Juin 1957 – A Ceillac, les Saint-Bernard viennent du ciel

samedi 30 septembre 2017

Extrait du Journal de l’association Pays Guillestrin N°98 - Septembre 2017 par Jean-Lin PAUL
14 juin 1957, du fait de circonstances climatiques exceptionnelles, la Maurienne, la
haute vallée du Guil, Ceillac, Guillestre ou Mont-Dauphin sont envahis par les eaux,
inondés, recouverts par endroit de deux mètres de boue et de cailloux. La voie ferrée, les routes, les ponts, les lignes télégraphiques sont emportés et les villages sont totalement isolés. BELL 47 G2 F-BICA ou F-BHKZ possible Protection civile avec les équipages mi juin 1957 - Photo DLLe plan ORSEC est déclenché par les préfets. Le jour même, il est fait appel aux hélicoptères de la Protection civile, de la gendarmerie puis de l’armée. Les premières missions consistent à survoler les zones inondées pour évaluer les secours à mettre en place.

Dans la soirée, l’hélicoptère de type Bell 47 G2 n° 204 immatriculé "BF" de la SAG de Lyon, piloté par le gendarme Jean Ladhuie, effectue de nuit un posé dur au col du Lautaret (05) alors qu’il rejoignait Briançon. Entrée de la Base Ecole 725 (Bell 47 avec posé patin sur le portail) Le Bourget-du-Lac fin des années 50 - Photo DRLe même jour, un autre Bell 47 se pose à Ceillac, non loin de la petite piste de luge des Tourres. Il amène un peu de pain ; un conciliabule avec les élus s’engage. La décision d’évacuer les personnes âgés et les enfants est prise par le préfet.
Le commandant Alexis Santini au pied d'un Sikorsky H-34 en juin 1957 - Photo DLL’hélicoptère H-34 N° 374 de l’Armée de l’Air (venu de la Base Ecole 725 au Bourget-du-Lac) rejoint Briançon pour le plus rapidement possible procéder aux évacuations. Arrivée à Briançon d'une ceillaquine (Mme Nicolas) par hélicoptère Sikorsky H-34 piloté par le lieutenant Serge Cessou (commandant de bord) - Au sol à l'extrême droite, le lieutenant René Bourcier, en juin 1957 - Photo DLLe chef de bord de l’appareil est le commandant Alexis Santini, le pilote est le sergent Pierre Faroux, et le mécanicien navigant Robert Genay. Pendant le vol les menant à Briançon, le commandant Santini, chef du dispositif, ordonne l’envoi d’un deuxième hélicoptère à Briançon. Il s’agit du H-34 n°329, piloté par le lieutenant René Bourcier et le sergent Robert Seznec. Dès lors et dès le 14 au soir, puis tout le 15 juin, s’enchaînent les rotations entre la vallée du Guil, Ceillac et Briançon. Dans le même temps, d’autres hélicoptères font de même en Maurienne.

Pierre Faroux, le pilote du H-34 de l'armée de l'air - Photo DRLe sergent Pierre Faroux procède à 6 rotations le 15 juin sur Ceillac évacuant 46 adultes, 25 enfants et 1 malade, les vols allers vers Ceillac amenant du ravitaillement. De son coté le sergent Robert Seznec participe à 2 rotations le 14 et 5 le 15 juin, évacuant ainsi 14 adultes et 12 enfants le 14 juin de Ristolas, 12 personnes et 15 enfants de Ceillac, 2 blessés graves d’Aiguille, puis encore 14 adultes et 5 enfants d’Abries, Château-Queyras et Aiguille le 15 juin.

A Ceillac, tout est organisé par le maire Antoine Perron et le garde champêtre Pierre Colombet. Toutes les personnes à évacuer sont prévenues de leur ordre de départ, elles avancent par petits groupes vers la Claustre où les hélicoptères se posent.
« De nombreuses personnes se dirigèrent vers les appareils et, de maigres bagages à la main, plusieurs montèrent à bord, visiblement inquiètes. Les au-revoir étaient rapides et discrets… quelques larmes sur les joues des grands-mères, qu’elles essuyaient avec de large mouchoir à carreaux. » Les longues robes noires à grand tablier flottent dans le vent de l’hélicoptère qui s’élève et file vers la Viste et Briançon. Les garçonnets et les hommes mettent instinctivement leur main sur le béret pour éviter qu’il ne s’envole.

Écoutons Robert Fournier qui, à 9 ans, prend son baptême de l’air ce 15 juin : « C’était à nous de partir et, pour être sûrs de ne pas manquer ce rendez-vous si attendu, Francis et moi étions à l’affût du prochain bruit de moteur dans le lointain. Celui-ci repéré, nous sommes partis en courant jusqu’au lieu d’embarquement, sans dire au revoir à personne, même pas aux grands-parents que nous ne manquions jamais d’embrasser quand nous les rencontrions, à la Viéro ou ailleurs. » Tous n’ont pas la même impatience et montrent de la réticence, peu décidés à abandonner le village. Cependant tous comprennent qu’il ne faut laisser à Ceillac que celles et ceux qui pourront remettre en ordre et dégager de la « nite » les habitations, rues et pâtures.
Au Roux d’Abries, c’est Madame Lambert qui, enceinte, monte dans le gros H-34 pour aller à Briançon où elle accouchera peu après. Une autre jeune femme enceinte aussi, témoigne P. Faroux, saute de la haute porte de l’hélicoptère dès l’atterrissage à Briançon en criant « Jamais plus je ne monterai dans ces engins ! ».

A Château-Queyras, un monsieur paraplégique est héliporté (le mécanicien n’arrivant pas à le faire grimper dans l’hélicoptère en vol stationnaire.) du haut de sa maison encerclée par les eaux du Guil vers un point un peu plus haut et à l’abri. Il dira à son pilote « Vous m’avez sauvé la vie  », et il a pu voir, suspendu dans les airs, son village inondé et sa maison de haut.

Lors des trajets vers Ceillac et les villages de la haute vallée du Guil, les hélicoptères amènent du ravitaillement. Lors d’un vol chargé d’une tonne de farine, le sergent Seznec raconte qu’à l’arrivée à Abries, avec les vibrations permanentes, les sacs s’étant un peu ouverts, les pilotes et le mécanicien étaient blanchis comme des meuniers.

En fin de journée, les hélicoptères revenaient à Chambéry (base école 725 de Bourget le lac) en passant par Grenoble et le Lautaret. Briançon et le nord des Hautes-Alpes ne disposaient à l’époque d’aucune infrastructure aéronautique. Evacuations par Sikorsky H-34 de l'Armée de l'air venu de la Base Ecole du Bourget-du-Lac, en juin 1957Même le ravitaillement en essence aviation militaire posait problème, des bidons d’essence étaient amenés à Briançon et les pleins étaient faits à l’aide de pompes Japy.
Les conditions d’utilisation des Bell 47 et des Sikorsky H-34 pourtant récents en 1957 étaient extrêmement difficiles pour différentes raisons. Tout d’abord la météo les premiers jours était exécrable rendant la visibilité des plus faibles. L’accident du Bell 47 au col du Lautaret le premier jour s’explique ainsi. Par ailleurs, les opérations menées en altitude (1600 m à Ceillac) avec des moteurs classiques à piston se traduisaient par une baisse de puissance de 30 ou 40 %. Enfin, les H-34 étaient régulièrement en surcharge de 10 ou 15% pour faire face à l’urgence de certaines évacuations. Ces deux derniers paramètres affectant très nettement la manoeuvrabilité des machines.

A cela il faut ajouter les risques d’accrocher des obstacles tels que des câbles de Sikorsky H-34 XB-481 en action lors d'un héliportage sling - Photo AHAforestier tendus dans les vallées ou des clôtures de barbelés. R. Seznec et P. Faroux ont évité d’extrême justesse un câble de forestier lors d’un atterrissage, et par miracle ou adresse sont passés dessous au dernier moment. Par contre, une aventure similaire se produisit pour un Bell 47 de l’armée venu de Chambéry qui lors du décollage de Saint-Véran, gêné par un vent violent, accrocha avec un patin un câble téléphonique laissé là par la crue et traversant la plateforme à 50 cm de hauteur. Pris dans ce piège, le Bell 47 bascula pour tomber de 6 m de hauteur. Heureusement le pilote, adjudant René Priot, et son passager, M. A. Maire, directeur des mines de cuivre des Clausis, ne souffraient que de contusions légères.

En conclusion, nous pouvons affirmer que les opérations d’évacuations, de ravitaillements et d’héliportages par les hélicoptères lourds de l’armée de l’air, et les multiples missions menées par les légers Bell 47 de la gendarmerie et de la Protection civile furent par leur ampleur la première utilisation en France à des fins civiles de l’hélicoptère. Lire la suite

Juin 2017, le téléphone sonne, mes correspondants sont Pierre Faroux et Robert Seznec qui alertés par l’AHA font suite à mes emails en recherche d’informations sur l’utilisation des hélicoptères lors des inondations de juin 1957. Pierre Faroux et Robert Seznec ont tous deux participé aux évacuations aux commandes de leur lourd Sikorsky H-34. Je les remercie vivement pour leur aide amicale, précieuse et factuelle ainsi que tous les membres de l’AHA pour leur diligence.
Aujourd’hui, 87% des secours en montagne se font à l’aide d’hélicoptères. Nous sommes habitués à entendre l’EC145 du PGHM survoler nos villages pour aller secourir randonneurs et alpinistes en difficulté. Dans les années cinquante des hélicoptères équipés de moteurs à piston sont déjà utilisés pour le secours aérien, en particulier dans les zones de conflit, Indochine puis Algérie. Entre 1954 et
1956, la Protection civile expérimente les hélicoptères (Bell 47) en haute montagne, au cours de cette première période des accidents soulignent les limites des premières machines.
Ainsi, en janvier 1957, lors de la tentative de récupération des alpinistes Jean Vincendon et François Henry au Mont-Blanc un hélicoptère de l’armée s’écrase près des deux hommes, la puissance du moteur étant altérée par l’altitude.

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