Les saint-bernard au secours des sherpas

mercredi 9 juin 2010

Des pilotes et des guides de montagne d’Air Zermatt écrivent l’histoire du sauvetage dans l’Himalaya. Leur technique d’intervention « au câble » en paroi les a récemment fait repousser la limite du possible à 7000 mètres.
Un hélicoptère en vol stationnaire à 6950 mètres d’altitude. Dans l’œil du pilote Dani Aufdenblatten, L'équipe d'Air Zermatt au Dhaulagirisous son masque à oxygène, flirtant avec les limites de puissance de la machine : trois himalayistes espagnols bloqués dans la paroi de l’Annapurna (8091 m) depuis trente-six heures. Pendu sous l’Ecureuil B3 au bout du câble qui tangue : le guide de montagne Richi Lehner. Il faudra trois tentatives, mais les rescapés seront finalement harnachés et acheminés par les airs 3000 mètres plus bas, au camp de base.

On se croirait dans un James Bond. On vient en fait d’assister, par procuration, au plus haut sauvetage héliporté de l’histoire du secours en montagne. A la base d’
Air Zermatt, fraîchement rentrés du Népal, les sauveteurs valaisans qui ont signé cet exploit aux commandes d’un appareil de la compagnie privée Fishtail Air racontent la prouesse avec l’humilité qui manquait justement à l’agent secret enfanté par Ian Fleming. Il y a Dani, le jeune prince du manche à balai, et Richi, son alter ego, guide de montagne équilibriste, deux bons types au teint hâlé. Il y a Gerold Biner, pilote lui aussi et chef des opérations pour la compagnie valaisanne. Il y a enfin Kurt Lauber et, buriné par le soleil, l’altitude et ses trente ans passés à sonder des crevasses pour sauver des vies, Bruno Jelk, le chef de la colonne de secours de Zermatt, membre du comité de la Commission internationale des secours alpins (CISA), pater familias dans le milieu.

L’équipe a effectué une quinzaine de sauvetages dans l’Himalaya népalais il y a un peu plus d’un mois. Un séjour qui pourrait bien marquer le début de l’exportation, dans la durée, du savoir-faire helvétique en matière de secours dans des conditions extrêmes. Dehors, sur le tarmac, les deux Japonais qui trépignent devant une rutilante carlingue griffée des 13 étoiles, prête à les emmener pour un « banal » vol panoramique autour de la montagne emblème, le Cervin, mesurent-ils l’adresse de leurs « taximen » ?

De Zermatt à Katmandou, du massif du mont Rose aux contreforts des plus hautes montagnes de la planète : qu’est-ce qui a tracé l’itinéraire international de ces « saint-bernard » des temps modernes ? L’histoire débute en 2005 au Pakistan. Tomaz Humar, un prodige slovène de l’alpinisme,
qui aligne les conquêtes de l’extrême – les voies les plus difficiles en solitaire – se retrouve (forcément) dans une situation d’épuisement, accroché aux flancs du Nanga Parbat (8125 m) par un temps de chien.

Avertie par téléphone satellite, son équipe actionne les secours, les sachant néanmoins sommaires à ces altitudes. Les gouvernements slovène – mis au courant et qui veut tout tenter pour sauver la vie de son héros national – et pakistanais décident de faire appel aux hommes d’Air Zermatt. Ceux-ci apparaissent en première ligne dans le tout petit carnet d’adresses des secours en montagne où les frontières ne sont pas marquées. Et la technique de sauvetage alpine « au cargo », c’est-à-dire grâce à un câble sous l’hélicoptère pour des interventions directement en paroi, c’est leur affaire.

Les Zermattois sautent dans un avion avec la promesse de pouvoir « voler
un Lama » de l’armée pakistanaise une fois sur place. « Mais, raconte Gerold Biner, entre-temps le général Musharraf avait déjà ordonné à ses hommes de procéder au sauvetage. » L’intervention est donc terminée – et réussie – avant que les Valaisans n’arrivent à Islamabad. Interprétation d’usage : « Il a mis la pression sur ses troupes pour sauver l’honneur du Pakistan. » En fait, le déroulement de la mission, raconté par les indigènes et que les sauveteurs pourront plus tard visionner sur YouTube, leur frise l’échine.

« L’armée a utilisé une corde d’alpinisme classique, c’est-à-dire élastique à 15% », raconte Bruno Jelk. Avant de reprendre ses esprits sur la terre ferme, Tomaz Humar, qui était accroché à la paroi avec des vis à glace, se sera offert le frisson d’un yo-yo géant entre les pales de l’hélicoptère et la montagne, qu’on distingue à peine sur la vidéo. Pour le coup, le scénario concurrence sérieusement les exubérances de 007 mais aurait très bien pu se terminer tragiquement.

Les impressions deviennent des certitudes pour les hommes d’Air Zermatt, habitués à des opérations périlleuses mais néanmoins bien huilées : dans l’Himalaya, la chaîne des secours en montagne est aussi lacunaire que la démocratisation des ascensions est prodigieuse. « Les pilotes sont d’excellents pilotes et connaissent très bien leur machine, mais il leur faut un terrain de foot pour atterrir, sinon, pas de sauvetage », raconte Dani Aufdenblatten. L’idée mûrit de leur transmettre le savoir-faire. Un pilote pakistanais viendra en stage à Zermatt, mais la sauce ne prend pas encore.

Quelques années plus tard, en 2009, l’équipe valaisanne est à nouveau appelée à la rescousse par le gouvernement slovène qui veut sauver la peau de son alpiniste fétiche et décidément très téméraire. Cette fois, Tomaz Humar s’est grièvement blessé en pleine ascension du Langtang Lirung (7227 m). C’est sa dépouille que les hommes d’Air Zermatt sortiront de la montagne à leur arrivée (LT du 21.11.2009). « Il aurait fallu arriver un jour plus tôt », résume Bruno Jelk, plus lucide que jamais sur l’avenir du secours dans l’Himalaya : « C’est clair, on ne va pas sauver des vies depuis ici, en Suisse. »

Il faut enseigner les techniques de sauvetage aux Népalais et les faire gagner en autonomie. Cette fois, des liens forts se créent avec le chef des pilotes de la compagnie Fishtail Air, Sabin Basnyat, qui « en l’absence d’une vraie colonne de secours organisée et d’une équipe vraiment formée, semble décider de tout là-bas ». Sabin vient à Zermatt pour un stage de formation.

Accompagné d’un délégué du gouvernement, il visite la centrale d’engagement de l’Organisation cantonale valaisanne des secours (OCVS),
ce qui inspire un commentaire, par anticipation, à Bruno Jelk. « L’idéal serait de former des sherpas aux interventions avec les hélicoptères. L’un d’entre eux, le chef du camp de base puisqu’il y en a toujours un, pourrait jouer le rôle de chef de colonne de secours locale. » On en est loin pour l’heure.

Durant son séjour valaisan, Sabin Basnyat pilote aux doubles commandes lors d’exercices de sauvetage. Il comptabilise seize heures de vol en conditions réelles. « Au début, il a été très impressionné de voir comment on communique entre nous durant une intervention et, surtout, comment on s’approche de la paroi », raconte Gerold Biner. « Mais on a mis quarante ans pour arriver à cela. »

L’épopée a débuté en 1971, date du premier sauvetage dans la face nord de l’Eiger par une Alouette III d’Air Zermatt – la première équipée d’un treuil. Depuis, le « cargo » – le câble fixé sous la machine – a, dans bien des cas, remplacé les treuils. Plus précis. Plus stable, car fixé au centre de gravité de l’hélicoptère. Et plus efficace : on peut évacuer plusieurs personnes en même temps. Air Zermatt a évacué une centaine de personnes, bloquées dans un téléphérique, en une demi-heure. « Nos pilotes s’entraînent grâce aux transports de matériel. Chaque pilote fait 7000 à 10 000 rotations », détaille le chef des opérations.

D’autres techniques de sauvetage en haute montagne ont fait la réputation des secours alpins, comme l’utilisation d’un trépied pour sortir les alpinistes des crevasses, système dont on attribue la paternité à Bruno Jelk mais qui se l’interdit lui-même : « Ce sont les Romains qui ont inventé les trépieds [rires]. Moi, je les ai simplement adaptés. » « Reste qu’on a fait beaucoup d’erreurs. Alors autant que les autres ne les reproduisent pas », poursuit Gerold Biner, qui se félicite des premiers liens tissés lors des récentes premières opérations de secours exemplaires à l’Annapurna, au
Manaslu ou encore au Dhaulagiri en avril dernier. Et lors de stages de formation en Suisse, appelés à se multiplier et pour lesquels Air Zermatt cherche encore des fonds.

La transmission du savoir-faire a débuté. Et pourtant, des voix s’élèvent déjà contre la généralisation des sauvetages par hélicoptère sur les plus hautes montagnes du monde. L’alpiniste autrichien Oswald Oelz a reproché aux sauveteurs de l’impossible de « casser le rêve dans l’Himalaya ». D’autres redoutent que l’accès aux secours n’accentue l’intrépidité de certains alpinistes. Des critiques que les hommes d’Air Zermatt ont bien entendues mais qu’ils trouvent totalement infondées.

Premièrement : « Il n’y a pas que des alpinistes téméraires à sauver, il y a des gens qui ont de la malchance et il y a des sherpas », argumente Bruno Jelk. Par ailleurs : 200 personnes se lançaient à l’assaut de l’Everest la dernière fois que le guide valaisan s’est rendu sur place, et 92 sont arrivées au sommet, rappelle-t-il. « Donc, si vous voulez de l’aventure aujour d’hui, il faut aller la chercher ailleurs. » Quant à savoir si les limites du sauvetage en paroi pourront encore être repoussées à l’avenir, les pilotes Gerold et Dani se réfèrent d’abord aux fiches d’homologation de leurs engins volants qui affichent une altitude de vol maximale de 7000 mètres, avant de se raviser : « Nous, on pense qu’avec un Lama on peut aller plus haut. » Xavier Filliez source

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