Accident d’hélicoptère au mont Blanc : 1961, il faut sauver les gendarmes

dimanche 20 décembre 2020

Chaque dimanche, le Dauphiné Libéré vous fait revivre un évènement du passé. Aujourd’hui, retour en décembre 1961, quand un accident démontra une fois de plus la frontière ténue entre un sauvetage ou un drame...
Quand ils apparaissent dans le ciel, c’est un soulagement. Un hélicoptère de secouristes qui survole la montagne, cela rassure, sans que l’on réfléchisse trop aux risques pris par les hommes à bord.

Pour s’en souvenir, il faut qu’un accident survienne. Et du Sikorsky détruit lors du sauvetage désespéré de Vincendon et Henry, au récent crash du SAF près d’Albertville, la liste est longue.

Alors à chaque alerte, le monde de la montagne oscille entre espoir et crainte du pire, tant il sait qu’entre les deux la ligne est ténue.
Exemple de cette fragilité des choses en décembre 1961 au mont Blanc.

« Un nouveau drame se joue ce soir sur le mont Blanc »… En ce 12 décembre 1961, comment dire les choses autrement ?
Alouette 2 F-MJAW sur le dôme du Goûter, le 12 décembre 1961 - Photo DLLa journée s’achève, le journaliste du Dauphiné Libéré doit rendre son papier qui paraîtra dans le journal du lendemain. Au pied du mont Blanc, il doit faire le récit, une fois de plus, d’un accident.
Habituellement, pour rendre compte d’un fait divers, il se renseigne auprès des secouristes. Mais là, ce sont deux de ces hommes qui justement sont en danger.

Avec leur hélicoptère de la gendarmerie, le capitaine Didier Potelle et l’adjudant Szczepanski ont sauvé des dizaines de vies lors de missions précédentes. Cette fois, ce sont eux les naufragés coincés au dôme du Goûter.

Leur Alouette II s’est crashée à 4300 m. Va-t-on les récupérer sains et saufs ? Tout le monde sait que le moindre détail peut faire pencher la balance du côté de la tragédie ou du miracle.

Ce 12 décembre en début d’après-midi, les deux hommes ont décollé de Chamonix pour une opération d’aire d’atterrissage en haute montagne. A bord de leur Alouette II, direction le mont Blanc.
Mais à 14h30, alors qu’ils ont atteint le dôme du Goûter, c’est l’accident : leur appareil se crashe.

Bonne nouvelle, les deux hommes ne sont pas grièvement blessés. Mais ils sont seuls en altitude, sans possibilité de redescendre.
"Posé dur" pour l'Alouette 2 F-MJAW Gendarmerie au dôme du Goûter, le 12 décembre 1961 - Photo DR Le progrèsAu bout de 20 minutes ils arrivent à donner l’alerte par radio. Avec le jeu des fréquences, c’est l’aéroport de Genève-Cointroin qui intercepte leur appel et transmet aussitôt l’information à Chamonix.

Brouillard et vent, la montagne décide
Au peloton de gendarmerie de haute montagne, c’est aussitôt branle-bas de combat. Une autre Alouette est préparée et l’on décolle pour voler au secours des collègues.

Mais que ce soit des secouristes ou non, la montagne décide. Et à peine l’Alouette dans les airs, il faut se rendre à l’évidence : le brouillard et le vent ont envahi le paysage. Impossible de repérer les naufragés, et qui plus est de les aider.
D’un coup l’optimisme cède la place à l’inquiétude.
D’un accident avec deux personnes indemnes à aller récupérer, on passe à deux victimes coincées seules à 4300 m alors que la nuit va bientôt tomber…

Mais ce sont des gendarmes robustes.
Et puis il y a l’abri Vallot qui porte si bien son nom. S’ils l’atteignent, l’espoir est permis. Le refuge Vallot enneigé à 4362 m d'altitude - Photo DLDans cet observatoire, ils seront protégés du froid et du vent. Sans parler du ravitaillement qui est stocké en permanence.

Vu leur position, il leur faut en théorie une heure pour l’atteindre. Sauf qu’il a beaucoup neigé les jours précédents. Chaque pas va être une lutte.
En tenue de vol, ils sont bien chaussés se répète-t-on en boucle à voix basse. Mais après le choc de l’accident, l’épreuve s’annonce rude.

La vallée se prépare...
Alors en bas dans la vallée, même s’il faut attendre, on se prépare le mieux possible. Une deuxième Alouette est mobilisée ainsi qu’un appareil Sikorsky.
La nuit tombée, il n’est pas question de les faire décoller. Mais au moins, ils seront prêts dès l’aube. Et si la pluie veut bien cesser de tomber et le ciel se dégager, alors peut-être pourra-t-on intervenir.

Dans les Alpes commence alors une nuit d’angoisse. Une angoisse partagée par tout le pays ? Pas vraiment. Cette fois, le sort des gendarmes n’est guère évoqué dans les bulletins radio et le journal télévisé. Marie Besnard a été acquittée, Adolf Eichmann condamné : l’actualité est trop riche pour regarder vers les sommets.

Alouette 2 F-MJAW Gendarmerie après le "posé dur" au dôme du Goûter, le 12 décembre 1961 - Photo DLMais au petit matin, bonne nouvelle. Le ciel s’est dégagé et l’on va pouvoir intervenir.

A 8 heures, une des Alouette décolle. L’appareil accidenté est repéré. Mais la priorité est de survoler l’abri Vallot.
Pas de trace humaine au dehors, mais au bruit de l’hélicoptère, on voit bientôt deux formes sortir du refuge. Le capitaine Potelle et l’adjudant Szczepanski ont donc bien réussi à l’atteindre et, sains et saufs, ils font des grands gestes pour qu’on les repère.

Va-t-on échouer si près du but ?
Les repérer, c’est fait, annoncer la bonne nouvelle par radio aussi. Reste à aller les récupérer.
Impossible de le faire du premier coup. Alors on leur jette d’abord un paquet contenant des vêtements chauds et des bouteilles thermos.
Le chef Jean Ladhuie tente ensuite plusieurs fois de se poser. Mais le vent violent qui souffle sur les sommets l’en empêche.
Va-t-on échouer si près du but ?

A Chamonix, on décide de mobiliser un deuxième pilote. Christian Ross est un civil, mais aux commandes d’un autre appareil, plus puissant, il aura peut-être plus de chance. Avec à ses côtés le guide Romand, de l’école de haute montagne, il décolle à son tour.

L’appareil atteint l’abri Vallot, se fait ballotter par les rafales de vent, Alouette 2 F-MJAW Gendarmerie après le "posé dur" au dôme du Goûter, le 12 décembre 1961 - Photo DLtente plusieurs fois de se poser… et fini par réussir.
Romand restera sur place pour aider à la suite des opérations. Mais déjà Ross redécolle avec à son bord l’adjudant Szczepanski que l’on redescend en premier.
A 9h50, il est de retour à Chamonix, et les sourires illuminent les visages, au moins pour quelques minutes. Car tout le monde le sait, la partie n’est pas encore gagnée.

Sauvetage réussi ?
A 10h10 Ladhuie repart vers le mont Blanc à son tour. Lui aussi réussi à se poser et quelques minutes plus tard c’est le soulagement : il ramène le capitaine Potelle.
Encore un dernier vol pour aller chercher le guide Romand, et le sauvetage est une réussite complète. Les avions de reconnaissances et le Nord-Atlas de l’armée de l’air qui étaient arrivés pour prêter main-forte peuvent regagner leurs bases.

A quoi voit-on que les secouristes sont solides ? A leur réaction à leur retour. Les deux hommes se sont faits une belle frayeur, ont passé une nuit glaciale, mais Potelle n’a qu’une inquiétude : comment récupérer l’hélicoptère accidenté.
Ce n’est pas lui qui s’en chargera, au repos le capitaine ! Mais pas avant d’avoir raconté ce qui s’est passé.

« Nous avons été piégés sur les pentes du dôme par une rafale de vent qui nous a plaqué au sol » raconte-t-il. « Nous nous sommes cramponnés aux commandes mais il nous était impossible de redresser.  » L’appareil à l’arrêt, «  par bonheur la radio était intacte et nous avons pu lancer notre appel de détresse » ajoute-t-il. « Cela nous a remis le moral au beau fixe parce que nous savions que les copains ne nous laisseraient pas tomber ».

"Nous avons dansé la gigue"...
Pendant une heure les deux hommes ont essayé de faire redécoller leur hélicoptère. Mais impossible d’y parvenir. Alors ils ont pris la direction de l’abri Vallot. Preuve de leur bonne forme physique, Didier Potelle en décembre 1961 - Photo DLils ont mis 1h15 pour l’atteindre. Preuve aussi de leur sang-froid, ils ont réussi à rester calme, même quand les nappes de brumes les ont entourées. « C’est durant ce trajet que nous avons eu peur » reconnaît le capitaine. « Les nappes de brume au col du Dôme, cela peut devenir catastrophique ».

Une fois à l’abri Vallot certes leur situation était meilleure. Mais pas excellente non plus. Comment ont-ils lutté contre le froid ? « Nous avons dansé la gigue, face ce froid il ne fallait pas penser dormir. » Les deux hommes ont aussi scruté le ciel et quand ils ont vu que le temps se dégageait, leur espoir a grandi un peu plus.

Après, ils ont vu les secours, ont été redescendus, fin de l’histoire. Conclusion du capitaine : « Permettez maintenant que j’appelle Versailles pour rassurer mon épouse qui a dû se faire bien du souci ! »
On permet, on permet…

Mais pour les autres, ce secours n’est pas fini.

A priori l’appareil n’est pas trop endommagé et pourrait redécoller. Faut-il prendre le risque de le récupérer ? A 13 heures, on décide que oui.

Le réchauffeur à turbine - Photo DLAvec du matériel et notamment un « appareil réchauffeur », Ladhuie retourne au dôme, emmenant notamment avec lui un mécanicien. Objectif : examiner de près l’hélicoptère accidenté.

L’hélicoptère justement, a sa turbine bloquée dans la neige. On réchauffe, on patiente, on fait un peu de mécanique (ce qui est toujours une partie de plaisir à 4300 m…) et on touche au but !

Ladhuie se met donc aux commandes de l’appareil "réparé" et tente de le redescendre. Facile ? Evidemment pas.
Une nouvelle fois, les faits vont démontrer qu’entre un drame et un secours réussi il n’y a qu’une très mince frontière...

Non seulement la turbine était restée dans la neige mais le reste de l’hélicoptère a aussi subi des dommages.
Ainsi la plupart des instruments de contrôle qui ont gelé ne fonctionnent pas. Et alors qu’il vole à 3200 m d’altitude, Ladhuie constate tout à coup... que la turbine s’arrête.

article Alouette 2 F-MJAW Potelle, 13 décembre 1961 - Document DLLe sang-froid du pilote est total : il réussit à la remettre en marche. Bientôt Chamonix est sous ses yeux. Le pilote vise la patinoire… et la turbine s’arrête à nouveau. Plus question de patinoire, il faut se poser tout de suite, comme il peut. Non loin du quartier de la gare, il y a un pré sous l’appareil. Il fera l’affaire.

Au sol, les dizaines de personnes réunies au QG de la patinoire voient alors l’hélicoptère descendre en faisant d’étranges mouvements. Et alors qu’il dégage un panache de fumée noire, et que des fils électriques l’entourent de partout, il se pose finalement sur un terrain du quartier des Mouilles.

L'Alouette 2 F-MJAW Gendarmerie endommagée de retour à Chamonix (sur un terrain du quartier des Mouilles), le 13 décembre 1961 - Photo DLLe patin gauche s’est brisé, l’appareil s’est penché au point que les pales frôlent le sol, mais ça y est, il a atterri.
Les pompiers se précipitent mais pas de drame. Ladhuie s’extraie et cette fois c’est bon, on peut le dire : opération réussie !

Entre un drame et un secours réussi il n’y a qu’une très mince frontière.
Cette fois-là, la balance pencha du bon côté. Source : ledauphine.com

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