Au cours de ma carrière, j’ai découvert dans les années soixante-dix que l’Alouette III de la Base de Nice n’était pas systématiquement médicalisée.
J’avais terriblement envie de faire un tour de manège dans cet engin mais aussi et surtout j’en ai entrevu les potentialités pour les secours.
Avec une dizaine de médecins sapeurs-pompiers, nous avions décidés de médicaliser cet hélicoptère encouragé par le colonel Durand, nouveau chef de Base et par mon ami Francis Riéra, son adjoint.
Guy Durand venait de Corse où le Dragon était médicalisé par le SAMU.
Francis s’est illustré dans le massif du Mont-Blanc en effectuant les premiers secours en se posant au sommet avec l’Alouette III. Lisez "Les compagnons de l’Alouette" de Jean-Louis Lumpert aux Editions Arthaud.
J’ai donc eu le grand honneur d’inaugurer cette première garde hélicoptère le premier janvier 1981 à la Base Sécurité civile de Nice.
Équipage Guy Durand (chef de base) / René Montini (chef mécano)
Il faisait très chaud ce premier janvier, vingt-cinq degrés environ sur l’aéroport de Nice-Côte d’Azur. C’était ma première garde, j’étais très fier. Le matériel avait été vérifié et revérifié. Je stressais quand même un peu.
Pas de mission. Nous étions en tee shirt et le temps s’écoulait trop lentement sur le tarmac.
Nous sommes allés manger dans les locaux de la CRS 6 à Saint-Laurent. Pour un vieux soixante-huitard comme moi, aller chez les CRS c’était entrer chez le diable. En fait, c’est une caserne de montagnards très affûtés, particulièrement sympathiques et même parfois bien "déconneurs".
J’ai su qu’un d’entre eux, guide de haute montagne, était parti au Népal à la retraite. Il y travaille pour encadrer des touristes montagnards. Il y cultiverait volontiers certaines plantes qui se fument et qui font voir le monde d’une autre façon.
Tout à coup la sonnerie d’alerte retentit. Secours sur la station de ski de la Foux d’Allos pour traumatisme lombaire. Je m’équipe « montagne » malgré le très beau temps.
Nous décollons dans un ciel d’azur, arrivé sur Saint-André-les-Alpes après le lac de Castillon, vallée du Verdon, le ciel s’obscurci progressivement. De lourds nuages gris viennent vers nous, le pilote tente de passer par en dessous. C’est un nuage de neige.
Après Colmar, il neige à gros flocons. Au-dessus du village d’Allos, nous progressons en crabe, les essuie-glaces fonctionnent à fond. Nous sommes à vingt mètres du sol. L’ambiance dans la machine est tendue surtout avec le pilote qui pense à haute voix.
Nous nous traînons péniblement jusqu’au bas de la station de la Foux d’Allos, un parking, de la place entre les voiture, il fait presque nuit.
« Guy, une place là sur le parking ! ».
Le pilote pose l’appareil ; il stoppe rapidement le rotor. Nous recouvrons l’entrée de la turbine avec une bâche. Il fait froid et il neige..., mais il neige ! Nous nous réfugions dans la cabine du perchman.
En dix minutes, les pales sont recouvertes d’une épaisse couche.
Quelques minutes après arrive un VSAB avec une femme de quarante ans environ, coquillée : traumatisme lombaire sans signe neurologique suite à une bonne chute à ski.
Finalement la neige se calme un peu, nous chargeons la malade dans l’hélicoptère. Le médecin de la station lui a injecté un calmant pour la douleur.
René Montini, le mécanicien du Dragon 06, nettoie les pales avec un morceau de carton. Puis le pilote met en marche ;
le rotor tourne de plus en plus vite. Il ne neige plus, nous décollons dans un grand nuage tout blanc.
Le soleil perce. Nous descendons vers Allos, puis Colmar. Devant nous le gros nuage descend lentement la vallée en repeignant tout en blanc comme un peintre magique. Guy ralentit l’hélicoptère et suit sagement sans tenter de le traverser. Avant Colmar, il tourne à gauche et monte. Nous passons le Col des Champs et nous retrouvons au-dessus de Guillaumes, vallée du Var, direction le mont Vial puis posé à l’aéroport de Nice vingt minutes plus tard.
Nous laissons la malade à un VSAB et nous nous retrouvons tout étourdi sous le soleil radieux.
Durée du trajet en hélicoptère : trente minutes. L’Alouette III vole entre cent cinquante et cent quatre-vingt kilomètres à l’heure, les nouveaux appareils du type EC-145 et Agusta volent respectivement à deux cent cinquante et trois cent kilomètres à l’heure.
Par la route enneigée, il aurait fallu plus de trois heures pour aller de la Foux d’Allos à l’hôpital Saint-Roch à Nice.
Première garde hélico, première expérience de dépaysement rapide et assez déstabilisant.
J’étais conquis mais tout étourdi. Je le suis resté.
Rodolphe BRUNN