Evasion de Verbard : Le pilote témoigne

lundi 21 mai 2012

Yann Morvan était pilote pour Mafate Hélicoptère au moment des faits. Il travaille maintenant en Équateur pour Eurocopter - Photo DRYann Morvan, le pilote d’hélicoptère, a été pris en otage et contraint de participer malgré lui à l’évasion. Principale victime, il sera absent lors du procès. En effet, le pilote vit désormais en Équateur où il travaille pour la société Eurocopter. Nous sommes néanmoins parvenus à le joindre. Le pilote nous livre ses états d’âme et nous raconte son vécu de l’évasion.

Avec votre mécanicien, vous êtes la principale victime de cette évasion par hélicoptère, qu’attendez-vous de ce procès ?
En effet nous en sommes les principales victimes et ce procès je l’espère, permettra de le rappeler. Les conséquences psychologiques sur nos familles et nous-mêmes ont été importantes et nous ne pourrons jamais oublier. On a trop tendance à nous faire croire, par l’intermédiaire de leurs avocats, que ces trois forcenés, ces trois illuminés sont aussi des victimes, les victimes de leur gourou. Mais cette prise d’otages et cette évasion ont nécessité une préparation, des repérages, une logistique, une organisation qui ne peuvent être planifiés de l’intérieur d’une prison. J’attends également que les pouvoirs publics prennent enfin la mesure de cet événement en installant des filets anti-hélicoptères sur les prisons réunionnaises, car une telle évasion peut se reproduire demain.

Regrettez-vous de ne pouvoir être présent au procès ?
Hélas, je n’ai su que tardivement la date du procès et j’avais déjà pris des engagements avec Eurocopter pour me rendre en Équateur. Le fait d’être présent m’aurait permis de pouvoir les regarder en face, d’exprimer mon mépris face à de tels agissements car aujourd’hui encore, ma famille et moi-même sommes marqués par cette prise d’otages. Même si on ne peut guérir totalement face à de tels actes qui furent d’une violence inouïe, la reconnaissance de leur culpabilité permettra de mieux nous reconstruire.

Pouvez-vous nous relater votre enlèvement ?
André Bègue m’a téléphoné pour le remplacer sur un vol qui consistait à redescendre six randonneurs sur la rivière des Galets. J’ai accepté. Ils étaient finalement trois car, soi-disant, les femmes avaient peur de voler en hélicoptère et préféraient sortir du cirque de Mafate à pied par le col des Bœufs. Après avoir accepté leur règlement en espèces et rédigé une facture, j’ai proposé à mon mécanicien de m’accompagner pour des raisons de sécurité lors du débarquement des passagers à la rivière des Galets. Nous avons embarqué "nos randonneurs" avec leurs sac à dos et après deux minutes de vol, j’ai vu mon mécanicien se débattre avec le passager en place avant qui détenait une arme blanche. Sans comprendre réellement la situation j’ai tenté d’immobiliser le bras de l’individu tenant le couteau et c’est à ce moment-là que j’ai reçu un coup de crosse sur la tempe qui m’a sonné. J’ai perdu le contrôle de l’aéronef quelques secondes et j’ai rétabli l’hélicoptère juste avant de percuter une falaise entre Grand-Place et Cayenne. On m’a arraché mon casque de vol et posé sous la gorge un revolver et une arme blanche. Mon mécanicien se débattait toujours. Je l’ai supplié de se calmer, car ils menaçaient de le tuer s’il continuait et si je n’exécutais pas leurs ordres. Avec le bruit de la turbine assourdissante et sans casque de vol, tout le monde hurlait pour s’exprimer. C’était très stressant. L’ambiance était surréaliste. Tandis qu’un des ravisseurs jouait avec le pistolet qu’il tenait sur la tempe du mécanicien, un autre a sorti de son sac-à-dos une bouteille en plastique qu’il nous a fait sentir et qu’il a versé sur nos têtes. C’était de l’essence. Il n’a pas hésité un seul instant à allumer un briquet durant une partie du vol en menaçant de nous faire exploser si nécessaire. Personne ne nous a expliqué la raison de cette prise d’otages. J’ai bien supposé que c’était pour se rendre sur une prison mais ils n’ont jamais voulu répondre à mes questions et ne parlaient que de mort. Ils avaient une attitude « jusqu’au boutiste » qui faisait froid dans le dos. Ils m’ont demandé de me diriger sur Saint-Denis. Il menaçait en permanence de nous tuer et répétait que mourir ne les effrayait pas.

C’est là que vous avez pensé à crasher l’appareil ?
Oui. Arrivé sur les hauteurs de Saint-Denis, ils m’ont demandé de piquer sur la ville sans me donner leur objectif final. Envisageant la perspective d’un attentat suicide sur un bâtiment public de la ville, j’ai donc décidé de sacrifier mon mécanicien et moi-même en "jetant" l’hélicoptère dans les lignes à haute-tension qui traversent le Colorado. Quelques secondes avant le crash supposé avec les lignes, ils m’ont enfin indiqué de me diriger sur la nouvelle prison de Domenjod pour réaliser l’évasion d’un ou plusieurs détenus. Ils ont passé un appel téléphonique pour annoncer leur arrivée et ils m’ont demandé d’effectuer un vol rasant vers la prison pour aborder une cour de promenade située en bordure de ravine. J’ai indiqué que par la présence de filet il serait impossible de réaliser cette évasion et ils m’ont fait savoir que la prison n’était pas dotée de ces filets. Pendant la mise en place, ils se sont changés enlevant casquettes, bandana, lunettes de soleil et perruque pour l’un d’entre eux, ils se sont équipés comme de véritables commandos (cagoules, gilets militaires noirs) et une échelle de corde sortie d’un des sacs. J’ai abordé dans un premier temps la mauvaise cour et je me suis reçu à nouveau un coup de crosse de revolver. Une fois dans la bonne cour, malgré son étroitesse, ils m’ont demandé de descendre à quelques mètres du sol. Je sentais l’extrémité des pales siffler à proximité des murs d’enceinte de la prison et je percevais la panique parmi les détenus en dessous. Concentré sur mon pilotage j’ai entre-aperçu trois hommes monter à bord. Le troisième a failli tomber dans le vide car une partie du marchepied de l’hélicoptère a cédé sous son poids. C’est l’un des ravisseurs qui l’a rattrapé de justesse. Ils m’ont hurlé de redécoller. Notre hélicoptère ne peut embarquer que six passagers et nous nous retrouvions à huit .

Vous preniez donc un risque de surcharge en repartant de la prison ?
Oui. Mais surtout nous avions vu leurs visages. Et ils ont laissé des empreintes partout dans l’aéronef. J’étais convaincu qu’ils feraient brûler l’hélicoptère après le posé car mon mécanicien était déjà ligoté et ils avaient annoncé qu’ils feraient de même avec moi. Donc dès qu’ils m’ont désigné la zone de posé où leurs complices les attendaient, j’ai coupé la turbine, annoncé que notre masse était trop importante et que nous allions nous crasher. Le but était de les terroriser afin qu’une fois posé au sol, ils ne pensent qu’à évacuer l’aéronef sans demander leur reste.

Et vous avez réussi ?
Oui. J’ai réalisé ce qu’on appelle une automation verticale pour les hélicoptèristes. C’est un exercice de posé sans moteur qui est déjà très spectaculaire pour des initiés et donc effrayant pour des novices. Je maîtrise parfaitement cet exercice de par ma qualité d’instructeur. Le posé fut relativement dur. J’ai laissé rouler l’Alouette 3 jusqu’à son immobilisation contre un talus. Là, les ravisseurs et les évadés très effrayés, ont évacué l’hélico vers une camionnette blanche en laissant notamment pas mal d’indices derrière eux. Le ravisseur en place avant a posé son pistolet sur ma tempe. J’ai pensé que c’était la fin. En fait, dans la panique il n’arrivait pas à enlever la ceinture de sécurité et m’a demandé de le faire pour lui. Je me suis exécuté, il a enjambé la banquette avant et il s’est précipité pour rejoindre le véhicule. Dès leur départ, j’ai détaché mon collègue et donné l’alerte par l’intermédiaire de la fréquence de la tour de contrôle. Les services de police sont ensuite rapidement arrivés sur place. (...) Lire la suite sur clicanoo.re

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