Livre : "Madame le Général" par Valérie ANDRÉ

mercredi 24 juin 2009

Cliquez pour feuilleter quelques pages du livre "Madame le Général" par Valérie ANDRE - Photo DRLes souvenirs d’une femme de guerre entrée dans l’histoire française comme première général français, en 1976, médecin, parachutiste, pilote d’hélicoptère qui s’est illustrée en Indochine et en Algérie notamment.
"Madame le Général" par Valérie ANDRÉ -4e de couverture - Photo SIRPA Air

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La jeep et l’hélicoptère
Depuis 1951, Le médecin-capitaine Valérie André, pilote d’hélicoptère, effectue des évacuations sanitaires au Tonkin
[...] Il y a aussi parfois... Me croira-t-on si j’évoque à nouveau, au milieu de cette tuerie journalière, quelques moments privilégiés de contentement ? La mission terminée, le bonheur d’un retour à vide où voler est une détente, une liberté retrouvée, une évasion. Comme de renouer soudain avec un rêve d’enfance.

Tout à coup, ce jour-là, un claquement sec interrompt cette délicieuse sensation d’oubli de tout ce qui n’est pas le vol lui-même. Je me retourne et ne vois rien d’anormal. Inquiète, je surveille les instruments de bord. Soudain, un bruit sourd trouble le ronronnement régulier du moteur et, en quelques secondes, la température de l’huile passe de 90° à 110°. L’aiguille poursuit sa course. Je perçois une odeur de brûlé.

Aussitôt, je coupe les gaz et mets le Hiller en autorotation. Je n’ai qu’une idée en tête : atteindre la route que j’aperçois là, toute droite et blanche entre les rizières inondées. La chaussée est maintenant exactement dans l’axe. Cette étroite piste est flanquée de ravins profonds. Docile, le Hiller se laisse plaquer au sol. Les roues bien calées par des pierres, l’hélicoptère ne bougera plus. De l’avant du moteur sourdent quelques filets de fumée.

À perte de vue, la route est vide, les rizières désertes. L’hélicoptère est tombé en panne à mi-chemin entre deux postes. Si les Viets surviennent, le sort du Hiller ne sera guère plus enviable que le mien. Les croix rouges de l’appareil ne nous protégeront ni l’un ni l’autre. Les rebelles font parfois quartier aux hommes, jamais aux femmes. Passons sur les raisons.

Tandis que je rassemble mes cartes, un véhicule surgit au loin. Sa silhouette ressemble à celle d’un camion militaire. Mes sauveteurs approchent. Non, il s’agit d’un autocar chinois bourré de passagers. Sur le toit sont entassés pêle-mêle voyageurs et colis. La chaussée n’est pas large et l’hélicoptère en occupe la moitié. Bras écartés, je barre le passage libre. Docilement, le conducteur chinois arrête l’autocar, descend, attend que j’aie fini de griffonner quelques mots sur un bout de papier et acquiesce à mes instructions. Je désire qu’il porte ce message au poste le plus proche. Oui, mais à pied. Je ne veux pas qu’il remonte au volant.

De quoi ai-je l’air avec mon chapeau de brousse en bataille, mes lunettes, ma combinaison souillée d’huile, flanquée de mon hélicoptère en panne ? L’apparition doit impressionner ces braves voyageurs qui restent sagement, avec un mélange de patience millénaire et de résignation, à cuire sous le toit de l’autocar ou dessus tandis que leur chauffeur s’éloigne conformément à ma demande. Cheminant seul au milieu de la route, il paraît cocasse. L’immobilité attentive des passagers de l’autocar m’intrigue : me croient-ils armée, redoutent-ils que le Viet-Minh, attiré par l’appât, ne cherche à s’emparer du Hiller et les malmène à leur tour ?

Un quart d’heure se passe. Tout essoufflé, un sergent accourt du poste voisin. Aux jumelles, il m’a vu atterrir. Son lieutenant l’a envoyé à mon secours. Je lui confie un message pour le GATAC. Un second quart d’heure s’écoule. Maintenant, un groupe trotte vers nous. Un sergent vietnamien crie ses ordres. Avant même d’arriver à notre hauteur, ses hommes se dispersent en tirailleurs dans la rizière. Une fois son dispositif en place, le sous-officier m’aborde.

« Capitaine arrive, c’est nous attendre et garder », annonce-t-il.

Tout est bien. Si l’appareil ne peut être dépanné sur place, on le remorquera jusqu’à Phuly, même si le voyage demande des heures.

Une Jeep accourt, soulevant derrière elle un nuage de poussière. Sur un coup de frein, elle s’arrête. Un capitaine et un lieutenant en descendent.

« Aux jumelles, nous vous avons vue tomber... Nous avons même distingué de la fumée. »

Étant en opération à une dizaine de kilomètres de mon point de chute, pour arriver plus vite, ils ont rompu le contact avec l’ennemi.

_ « Nous pensions qu’on vous avait tiré dessus et que vous vous étiez écrasée dans la rizière », précise le lieutenant.

Laissant l’appareil sous bonne garde, rangé sur le bord de la route, nous gagnons le poste qui leur sert de base. Déjà le temps me paraît long. Je calcule qu’il faudra au moins deux heures au mécanicien pour se faire conduire de Hanoï à Phuly en Morane et nous rejoindre ensuite par la route. Il me tarde de savoir mon appareil en sécurité dans cette ville.

L’anxiété me coupe l’appétit. Nous redescendons enfin vers l’hélicoptère. De loin, à ma grande joie, je reconnais l’adjudant Le Goff.

Mon mécanicien est au travail et les soldats vietnamiens s’intéressent au moindre de ses gestes. A ma vue, il secoue la tête. Sa mine est désopilante, exprimant à la fois l’ahurissement et la satisfaction :

« Mon capitaine, vous faites du "rab de vie" ! Pas possible de réparer sur place avant la nuit »

Il hoche la tête tristement et ajoute :

« Il faudra pousser l’appareil jusqu’à Phuly  ».

Nous nous regardons tous. Remorquer l’hélicoptère sur une distance de neuf kilomètres sera une tâche homérique. Le chauffeur propose sa Jeep. A l’aide de sangles et de cordes, une remorque est mise en place. Une automitrailleuse et quelques légionnaires arrivent de Phuly. Ils ouvriront la marche, les tirailleurs annamites formeront l’arrière-garde du convoi, qui s’ébranle au pas.

Alerté depuis plusieurs heures, le Viet-Minh a peut-être envie d’attaquer et, dans ce cas, il n’est pas loin.

Les premiers kilomètres se passent sans histoire. En silence, Le Goff peine derrière le Hiller. Il tient à deux mains la béquille et guide l’appareil. Je marche à sa hauteur ; à plusieurs reprises, le chauffeur m’invite à monter en Jeep mais je décline son offre. Le soleil tape, nous sommes en sueur et n’avons rien à boire. Des bananeraies succèdent aux rizières, et je constate que les légionnaires redoublent de vigilance. Quelqu’un me souffle :

« L’endroit est mauvais !  »

Des coups de feu éclatent. Rien qu’une salve de semonce tirée par les légionnaires. Là-bas, derrière les arbres, des hommes vêtus de noir se sont accroupis. Je ne peux distinguer leurs armes ; ils en ont peut-être, toujours est-il que la vue de l’automitrailleuse les oblige à se tenir tranquilles. Les derniers kilomètres me semblent interminables.

Les premières paillotes apparaissent enfin. Répandue je ne sais comment, la nouvelle de l’arrivée de l’hélicoptère a provoqué le rassemblement de tous les enfants de Phuly.

Demi-nus, ils sont là pour nous voir passer. Le détachement s’engage dans une rue de la ville et, à leur tour, les adultes affluent vers nous. De minute en minute, la cohue grossit. Dans cette foule, combien de Viet-Minh ?

Petits et grands ne se contentent plus du rôle de spectateurs, ils nous précèdent ou nous suivent, nous bousculent, nous enveloppent, nous étouffent. J’ai peur pour l’appareil. La mêlée est telle que les légionnaires interviennent spontanément et dégagent la Jeep, la remorque et l’hélicoptère, que l’on gare dans une grange.

La nuit est étouffante. Sans trouver le sommeil, je me tourne et me retourne sur mon lit picot. La porte et la fenêtre grandes ouvertes ne provoquent pas le moindre courant d’air. Je n’ai pas souvenir d’une semblable chaleur et suis obligée de conserver la moustiquaire. Je sors, dans l’espoir qu’il fera un peu meilleur au-dehors. La plupart des hommes ont traîné leur lit dans la cour.

Levée de bonne heure, je crois être la première à rendre visite à l’hélicoptère. Le Goff m’a devancée. Il contemple d’un œil réprobateur l’intérieur du boîtier du rotor de queue.

« Il est complètement "cramé", mon capitaine. »

Je n’ai pas besoin qu’on me le dise, les galets sont tordus ou fondus. Triomphalement, Le Goff ramasse à terre un boîtier de rechange qu’il a eu soin d’amener avec lui de Hanoï. Mon message l’a mis sur la voie. Mais on ne peut songer à tout. Le Goff a oublié l’huile spéciale. Je fais une demande par radio et le précieux liquide nous est apporté deux heures plus tard à bord d’un Morane de liaison.

Vers midi, le remontage est terminé et le moteur tourne bien rond. Je décolle, décris un petit cercle en guise d’adieu à nos amis, et mets le cap sur Gialam.

Valérie ANDRÉ

Extrait de "Madame le Général" (Éd : Perrin - 1988) Source


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