CHAMONIX : Avec les sauveteurs de l’extrême !

jeudi 22 février 2018

Paris Match N°3589 - Article à l’occasion des 60 ans du PGHM
Ils ont le pouvoir de rendre la montagne humaine. Aujourd’hui, les quarante-quatre hommes du peloton de gendarmerie de haute montagne de Chamonix (74) fêtent un anniversaire et toutes les vies...

Depuis 60 ans, les hommes du PGHM descendent du ciel pour sauver des vies. Nos reporters ont vécu une semaine avec ces héros.

Une poignée d’anciens s’est déplacée pour la photo de Match. Citons les trois plus âgés. Joseph, 93 ans, est devenu membre du PGHM (peloton de gendarmerie de haute montagne) de Chamonix en 1958, l’année de sa création, Gilbert, 81 ans, en 1968, et Henry, 72 ans, en 1971. Ils ont connu l’époque où l’Alouette II, équipée d’une corde de seulement 25 mètres, se posait sur la patinoire. Puis la DZ (« drop zone ») des Bois, sur les hauteurs du village. C’était un minuscule chalet avec un canapé. A côté, une cabane pour le matériel : skis en bois, chaussures à lacets… Les « barquettes », traîneaux ou civières, pesaient le poids d’un âne mort. Année après année, ces pionniers ont imaginé des prototypes de plus en plus performants, qui virent le jour grâce aux entreprises de la région. L’Alouette volait peu, jamais la nuit. La moitié des secours s’organisait en « caravane terrestre », sans médecin.

Ce 30 janvier, le Choucas, l’hélicoptère qui effectue 90 % des opérations, a décollé six fois avec les secouristes Thomas et Vincent. Trois genoux déboîtés, deux épaules démises, un bras cassé. Ça pourrait être la routine, ça ne l’est jamais. Déposés sur des pans de montagne peu engageants, ils restent, comme les médecins, concentrés sur chacun de leurs pas. Au-dessus d’eux, les pilotes exploitent la machine aux limites de ses capacités. Les rotors frôlent arbres et parois. Le capitaine Philippe Sebah, 49 ans, 6 000 heures de vol, commandant de la section aérienne de Chamonix, et le lieutenant Jeff Martin, 46 ans, 5 000 heures de vol, ex-pilote de combat sur Gazelle, connaissent le coin par cœur.

Ils savent comment négocier le sommet des couloirs pour éviter les masses d’air. Mais manquent de visibilité sous certains angles, et ne voient carrément rien de ce qui se passe derrière l’appareil. Leurs mécano-treuillistes, Nicolas et Laurent, sont leurs yeux. Le 31 janvier, l’un d’eux guide ainsi le pilote en approche sur le Grand Plateau, face nord du mont Blanc, où un skieur a chuté de 30 mètres : « Treuil armé. Interface au crochet. Tension. A 3 heures pour 20 mètres. A 4 heures pour 10 mètres. Un mètre arrière. Top vertical. J’ouvre la porte. » Descendus de l’hélico, les secouristes Rémy et Romain remontent le blessé, qui souffre des vertèbres. Direction l’hôpital de Sallanches. Depuis le décollage de la DZ, l’opération aura duré 28 minutes.

Mecque du ski hors piste, ce milieu glaciaire époustouflant de beauté peut se révéler infernal : 40 à 50 victimes chaque année ; dans le couloir du Goûter, surnommé couloir de la Mort, 11 disparus en 2017. Dans cet univers sauvage, rien n’est interdit. Seuls sont déconseillés quelques versants, au regard d’une météo mauvaise ou de risques d’avalanche. La vallée Blanche, 22 kilomètres, cinq ou six itinéraires qu’on atteint par l’aiguille du Midi (3 842 mètres), est en perpétuel mouvement. Son manteau neigeux est un piège. On skie sur du gruyère, au-dessus de 40 mètres de vide. Un pont de neige a cédé lors d’un « secours crevasse » en 2013, entraînant la mort d’un secouriste.

On est des montagnards. C’est cela qui nous lie "
Jusqu’où l’engagement de ces hommes et de ces femmes peut-il aller ? « Cela ne s’enseigne pas, explique le lieutenant-colonel Frédéric Bozon, patron de cette unité d’élite. Nous en débattons tout le temps. L’unique limite, c’est la limite humaine. Mais lorsqu’on sait que des vies sont en jeu, on va tout donner, même la nôtre. » Au sein d’une équipe qui part sur une opération périlleuse, l’acceptation du risque n’est pas toujours la même. A tous les stades, en progressant, les décisions sont prises collectivement et peuvent évoluer. « Pour nous, c’est naturel, rapide  », dit le Dr Fred Champy, chef du pôle urgences et médecin au PGHM depuis 2005. « Si le pilote dit non, si un secouriste dit non, alors on fait demi-tour. »

Le 1er février, il neige par intermittence. « Entre deux giboulées, ça pourrait voler ! » estime Jeff, le pilote. Aujourd’hui, la météo varie d’un sommet à l’autre. Il réfléchit à décoller pour secourir un Américain qui a chuté de 50 mètres. Deux pisteurs, témoins de son dévissage, l’entourent. Ils parlent au téléphone avec le médecin qui, sur la DZ, attend la décision de Jeff en compagnie des secouristes Fabrice et Mathieu. L’Américain respire bien, sa tension est bonne, son pouls OK, mais son épaule le fait souffrir. Dans son état, impossible de bouger. Les pisteurs décrivent le ciel, pour Jeff. Dégagé. « C’est bon ici pour décoller et bon là-bas pour atterrir. On tente », décide-t-il. Au même moment, en bas du hors-piste des Grands Montets, une autre luxation d’épaule. Une seconde équipe part en 4 x 4. Puis c’est un fémur fracturé au mont d’Arbois, où un snowboardeur de 22 ans a percuté un arbre. Il neige dans tous ces coins, mais l’hélico récupérera tout le monde. Ce jour-là, le Choucas a volé vraiment très bas. « Ça allait, relativise Jeff. J’avais entre 300 et 500 mètres de visibilité. »

« On est des montagnards. C’est cela qui nous lie  », répètent tous les secouristes. Parmi eux, deux médaillés de l’alpinisme : Jean-François Mercier, 47 ans, et Fabien Dugit, 33 ans, double champion de France d’escalade. Ils ont ouvert ici et là des voies difficiles. Pour eux, le terrain a si peu de secrets qu’ils situent vite l’endroit d’où on les appelle. Ils guident parfois les égarés au téléphone, presque les yeux fermés. Eux aussi alpinistes passionnés, les médecins sont, pour leur part, incollables sur les pathologies et les troubles de haute montagne : œdème cérébral, gelure, hypothermie, anoxie, vertige. Fred Champy a médicalisé des bases polaires, notamment en terre Adélie. Sonia Popoff, depuis deux décennies au PGHM, l’émission « Ushuaïa ». «  Le secours en montagne, c’est le but d’une vie  », considère l’urgentiste François Le Coq, 52 ans.

Lorsqu’ils ne sont pas en service sur la DZ, ils partent en entraînement, couchent dans des refuges, bivouaquent dans des abris creusés dans la neige, arpentent les crevasses. Ils décident des sommets qu’ils vont grimper et des pentes qu’ils dévaleront, jusqu’en Italie ou en Suisse, pays avec lesquels existent des accords de collaboration. Certains week-ends, ils repartent ensemble avec femmes et enfants, et les randonnées s’achèvent par une tartiflette dans un refuge ou un barbecue sur la DZ. Cette proximité leur permet de se connaître parfaitement et de jouer, lors des secours, une partition collective, tel un orchestre.

A chaque retour de mission, ils débriefent par petits groupes, cherchant dans les détails comment améliorer leurs performances. Comme Christophe et Fabrice, en train de tester un système de sangle pour porter les blessés légers – manœuvre souvent éprouvante et délicate –, façon déménageurs de piano. « Les gars ont plein d’idées », se réjouit le lieutenant-colonel Bozon, qui s’invite parfois comme secouriste. « Passionnés, engagés, et du caractère. Parfois, on s’engueule ! » Et même s’ils sont en repos, toute l’équipe est mobilisable en cas de gros coup : avalanche, évacuation d’un téléphérique.

« On est très peu dans le jugement, explique Sonia. Il faut dépersonnaliser les gens qu’on secourt, rescapés ou victimes. »
Vendredi 2 février. Evacuation d’un champion mondial de freeride, face sud-ouest du Mauvais Pas. Un miraculé. Dans sa chute, il a eu la présence d’esprit de s’accrocher au seul arbuste présent sur une interminable pente raide. Sans cela, il serait mort.
Les morts. Le massif du Mont-Blanc conserve encore 140 corps. L’été, quelquefois, la montagne en rend un ou deux. L’an dernier : une main dans un gant, serrant encore son piolet ; un Japonais à l’horizontale, raide dans son igloo de fortune. Les morts, ils en parlent. Entre eux, tout de suite après un drame, pour tenter d’évacuer. Et parfois à un psy. « Sur place, on absorbe ensemble l’événement tragique. Autant le pilote que celui qui met la victime “dans le sac”. Notre crainte, le pire du pire : ramener de là-haut quelqu’un qu’on connaît », raconte François, le médecin.

« Quand une victime gît apparemment sans vie dans un endroit très compliqué d’accès, explique-t-il aussi, on doit s’assurer de sa mort. Cela peut prendre beaucoup de temps pour l’atteindre et vérifier son pouls. » Les drames qu’ils évoquent : cet enfant qui, en attendant les secours, massait le cœur de son père décédé, sans se résigner à arrêter, même à l’arrivée des médecins ; cet ado en speed riding qui loupa son atterrissage au pied d’une piste et mourut devant ses parents venus l’admirer ; ces quatre personnes au dôme du Goûter, surpris par le froid puis la tempête, qu’aucun secours aérien ou terrestre ne pouvait atteindre et qui décédèrent l’une après l’autre.

Depuis le DZ, pendant quinze longues heures, Christophe, maître-chien, rassura au téléphone la plus résistante des quatre, une jeune Bretonne, jusqu’à son dernier souffle. Enfin, ces fêtards alcoolisés qui, régulièrement, la nuit, dévalent de redoutables pentes en luge ou sur un tapis en mousse, inconscients de la vitesse qu’ils vont prendre, et qui s’écrasent contre un poteau en béton. « On est très peu dans le jugement, explique Sonia. Ni pour ce genre de cas extrêmes ni pour ceux qui partent sans guide, sans équipement, sans connaître le terrain ni s’inquiéter de la météo. Il faut dépersonnaliser les gens qu’on secourt, rescapés ou victimes. » (...) Lire la suite sur Paris Match
Article publié dans Paris Match N°3589 - Photo Pascal Rostain
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