fond d’un trou. Sortie du trou et évacuation à l'aide de la civière - Photo collection F. Delafosse Il se penche et aperçoit tout penauds, Richard et Franck, plus hébétés que surpris. Richard est le plus affaibli mais tous les deux sont enfin sauvés. La radio n’en finit plus de lancer ses messages.
Trois minutes plus tard, hissé au bout d’une corde, Franck rejoint la surface. La remontée de son camarade s’effectue au moyen d’une civière spéléo. Pris en charge par les médecins du SAMU, ils sont évacués sur l’hôpital régional. Leurs yeux s’illuminent quand deux plateaux-repas sont portés dans leur chambre.
"On en aura déplacé du monde !" s’exclame l’un d’eux en recevant les nombreux journalistes. Pour les parents enfin rassurés, ces trois jours de février 1982 resteront dans leur souvenir : trois jours d’angoisse mais une issue heureuse, conscients qu’il aurait pu en être tout autrement quelques heures plus tard. Certes, on aurait pu nous déclencher dès le premier jour, mais la mise en alerte de notre hélico Sécurité civile n’est pas encore un réflexe.
Heureusement, nous sommes intervenus à temps pour prouver à tous en cette occasion, notre pleine efficacité.

Bien souvent les premiers arrivés sur les lieux d’une détresse, nous sommes parfois contraints d’aborder les victimes dans des conditions non sécurisées par les Sapeurs-pompiers ou forces de l’ordre. Intervention sur accident de voiture ; L'Alouette 3 F-ZBDN posée dans dans un champ en arrière-plan - Photo collection F. Delafosse Malgré cela, l’équipage reste dans l’obligation d’intervenir en assistant directement le médecin, ce qui personnellement, au fil du temps me permet d’acquérir une certaine et solide expérience face à nos missions médicalisées les plus diverses et les plus scabreuses comme :
Ces nombreux suicides ou tentatives diverses souvent liées aux drames familiaux, me rappelant de cette jeune mère que l’on vient de décrocher de la corde pour tenter malgré tout une réanimation qui restera vaine, pour découvrir ensuite, avant de quitter les lieux ses deux petits enfants strangulés au radiateur de la pièce d’à côté... de ce jeune adolescent qui voulant s’immoler et qui se retrouva prisonnier de la chaussée les deux pieds et chaussures de sport fondus dans le goudron... de cette vieille dame allongée sur son lit présentant une évidente trace de serrage, un hématome sur le cuir chevelu et une brûlure noircie au niveau de la tempe. Après avoir échappée à la pendaison volontaire par rupture du lien qui la maintenait au lustre, sa tête heurta violemment le sol mais elle persiste à mettre fin à ses jours en se tirant une balle avec un pistolet à grenaille qui ne lui fit pas grand mal...

Intervention sur une sortie de route avec plusieurs blessés graves - Photo D. CamusTout ce que l’on peut trouver en matière d’accidents de la route, cet enfant de neuf ans baignant littéralement dans le sang des corps incarcérés de ses deux parents. Légèrement blessé et littéralement rendu fou devant ce spectacle, se débattant bestialement, cherchant à nous rejoindre en frappant de ses poings la carcasse démantelée qui le garde prisonnier.
Ce chauffeur routier décédé après une terrible collision sur l’arrière d’un autre camion, le crâne ouvert, rempli de raviolis venant de la cargaison explosée qu’il transportait... Un aliment qui ne fera plus jamais partie de ma consommation quotidienne sans que ce type d’image ne me vienne à l’esprit.
Cette femme qui semblait pleurer la tête dans les mains sur le bord du trottoir suite à l’accident de son véhicule et qui nous déclarait ne rien avoir de grave, tout en faisant apparaître son œil plongé au fond de son mouchoir…
Evacuation d'un agriculteur strangulé par ses vêtements dans la prise de force de son tracteur - Photo collection F. DelafosseToutes les victimes d’accident du travail avec cet agriculteur qui chute malencontreusement dans son broyeur à maïs, nous laissant perplexes quant à l’idée que l’on ait pu espérer un instant l’utilité des secours.
Cet employé retrouvé découpé en deux dans le broyeur de son camion à ordures...
Ce jardinier avec la jambe enroulée autour de la fraise d’un motoculteur, accident trop fréquent que l’on retrouve quasiment à chaque printemps...
Cet agriculteur qui rentre chez lui en tracteur avec un seul bras. Recherchant le membre arraché avec notre hélico à la surface du champ voisin, nous ne retrouvons que des morceaux de chair irrécupérables.
Ces grands brûlés des hauts-fourneaux que l’on ramène au centre régional spécialisé mais pratiquement condamnés d’avance. Sans oublier celui qui en plein vol, les deux membres brûlés se relève de la civière pour me saisir par le cou. Je parviendrais à me dégager, mais pas sans lui avoir décollé toute la peau du bras dans la bagarre.
Le pansement d’un polytraumatisé qui lâche en plein vol, faisant gicler le sang partout dans notre dos sur la verrière du cockpit et le tableau de bord.

Intervention avec l'Alouette 3 F-ZBBC pour un secours sur chalutier en mer du Nord - Photo collection F. DelafosseEt comment ne pas garder en mémoire également ces innombrables accidents domestiques qui touchent gravement les jeunes enfants avec, en tête de liste, les ingestions accidentelles de produits les plus divers suivies par les accidents sur leurs terrains de jeux. Et tout notre dégoût face au problème des enfants battus et martyrisés, nous retrouvant parfois en confrontation inévitable avec des parents empêtrés dans d’inextricables ou sordides explications peu convaincantes.

Tout cet étalage de souvenirs les plus scabreux n’a pour seul intérêt que de me permettre de poser des mots sur des situations vécues d’une manière répétée pendant tant d’années, sans préparation ni assistance psychologique. Ce qui, au fil du temps, d’une manière très insidieuse, va engendrer inévitablement une modification de mon état d’être et de ma vision de la vie.
Aussi, j’admire les soi-disant « Cœurs de pierre » de la profession (s’ils existent vraiment) capables de digérer toutes ces horreurs sans jamais avoir eu un seul instant le besoin d’en parler... ou de l’écrire.

La région Lilloise, Urbanisation, Centrales,Terrils, Usines... - Photo Francis DelafosseFace à tous ces malheurs, toute cette détresse, nous nous efforçons à chaque fois de répondre présents quelles que soient les conditions météo où les difficultés d’intervention. Nous sommes évidemment aux premières loges pour déceler tout dysfonctionnement possible dans le rôle joué par les divers organismes de secours et leurs acteurs, y compris les nôtres.
Il m’arrive effectivement de me demander si la Sécurité civile n’est pas une vocation trop sérieuse pour être confiée aux gens de la Fonction Publique, dont beaucoup se préoccupent davantage de leurs petits avancements de carrière, que de l’intérêt général de la population. Il est vrai que les performances accomplies au regard des concours administratifs sont plus avantageuses que celles réalisées dans le domaine opérationnel, pour lequel on se verra tout au plus, bénéficiaire d’une ou deux décorations officielles, bien mal reconnues d’ailleurs.
Personnellement, il me faudra attendre plus de dix années d’activité de sauvetage et de secours pour être proposé à ce type de récompense. Non pas, par la Police Nationale, qui gère mon statut, ni par la Sécurité civile qui m’emploie, mais par des cadres de la Gendarmerie Nationale, que je ne peux que remercier au passage.
Même si ces reconnaissances font toujours un peu plaisir, heureux ceux qui, parmi nous, se contentent de la satisfaction du devoir accompli sans rien attendre, car de ce côté-là... ils ne seront pas déçus.

Marié depuis peu et encore très affecté par la perte de mon premier enfant survenu une quinzaine de jours après sa naissance, je vais connaître au travers d’une mission au profit d’une maternité d’un petit hôpital de campagne, l’une de mes plus frustrantes déceptions.

Le sang, c’est la vie
Appelés pour un accouchement suivi des pires complications, nous avons davantage l’impression de pénétrer dans une boucherie plutôt qu’à l’intérieur d’une véritable salle de travail d’une maternité.
Après avoir installé une jeune accouchée sur notre civière de l’hélicoptère, je m’efforce de trouver un emplacement pour caser ses affaires qui l’accompagnent, sa valise, mais aussi un baluchon de drap blanc dans lequel je m’aperçois avec stupeur, qu’il emballe le corps inerte et froid du nouveau-né.
En approche de l'hôpital Calmette de Lille - Photo Francis DelafosseSans avoir pu stopper l’abondante hémorragie consécutive à la naissance, nous décollons avec à bord des poches de sang qui très vite s’avéreront de plus en plus nécessaires. Craignant d’épuiser nos réserves, nous demandons par radio de nous fournir dès notre arrivée à l’hôpital régional, une quantité de sang supplémentaire pour le relais de l’ambulance jusqu’en salle opératoire.
Cette pratique bien rodée n’avait jamais causé de problème particulier, mais stupéfaction en approchant notre point de posé habituel, il n’y a cette fois, pas la moindre présence d’ambulance à l’horizon. Pendant ce temps, notre médecin, de toutes ses forces, enserre des deux mains sa dernière poche de plastique, offrant à la patiente les toutes dernières gouttes du précieux liquide.
Maudissant la situation en renouvelant nos appels à la radio, les minutes s’écoulent et toujours rien... l’arrêt cardiaque tant redouté ne nous surprend guère. Au loin, l’ambulance arrive enfin nous amenant ce dont nous avions tellement espéré. La rage au ventre, aussitôt, nous tentons de pratiquer sur la jeune femme, les gestes salvateurs de la procédure de réanimation.
Le lendemain, je m’efforce d’obtenir discrètement des explications à ce loupé inadmissible, pour m’entendre dire qu’en fait, l’ambulancier en charge de ce transport, certes, quelque peu habitué aux situations dites d’urgence qui en fait, ne le sont pas toujours vraiment, avait cru bon pouvoir nous faire patienter, soucieux de ne pas rater les dernières minutes de la retransmission télévisée d’une grande finale de football.

Il était là, juste sous nos pieds
Décollage de l'Alouette 3 F-ZBDJ indicatif Dragon 59 pour une intervention - Photo Philippe BuffonDans une ferme isolée de la région du Pas-de-Calais, un enfant de trois ans porté disparu depuis plusieurs heures était en fait… juste sous nos pieds ! Nous venons de terminer la reconnaissance aérienne tout autour de la propriété de ses parents, mais sans succès. En faisant le point avec le responsable local des Sapeurs-pompiers dans la cour de la ferme, celui-ci demande au père de l’enfant à quoi correspond la plaque de tôle près de laquelle nous étions. Il nous répond qu’il vient justement de la remettre en place par souci de sécurité car il s’agit de la citerne, réserve d’eau de pluie qu’il a utilisée dans le courant de la matinée.
Nous la relevons par acquit de conscience et nous apercevons aussitôt les cheveux de l’enfant affleurer la surface... La grand-mère, ayant entendu que celui-ci venait d’être retrouvé, accourt joyeusement, récupère le corps de l’enfant et l’emmène dans la maison en nous promettant d’en prendre bien soin et en nous remerciant chaleureusement. Décontenancés, nous avons lâchement laissé au jeune médecin présent, le soin de lui annoncer, que si elle s’imaginait le voir endormi paisiblement, c’était dorénavant son tout dernier sommeil.

Opération « CARAMEL »
Posé de l'appareil Alouette 3 sur les lieux de l'incendie à l'usine Béghin-Say de Boiry-Sainte-Rictrude dans le Pas-de Calais avec la présence du Samu 62 - Photo collection F. DelafosseLe 11 mai à 1982, à 12 h 52, le Centre de Secours des Sapeurs-pompiers d’Arras est mis en alerte : une violente explosion d’origine inconnue vient de se produire à l’usine Béghin-Say de Boiry-Sainte-Rictrude dans le Pas-de-Calais.
Dans l’usine, les dégâts sont très importants. L’explosion a eu lieu dans l’un des énormes silos à sucre de betterave et les débris ont été projetés à plusieurs dizaines de mètres jusque sur la route départementale voisine.
Le pire est à craindre et une équipe médicale du SAMU d’Arras se rend sur les lieux, de même que notre appareil médicalisé au départ de Lille.
Une reconnaissance rapide est effectuée par les premiers sauveteurs arrivés sur les lieux. Par chance, les ouvriers et employés qui travaillaient dans les bâtiments touchés étaient partis déjeuner, il n’y a pas le moindre blessé. Néanmoins, les équipes médicales demeurent sur place pendant que plus de cinquante Sapeurs-pompiers s’activent autour d’une dizaine de grandes lances en batterie.
Le lendemain, l’incendie semble maîtrisé. Informés de l’accident, les représentants de la direction de Béghin-Say sont arrivés de Paris et constatent l’ampleur des dégâts avant de prendre les décisions qui s’imposent. La récupération du sucre stocké dans le silo pourra être effectuée après l’acheminement sur les lieux de trains spéciaux. Mais avant de commencer l’opération de vidage vers les wagons, une dernière reconnaissance aérienne des bâtiments est demandée par les représentants de l’entreprise sucrière. Un des silos fumant - Photo collection F. delafosse À bord de notre hélicoptère rouge avec l’un des responsables décideurs et le commandant des Sapeurs-pompiers, nous apercevons très bien le niveau supérieur de la marchandise encore fumante au travers des poutres métalliques qui soutenaient la toiture. Au total, trois points de combustion subsistent encore. Il devient inenvisageable de procéder à la récupération sans une extinction complète.
Malgré la mise en œuvre des échelles les plus hautes et la puissance des lances-canon, les jets d’eau ne peuvent atteindre le sommet du silo. Faudra-t-il assister impuissants à l’autocombustion des 48 000 tonnes de sucre se transformant ainsi en caramel ?
Devant le désarroi des autorités, je me propose de tenter de larguer des sacs de poudre d’extinction à partir de notre hélico. Le pilote semble pleinement d’accord et nous voilà disposés à embarquer plusieurs sacs de poudre blanche à bord de notre appareil. Trappe d’hélitreuillage ouverte, penché à l’extérieur avec un premier sac de trente kilos tenu des deux mains, me voilà à la verticale de ma zone de largage. Le pilote nous maintient à une hauteur suffisante pour éviter toute approche dans l’air chaud de la zone incendiée, ce qui ne facilite pas mes « bombardements ». Bon nombre de sacs éclatent sur les poutrelles métalliques avant même de toucher les zones concernées. Un sac sur cinq atteint véritablement son objectif. Il serait bien imprudent de descendre beaucoup plus bas et à bord de l’Alouette, nous commençons à douter de l’efficacité de notre manœuvre. Les dégâts sur les silos une fois l'incendie maîtrisé - Photo collection F. Deafosse Après plusieurs va-et-vient et une soixantaine de sacs largués, un tout dernier sac fait mouche sur le troisième point de combustion. Cette fois, le feu est définitivement vaincu. Débarrassé de tout son matériel médical pour la circonstance, l’intérieur de la cabine de notre hélico est, tout comme nos visages, recouvert d’une fine couche de poudre blanche.
A la grande satisfaction de la direction de Béghin-Say, la récupération des 48 000 tonnes de sucre peut dès à présent être effectuée en toute sécurité. Pendant plusieurs jours, des trains spéciaux effectueront d’inlassables rotations, transportant leur précieuse marchandise vers d’autres dépôts de France et de l’étranger.
Nous nous apprêtons à faire nos adieux en saluant les personnes présentes quand l’une d’entre elles nous demande de bien vouloir l’informer du montant financier de notre intervention. En lui répondant qu’en qualité de service public, notre action est totalement gratuite, je ne peux toutefois m’empêcher de lui signaler que par contre, notre Amicale, elle, est autorisée à recevoir des dons.
Ce fut-là, le plus gros chèque jamais versé à notre trésorier... il eût été dommage de ne pas pouvoir d’une manière ou d’une autre, accepter de nous « sucrer » un peu, surtout après une telle mission.

David et Goliath en mer du Nord
Prise de vue depuis l'Alouette 3 lors d'une recherche en Manche dans le détroit du Pas-de-Calais - Photo Francis DelafosseAprès la création de la Base Sécurité civile de Lille, nous sommes régulièrement invités à participer à l’exercice international de recherche en mer du Nord, prévu par le plan SAMAR (Plan de Secours Aéro-MARitime). En ce jour de mai 1982, nous décollons en direction de la Base aérienne belge de Koksijde, spécialement dévolue aux missions de secours en mer SAR (Search And Rescue). A notre arrivée, posée au côté des hélicoptères lourds « SEA KING » belges et britanniques superbement équipés avec leurs cinq membres d’équipage, notre petite Alouette III de la Sécurité civile française, faisait « profil bas » suscitant quelques sourires en coin de la part de nos homologues étrangers.
Tous les appareils présents participent à cet exercice consistant à rechercher et à récupérer en mer deux personnes placées volontairement dans un canot à la dérive. Le hasard ou la chance aidant, il se trouve qu’à bord de notre Alouette, nous parvenons assez rapidement à les retrouver.
Après hélitreuillages, le retour de nos deux naufragés volontaires met fin plus tôt que prévu à l’exercice. Nous sommes presque confus de notre réussite, malgré tout l’ambiance du « débriefing » est quelque peu tendue. Nous rejoignons l’ensemble des équipages présents pour le pot de l’amitié, non sans payer nos consommations et notre proposition d’échanger traditionnellement notre écusson a semblé n’intéresser personne...
Moralité : Si on a parfois besoin d’un plus petit que soit... cela ne fait pas toujours plaisir aux plus grands.

Préparation de l'Alouette III F-ZBDN avant le départ pour un secours en mer - Photo collection F. DelafosseToujours au printemps 1982, et sans cesse dans l’espérance de nous voir un jour autorisés à créer notre détachement saisonnier sur la côte d’Opale en période estivale, le Député-Maire de Berck-sur-Mer nous assure le meilleur accueil en nous proposant l’abri pour notre appareil et logements gratuits pour nos familles. Toujours très intéressé par notre présence pendant cette période d’été, il me retransmet la lettre de Monsieur Gaston Defferre, Ministre de l’Intérieur en date du 10 mai 1982 nous informant du déclenchement de la procédure sur la justification de ce projet.

En avril 1983, malgré une nouvelle demande de M. Lengagne, Maire de Boulogne-sur-Mer et Ministre de la mer à son ami le président François Mitterrand, aucune décision n’est prise pour déclencher ce fameux détachement qui ne sera en fait créé que vingt ans plus tard (lenteur de l’administration oblige), avant de devenir après son départ de Lille, une Base définitive nouvelle en bordure de côte sur la commune du Touquet. L’appareil sera malheureusement retiré beaucoup plus tard encore à destination de l’Outre-mer prouvant une fois de plus, qu’il ne suffit pas de voler efficacement au secours de la population, encore faut-il que cela soit effectué au bon vouloir de nos dirigeants politiques.

Accident de voiture avec l'Alouette 3 posée dans le champ de pommes de terre - Photo collection F. DelafosseAu cours de ces cinq années passées à Lille, j’aurai effectué plus de 600 missions en tous genres (sauvetage, secours, assistance auprès des naufragés, noyés, brûlés, amputés, empoisonnés, suicidés, cardiaques, intoxiqués, comateux et autres accidentés de la vie les plus divers) dans cette région où le plaisir du vol est très relatif, souvent perturbé par des conditions météo, nous obligeant à voler à très basse altitude. Aussi, sollicité par mes collègues de la Base d’Annecy en Haute-Savoie, j’accepte l’éventualité de quitter ma terre natale, non sans une certaine hésitation, car peu connaisseur des particularités du secours en montagne héliporté, considéré comme l’apogée de la profession.
Alouette 3 F-ZBDO Francis Delafosse de dos entre octobre 1979 et août 1980 - Photo DR article de journalDu plat pays au Mont-Blanc, conscient de passer un peu de la cave au grenier, mais convaincu du bon accueil que vont me réserver mes collègues d’Annecy, je me décide à partir pour cette superbe ville et région touristique, dont les charmes ne tarderont pas à me consoler de la grisaille de mes faubourgs lillois.

Ma période d’activité dans le domaine du secours en montagne à Annecy et Chamonix, suivie d’une affectation à Grenoble va se poursuivre pendant plus de vingt années, et me fera connaître bien d’autres événements, en vivant encore des moments à la fois extraordinaires et difficiles, mais toujours passionnants... une toute autre histoire.

Extrait du chapitre V du projet de publication de mes « Mémoires ».

Cliquez pour en savoir + sur le livre de Francis DELAFOSSE intitulé "Au cœur de l'Alouette" - Photo Auto-édition DELAFOSSE

MAJ 05-06-2021
Sortie officielle du livre de Francis DELAFOSSE intitulé "Au cœur de l’Alouette".

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Vos commentaires

  • Le 22 novembre 2015 à 12:44, par Lafond Marc En réponse à : Quand la Sécurité civile ne "perdait pas le Nord"

    Une carrière ,quelques moments forts des vérités(toujours bonnes à dire) le tout nécessitant recherche et travail de fond.

    Reconnaissons tout de méme que certains moments partagés étaient un grand privilège,impossible ce jour .

    Bel article et bravo .

    Marc

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  • Le 23 novembre 2015 à 10:01, par JM POTELLE En réponse à : Quand la Sécurité civile ne "perdait pas le Nord"

    Formidable récit et dire que tu dois en avoir beaucoup à nous transmettre.N’hésites pas je me régale quand je te lis.
    A bientôt FRancis et encore bravo

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  • Le 26 novembre 2015 à 17:27, par Josee De Verite Mermoud En réponse à : Quand la Sécurité civile ne "perdait pas le Nord"

    Du pur bonheur de te lire mon Francis, comme tu as raison de dire "ça comblera les longues soirées d’hiver....De plus que de bons souvenirs dans notre ancienne DZ

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  • Le 27 novembre 2015 à 18:35, par Thirion Eric En réponse à : Quand la Sécurité civile ne "perdait pas le Nord"

    Superbe article, et des récits très émouvants. Merci Francis pour les récits ça prends aux tripes !

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  • Le 1er décembre 2015 à 17:29, par Raphaëlle Porte En réponse à : Quand la Sécurité civile ne "perdait pas le Nord"

    Ils se nomment courage et dignité, plein de professionnalisme, de cœur et de respect humain. Ces chevaliers du ciel qui vivent des défis ou voient des horreurs tous les jours, de leurs yeux et de leurs mains, donnent apaisement et soulagement avec un dernier regard ou un dernier geste, à ceux qui, dans la souffrance, expirent leur tout dernier souffle.

    Merci à vous !

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    • Le 15 janvier 2016 à 01:52, par sylvain En réponse à : Quand la Sécurité civile ne "perdait pas le Nord"

      merci francis pour ce temoignage ....passionant

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      • Le 20 juin 2017 à 22:03, par Olivier En réponse à : Quand la Sécurité civile ne "perdait pas le Nord"

        Bonsoir Francis ancien Wattrelosien j’habite depuis 15 ans en Ardèche près de Valence ou je suis SPV depuis 13 ans
        J’ai très bien connu la base de lille Lesquin et son alouette 3... l’ec 145 ensuite... je venais souvent au grillage la voir...
        une énorme déception à l’annonce de la fermeture de la base de Lille que j’ai toujours connu étant né en 1977 !
        récit prenant et tellement réaliste...
        un grand merci pour votre professionnalisme et votre simplicité !!!
        encore bravo à vous tous !!!

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        • Le 21 juin 2017 à 08:55, par DELAFOSSE En réponse à : Quand la Sécurité civile ne "perdait pas le Nord"

          Ce témoignage sur l’ancienne Base Hélicoptère de la Sécurité civile de Lille, prouve en effet, que lorsqu’on aime une région et ce métier, l’hélicoptère de secours peut se révéler très efficace voir nécessaire au service de la population.
          Le reste n’est que politique et administration.

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