42 500 pieds en hélicoptère

samedi 23 mars 2002

Une trentaine d’années après le record établi par Jean Boulet sur un hélicoptère SA315 B Lama, Fred North, pilote professionnel, emmène un AS 350 B2 Squirrel à la fantastique altitude de 12 954 m.
Battre le record du monde d’altitude en hélicoptère ? Au cours des deux dernières années, il y a pensé. Alors qu’il démarrait la turbine de son Squirrel AS350B2, ce Fred North aux commandes de son AS 350 B2 Squirrel immatriculé ZS-RHA, le 23 mars 2002 - Photo DR DPPIsamedi 23 mars 2002, à l’aéroport international du Cap, en Afrique du Sud, Fred North n’avait pas envie d’être pilote d’essai. Il n’aime pas non plus être un suicidaire éclairé.
Pour ce professionnel des hélicoptères qui compte 8 500 heures de vol (dont 5 000 heures sur Squirrel), chef de son entreprise spécialisée dans les travaux aériens et passionné par son métier, le défi en lui-même devrait se suffire à lui-même. En l’occurrence, aucun industriel ne lui a jamais demandé de se lancer dans l’aventure, ni aucune autorité institutionnelle. En effet, dès que l’idée lui est venue, Fred North a pensé davantage aux engagements techniques, physiques et psychologiques, engendrés par une telle approche. Il a misé aussi sur la pure passion aéronautique que ce défi donnerait. Mais ce jour-là, le pilote se demandait si son audace n’allait pas trop loin. Et en quelques secondes, le film de sa vie lui revient, lui rappelant ce qu’il a fait pour en arriver là…

Un conseil de maître
Un hélicoptère léger de 5 à 6 places, quel qu’il soit, n’a pas été construit pour voler aussi haut. Ce type d’avion était plus susceptible d’effectuer des liaisons courtes à basse altitude, tout en disposant des infrastructures nécessaires propres aux avions. En revanche, les vols en montagne nécessitaient souvent des hélicoptères très puissants capables de décollages exceptionnels. En son temps, le SA315B Lama a répondu à ce besoin. Cela a si bien fonctionné que des dizaines d’entre eux fonctionnent encore de nos jours, notamment dans les zones montagneuses. Même si le rapport poids/puissance était moins lucratif que celui du lama, l’hélicoptère AS350 B2 Squirrel répondait également aux besoins des opérateurs aériens appelés à travailler dans des zones inaccessibles notamment en altitude. Lorsqu’il a décidé d’aller de l’avant avec son projet de disque, Fred North n’y a pas hésité. Sa tentative, il le ferait sur un Écureuil B2. Mais sa cible, même avec un modem et un moteur de confiance, il a fallu encore plus de difficultés. Au cours des mois précédents, avant le jour J, Fred avait approché le constructeur et l’automobiliste (Eurocopter et Turbomeca) tout en contactant l’Autorité de l’aviation civile, représentant le ministère français des Transports. Aucun de ces trois n’apprécierait cette demande assez particulière. Les réponses négatives malheureuses des « officiels », pointaient le risque encouru par Fred North, risques jugés vains même de la part de l’industrie plus préoccupée par le marché que par des performances « spectaculaires ». Néanmoins, une aide précieuse viendrait. Et pas le moins important. Jean Boulet, le propriétaire du record du monde certifié par la fédération internationale d’aéronautique, a rouvert ses dossiers et a proposé à Fred North de consulter son rapport de vol, daté de juin 1972. Ce précieux document contenait des informations de base. Pour cet intrépide pilote, cette aide va être décisive.

Choix du site et des équipements à bord
Le ministère français ne semblant pas autoriser cette tentative de record, Fred North part à la recherche d’un autre site plus accueillant. Pourquoi pas l’Afrique du Sud ? J’avais de bons souvenirs du travail aérien que j’avais fait là-bas. De plus, les conditions météorologiques, à cette période de l’année, sont idéales.
Je me souvenais aussi de conversations avec des pilotes de planeur sud-africains. Pour eux, les courants de vents ascendants étaient nombreux et agissaient comme des pompes. Je savais que j’en aurais besoin. Fred a expliqué. Pour le moteur - l’expédition du Squirrel à Cape Town était hors budget -, Dave Mouton, opérateur aérien local et patron de la société Heli Byp, a apporté la réponse au problème. A la place de l’AS 350 B2 motorisé, un nouvel Arriel 1D1 a été prêté au pilote français. Encore deux obstacles subsistaient : l’équipement à oxygène et l’étude du plan de vol étaient nécessaires à la réussite. Pas question de pressuriser la cabine du Squirrel. Un équipement à oxygène et une combinaison spéciale ont été spécialement étudiés pour le pilote (dont un parachute) et fournis par une firme américaine. Les paramètres de vol ont été confiés à Daniel Le Godec, technicien hors pair, et directeur de la société Air Service Maintenance. « Plus que de préparer techniquement l’hélicoptère, nous avons dû élaborer des calculs de performances le plus précisément possible en fonction des paramètres particuliers que Fred aurait à traverser », précise Daniel Le Godec. Merci au rapport de vol de Jean Boulet ; Daniel et Fred ont réussi à extrapoler mathématiquement les courbes de vol et à projeter les lignes que l’AS 350 B2 suivrait logiquement. Au terme de son calcul, le directeur de la maintenance du service aérien a estimé que le temps de vol nécessaire pour atteindre l’objectif devrait être de 1 heure et 29 minutes. Finalement, ce serait fait en 1 heure et 35 minutes… précise Daniel Le Godec. Merci au rapport de vol de Jean Boulet ; Daniel et Fred ont réussi à extrapoler mathématiquement les courbes de vol et à projeter les lignes que l’AS 350 B2 suivrait logiquement. Au terme de son calcul, le directeur de la maintenance du service aérien a estimé que le temps de vol nécessaire pour atteindre l’objectif devrait être de 1 heure et 29 minutes. Finalement, ce serait fait en 1 heure et 35 minutes…

La sangle de parachute
Aéroport international de Cape Town, Afrique du Sud. Le temps était fantastique. Plus léger de 200 kilos par rapport à sa configuration normale, le Squirrel a pris son envol. Poids total de 1048 kilos. Avec 25 % de carburant dans le réservoir (132 litres) et un équipement minimum à bord – une petite radio VHP, un verticalmètre, un altimètre, les indicateurs moteur aux instruments et mode transpondeur C-Fred croise les doigts. Sa confiance en ses collègues était totale. Mais c’est sur ses épaules que reposaient les espoirs. Les autorités de l’aviation civile sud-africaine, enthousiastes, veillent. Ses amis, tendus mais heureux pour lui, le soutenaient. Aucune marche arrière n’était possible ! « Je ne voulais plus le faire. Trop de pression et les risques pourtant calculés ; c’était difficile sur le plan psychologique. Mais bien sûr, il était trop tard pour abandonner…  », a avoué Fred North.
L’ascension a commencé. Tout allait bien à bord. Le stress montait et serait présent tout au long. Fred n’a pas apprécié la vue du ciel bleu clair. Le magnifique cap de Bonne-Espérance montrait les limites extrêmes du continent entre les deux océans. La lumière du soleil, de plus en plus brillante, a irradié l’intérieur de l’Écureuil. Son masque à oxygène donnait peu à peu l’air vital au pilote. La turbine et le rotor fonctionnaient correctement. Les 8000 mètres étaient presque atteints. A cette altitude, les risques physiques devenaient réels. En fait, ce serait vraiment risqué s’il ne portait pas sa veste de compression du thorax, car l’air dans ses poumons sans pression extérieure pourrait le tuer. En disant cela, quelque chose commença à le déranger. De plus en plus il remontait vers le grand bleu, le pilote sentait sa veste souffler anormalement. Il a commencé à avoir du mal à respirer. Un rapide coup de fil à la radio aux techniciens au sol a confirmé son intuition. La pression du détendeur ne fonctionnait pas correctement. S’il n’agissait pas rapidement, Fred pourrait s’étouffer. Le problème était localisé : sa sangle de parachute, serrée sur son épaule, a fracassé la valve. De la main gauche, Fred parvint à passer ses doigts dans sa combinaison, et in extremis, à dégonfler la veste de folie. Après quelques minutes anxieuses, le pilote respirait à nouveau normalement. Il l’avait fait.

"Ce gars est fou"
Ce test indésirable n’a pas diminué sa force mentale. La confiance lui revenait. Mais il avait encore besoin d’aller plus loin. L’atmosphère, dans la cabine, était irréelle. La distance entre le sol et Fred grandissait. Stupéfiant. 38 500 pieds. Sur la fréquence radio, une voix humaine perce le froid silence. « Qu’est-ce que c’est ? » a interrogé le pilote de Boeing 747 de South African Airways, volant dans la région. Sur son radar, un écho inhabituel. « C’est juste un Français qui tente de battre le record du monde en hélicoptère. Ne vous inquiétez pas… » a répondu le contrôleur aérien du Cap. « Est-il fou ? » hurla le pilote du Boeing. Fred n’a pas manqué un mot. Et s’il avait raison ? Le comique de la situation n’a pas supprimé tous les efforts déployés au cours de ces derniers mois. Non Fred n’était pas fou. Ou juste assez pour dépasser les limites. Mais le pilote n’y a pas pensé. Il avait d’autres priorités !
Comme ils le pensaient, plus il montait haut, plus l’Écureuil ralentissait. La puissance du moteur était quatre fois moindre dans cette atmosphère qu’à une altitude inférieure. Il fallait continuer à capter les courants ascendants, la fameuse pompe. Les minutes s’étirent petit à petit. La pression psychologique était élevée. Plus haut, plus haut et plus haut… Les ondes vibrantes que le rotor produisait étaient inhabituelles. Mécaniquement, le moteur est arrivé à son plus haut niveau de performance. L’hélicoptère montait et descendait et montait encore. Fred s’est battu avec les molécules stratosphériques.
Cela faisait une heure et demie qu’il était dans les airs. Les limites avaient été atteintes. Il était temps de descendre maintenant. L’expérience précédente de Jean Boulet partagée, Fred a diminué lentement le pas collectif pour éviter une extinction de flamme et une panne moteur. Tout était bien. L’hélicoptère descendait lentement. Une pression plus franche sur le pas collectif et… la turbine s’est arrêtée. Ils y ont pensé. En autorotation, l’Écureuil a gardé le cap. Le pilote s’est souvenu du meilleur moment pour redémarrer le moteur. A 12 000 pieds, la turbine peut être réactivée et le moteur peut continuer normalement. Fred North est revenu au point de départ, heureux mais épuisé. « Je ne le ferai plus jamais ! ».
Comme un message du cœur, comme une confession, ces mots nous racontent une histoire. L’histoire d’un homme qui a tenu ses engagements, qui a dépassé ses propres limites de résistance, les vieux démons, les 12 954 mètres, quelque part insondable. Source : fred-north.com

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