Les cascades aériennes de "Fast & Furious 9" sont à devenir pâle

dimanche 11 juillet 2021

À Hollywood, les réalisateurs se l’arrachent. Réputé pour être l’un des meilleurs pilotes d’hélicoptère du milieu, Fred North a filmé le 9e volet de la saga. Interview.
Quand un blockbuster a besoin d’un as du pilotage pour filmer une séquence délicate en hélicoptère, nécessitant doigté et précision, c’est lui qu’on appelle : Fred North. Frédéric, de son vrai nom. Car le gaillard – 60 ans cette année – est Français. En un peu plus d’une vingtaine d’années, il a tourné les séquences aériennes de plus de 150 films, de « RRRrrrr !!! » à « Star Wars – L’ascension de Skywalker », en passant par « Spectre », « Mission : Impossible – Rogue Nation » ou encore « Les gardiens de la galaxie ». Et surtout, les 6 derniers « Fast & Furious » (dont le 9e volet sort ce mercredi) où il s’éclate à filmer les poursuites de voitures les plus folles, sa spécialité. Depuis 2002, il détient même le record du monde d’altitude de vol en hélicoptère.

Il vient de finir le nouveau Michael Bay, « Ambulance », – « il me fait faire des choses dingues, nous glisse-t-il en préambule. J’adore ça ! – et on l’a attrapé juste avant qu’il ne parte en Italie tourner pour Disney l’adaptation live de « La petite sirène ». En hélico, Simone !

Comment êtes-vous arrivé dans ce milieu très particulier ?
Tout a commencé à l’armée. J’étais à Chamonix, aux chasseurs alpins, et un jour, on faisait des exercices de sauvetage en montagne. J’avais un hélicoptère au-dessus de moi alors que je crapahutais au sol et je me suis dit que c’était là que je devrais être : dans les airs. Et aussitôt fini l’armée, j’ai fait mon stage de pilote. Au début, je volais avec une vraie poubelle et je donnais des baptêmes de l’air dans l’ouest de la France, en passant d’un petit village à l’autre. J’ai ensuite fait des vols VIP à l’héliport de Paris, puis des sauvetages en montagne dans les Alpes-Maritimes. Là, j’ai vraiment appris plein de choses. Je me suis alors lancé dans les prises de vues aériennes pour la télévision, où je filmais des courses de voiles, de moto, le Paris-Dakar… Mais je me suis vite senti frustré du côté créatif. Je voulais vraiment pouvoir apporter ma patte.

Ce que vous avez pu faire au cinéma ?
Maintenant oui, j’ai carte blanche totale. Vous savez, parfois, les réalisateurs ont du mal à expliquer ce qu’ils veulent. Même les plus grands. Michael Bay, le premier, avec qui j’ai beaucoup travaillé. Lui, il ne te dit presque rien. Du genre : « Fred, cette scène, c’est le début de mon film. Donc ne la foire pas ! Fais ton truc… ». Là, si tu n’as pas potassé avant, tu es foutu. Parce qu’une scène, ça se prépare ! Avant un tournage, si je n’ai encore jamais travaillé avec le metteur en scène, je regarde ses 2 ou 3 films précédents pour voir comment il bouge la caméra, quelles focales il utilise… Puis je demande au directeur de la photo ce dont il a besoin en termes de lumière, je discute avec le décorateur pour voir de quelle façon je peux mettre en valeur son travail, et enfin je planifie la scène avec mon caméraman. Après, avec le réalisateur, j’ai juste besoin de savoir quelle émotion il veut faire passer.

Vous avez un exemple d’un plan dont vous êtes particulièrement fier ?
Oui, dans « 6 Underground », justement pour Michael Bay. On tournait une course-poursuite dans les rues de Florence et à un moment, tu as un gars attaché sur un des balcons du Duomo, à 110 m de haut, qui regarde les voitures passer en bas. Et Michael voulait un plan où on le voyait les observer. Il me dit : « Ça doit être rapide mais je ne veux pas que tu filmes le gars par-derrière ». Et il part (il rit). Typique…

Les rues de Florence sont très étroites, avec des immeubles qui montent assez haut, donc il fallait vraiment être à la verticale de la rue pour voir les voitures. J’aurais pu bêtement les suivre, droit au-dessus, et faire panoter ma caméra vers le haut pour filmer le gars perché en arrivant près de lui, mais ce mouvement aurait été trop lent et inutilisable au montage. Ce que j’ai fait, c’est que j’ai suivi les voitures à fond la caisse, au raz des toits, en leur laissant un peu d’avance, et en penchant l’hélicoptère vers l’avant, la caméra filmant droit devant. Et au dernier moment, quand les voitures arrivent au pied du Duomo, j’ai brusquement relevé l’hélico pour le mettre presque à la verticale et monter vers le mec à 160 km/h. Et là, l’effet est total. Je me rappelle qu’en visionnant le plan, Michael ne m’a rien dit… et j’ai su qu’il était content (il rit). Quand il a ce qu’il veut, il ne dit rien. Dans le cas contraire, par contre, tu l’entends à des kilomètres…

Vous tournez votre premier film avec Claude Lelouch, « Hommes, femmes, mode d’emploi », en 1996. Quels souvenirs gardez-vous de vos débuts ?
Lelouch, c’est tout l’opposé de Michael : quelqu’un d’extrêmement précis dans ce qu’il veut. À l’époque, j’avais acheté du matériel pro que je louais sur un site internet. Et dans le package, gratuit, il y avait le pilote : moi. Ça a été un peu galère pendant 5 ans mais petit à petit je me suis fait un nom et les productions se sont alors mises à m’appeler pour un vrai travail de coordinateur aérien. Et 5 ans plus tard, j’étais reconnu au niveau mondial.

En quoi consiste précisément votre travail ?
Le job le plus important, c’est coordinateur aérien, celui qui pilote l’hélico-caméra : ma spécialité. C’est là où je vous expliquais avoir une liberté totale, notamment de pouvoir apporter des idées par rapport au storyboard. Après, pour des séquences complexes, il m’arrive de piloter l’hélico-jeu, celui qui est filmé. Comme pour le dernier « Bad Boys », dans la scène où un hélico, à 50 cm du sol, file à contresens sur l’autoroute, de nuit, avec les voitures qui s’écartent au dernier moment devant lui.

Mais le métier comprend aussi des choses moins passionnantes : les plans pour effets visuels, destinés à incruster des acteurs filmés sur fond vert ou des maquettes. Tous les films de super-héros en ont besoin. C’est en général un arrière-plan basique mais j’essaie quand même de leur apporter une certaine richesse dans la lumière ou la composition. Et puis je ne suis pas seul. J’ai ma petite équipe : mon caméraman, même deux parfois – des pointures –, et mon Ground Pilot, qui veille à assurer la sécurité avec les obstacles, à terre, quand on tourne près du sol.

Vous parliez de pouvoir faire des propositions… Qu’avez-vous apporté sur le tournage de « Fast & Furious 9 » ?
C’est constant et parfois pour de petits détails. Il faut imaginer que les séquences d’action sont conçues souvent un an avant, dans un bureau, à Los Angeles… Alors quand tu arrives en Thaïlande, où on est resté un mois pour tourner la scène d’ouverture de « Fast & Furious 9 », forcément tout ne marche pas comme prévu. Là, ils avaient choisi une route, près de l’océan, et imaginé une certaine façon d’amener les voitures dans le plan et ça ne marchait pas. Donc j’ai dû improviser. Mais parfois ils ne s’en aperçoivent même pas. C’est pour ça qu’il est important, avant tout, de comprendre ce que le metteur en scène veut. Et pouvoir le lui donner d’une autre façon, s’il le faut.

Quel est le secret d’un bon pilote pour le cinéma ?
Il y a d’abord l’aspect caméra : il faut avoir l’œil, ça ne s’apprend pas. Quand j’arrive quelque part, je sais immédiatement comment tourner le plan. Après, pour le pilotage, il faut accumuler les heures de vol pour être à même de prendre les bonnes décisions. De vie ou de mort, j’entends. Tu dois savoir si ce que tu prévois est sûr ou pas. Sûr pour toi, ton équipe et les gens au sol. Et pour ça, tu dois fusionner avec ta machine. Moi, quand je pilote, l’hélico n’existe plus. C’est comme si je me retrouvais à flotter dans l’air avec une caméra. La machine ne doit plus être un obstacle entre toi et ton outil. C’est pour ça que je ne vole en général qu’avec un seul type d’hélicoptère, un Airbus H125. Les réalisateurs vont toujours te demander de faire des plans tordus et il faut que tu connaisses ton appareil par cœur.

De combien de temps avez-vous disposé pour préparer les séquences de « Fast & Furious 9 » ?
J’ai principalement travaillé sur deux grosses scènes, l’ouverture et la finale, et on a commencé 4 mois à l’avance. Mais suivant la complexité, ça peut varier de 2 à 6 mois.

Laquelle des deux a été la plus délicate à tourner ?
La seconde. On était en Géorgie, à Tbilissi, et la ville est remplie de câbles électriques qui passent d’un immeuble à l’autre. Ils traversent les rues dans un désordre complet. Non seulement ils ne sont pas répertoriés mais ils sont aussi tellement fins qu’ils sont impossibles à voir. Et comme le réalisateur voulait que je filme les voitures à 1 m du sol, en passant sous les câbles, entre les immeubles, c’était hypertendu. Alors on fait des repérages, on en enlève ou déplace des dizaines, on marque les autres sur une carte, on installe des spotters – des mecs avec des blousons orange de travaux en dessous des plus dangereux… Voler sous les câbles, ça ne me dérange pas. Il faut juste que le chemin soit dégagé. Or là, il fallait tout à coup, dévier à droite pour en éviter un, puis à gauche, et très vite ça devient un labyrinthe. Avec des camions qui explosent et des voitures qui filent à toute allure devant vous. En plus, l’aviation civile m’avait imposé un autre hélicoptère, plus lourd et moins puissant… Pour que je fasse un bon plan, je dois être concentré à 90% sur la caméra et 10% sur l’hélico. Là, j’étais obligé de me focaliser à 70% sur les fils électriques. Du coup, les plans ne sont pas aussi bons que d’habitude.

Et si vous heurtez un câble, c’est le crash ?
Tout dépend comment tu le tapes… Si tu vois que tu vas heurter un câble, il faut tout de suite incliner l’appareil d’un certain côté, suivant les sens de rotation des pales. Ainsi, elles vont le couper comme un ciseau. Sauf que si tu penches ton hélico, tu tournes. Là, entre les immeubles, je n’avais pas cette marge de manœuvre. Donc si je tapais en dessous du rotor, le câble pouvait toucher le moteur et c’est le crash, oui. Même chose si le câble s’accroche au patin. S’il ne casse pas, il te met l’hélico à l’envers…

Le danger, vous y pensez ?
Non, car je m’arrête avant que ce soit dangereux. Quand on fait nos prises de vues, tout doit être sûr à 100%. Je me souviens du tournage de « Rampage », où il y avait un vent de dingue. Je dis à la production qu’il faut arrêter mais on me rétorque que ça va coûter un million de dollars la journée d’interruption. Je leur ai lancé « Je sais que la sécurité est chère, mais essayez un accident, vous allez voir ce que ça vous coûte… », et j’ai coupé les moteurs. Par contre, une certaine pression, oui, parfois. Quand il y a une explosion en jeu par exemple. Je n’ai pas envie de me prendre des flammes ou des débris. Après, le risque zéro n’existe pas. Il m’est arrivé de devoir me poser en urgence, pour une panne moteur ou de transmission, mais toujours sans encombre. J’ai aussi raboté un arbre ici et là. Et touché un câble électrique en Égypte, qui s’est heureusement rompu. Je n’ai jamais crashé mon appareil. Source : lematin.ch

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